chroniques
Ce que le viol et l’assassinat de Adnane nous imposent de faire
Pareils forfaits alertent d’un grand danger guettant la société que même les peines ultimes ne dissuadent pas.
Les dramatiques viol et assassinat de l’enfant Adnane que ses parents ont cherché désespérément pendant quatre jours a donné lieu à toutes les interrogations, anciennes et nouvelles, et ressuscité les divergences abolitionnistes et partisan de la peine capitale.
La majorité, mue par l’empathie envers l’enfance innocente, a exprimé sa colère en réclamant l’exécution du suspect. En face, les abolitionnistes, tout en condamnant la sauvagerie du délit, ont persisté à faire prévaloir que le crime, quelle que soit son abjection, ne justifie pas la peine de mort. Certains d’entre eux ont poussé l’insolence jusqu’à prétendre que les défenseurs de la condamnation suprême sont encore plus cruels que l’auteur du crime lui-même.
Rares sont ceux qui ont porté leur attention sur la présomption d’innocence et l’observance de la déontologie qui dictent aux médias de s’abstenir de publier les photos du suspect tant que sa condamnation par la justice n’est pas tombée. L’émotion, dans le tumulte qu’elle a provoqué, nourrie par la pression de la presse et des réseaux sociaux, a dénué ces questions de forme de toute valeur, alors même que la philosophie de la justice repose sur indissociabilité de la forme et du fond.
Nonobstant, ces débats sont nécessaires et féconds dans une société vivante, traversée par diverses sensibilités. Et il est dans l’ordre naturel des choses qu’un évènement criminel de cette nature entraine un débat agité sur la peine à prononcer entre les tenants des différents points de vue. Tout comme il est normal qu’une société secouée par crime aussi abject assiste à la perturbation de l’équilibre judiciaire entre le fond et la forme. Ce déséquilibre paraitra encore plus naturel si l’on tient compte des volontés qui se greffent sur l’évènement, façonnant et orientant l’opinion publique, pour l’exploiter et le faire perdurer à quelque fin que ce soit.
Ce qui n’est pas normal par contre, c’est que ce débat occulte une autre appréhension du sujet, plus vitale encore. Elle consiste à cerner le phénomène et à en comprendre les raisons. Tant il est vrai que le plus important dans le dramatique évènement est de saisir à travers lui l’évolution du crime au Maroc où le viol d’un mineur, pourtant sévèrement encadré pénalement et moralement, peut aussi déboucher sur un meurtre infâme. Le plus urgent n’est-il pas également de voir comment le système éducatif et le modèle religieux ne réussissent pas à protéger la société de semblables crimes ?
Certains vont essayer de trouver des explications dans les pathologies psychologiques du suspect, peut-être convoqueront-ils les souffrances d’un passé malheureux, un milieu familial déséquilibré ou encore son exposition dans son enfance à des atteintes similaires, cependant que d’autre invoqueront des déterminants socio-économiques. Défileront dans ce registre l’exode rural et la difficile intégration dans le monde du travail urbain, les rapports de productions inégalitaires, l’aliénation des travailleurs, les frustrations sociales et biens d’autres considérations du même genre.
Mais tout cela ne dispense pas la société des seules questions qui comptent : Le rapport du crime avec la solidité (ou la fragilité) du système éducatif et du modèle religieux, ainsi que sa relation avec les contenus éducatifs et culturels que diffuse l’audiovisuel public et leur échec collectif dans l’immunisation de la société contre ce type d’abomination.
Il faut concéder que tout système, quel qu’il soit, éducatif, religieux, culturel ou civil, et quelle que soit son efficience, ne peut empêcher des crimes à se produire. Autrement il n’y aurait eu aucune utilité à un code pénal en charge de dissuader, en complémentarité avec le système éducatif, la criminalité. Ce qui est visé ici, ce ne sont pas tous les crimes, mais les actes à forte charge sociétale, à l’image du crime qui a consisté à violer, tuer et enterrer un enfant.
Pareils forfaits alertent d’un grand danger guettant la société que même les peines ultimes ne dissuadent pas. Les mutations socio-économiques et culturelles tendent à exercer de plus fortes pressions psychologiques et sociales et accentuent en conséquence l’annihilation des fondements religieux, éducatifs et culturels de la conscience. Ces mutations et leurs conséquences ne peuvent pas ne pas interpeler l’ensemble des fondamentaux de la société, en même temps qu’elles appellent à leur évaluation. C’est là une situation qui exige le questionnement des valeurs et les normes qui fondent le vivre ensemble afin d’en vérifier l’efficacité et le rendement. De cette manière on pourra réformer sans tarder ce qui devrait l’être en vue de renforcer l’immunisation de la société contre les dérives qui la minent.