chroniques
Il feel good
Lundi 16 mars 2020, 13 h 15. Seul dans mon bureau, où nous nous sommes mis au télétravail, je n’ai aucune difficulté à imaginer à quoi ressembleront nos villes à 18 h. En lisant le communiqué du ministère de l’Intérieur annonçant la décision de la fermeture de tous les lieux publics où se déroule la vie collective y compris le Hammam, l’image m’a submergé. Rabat, ma ville, à 18h, à une heure quarante de l’appel de la prière d’al-maghrib, ressemblera à une fin de journée de Ramadan, juste avant la rupture du jeûne. Sauf que c’est une ambiance de journée de jeûne qui restera jusqu’au lendemain. Sauf qu’après la prière d’al-icha’e, il n’y aura pas de prières surérogatoires, ni l’effervescence des veillées ramadanesques. Chacun s’occupera comme il peut. On discutera davantage que les autres jours, souvent le coronavirus reviendra dans la discussion, on regardera la télévision plus que d’habitude, on lira pour ceux qui aiment lire, on téléphonera aux proches et aux amis avant d’aller se coucher un brin de vague à l’âme.
Subitement l’horloge s’est accélérée. Ce n’est plus les heures qui ponctuent le temps, mais le nombre de cas détectés. 9, 17, 28, 29. On en était là au moment où j’écris.
De mon bureau, j’entends le Muzzin de la mosquée Badr appeler à la prière d’addohr. Dix-huit minutes auparavant, une dépêche de la MAP qui a décidé d’adopter le télétravail rapporte la recommandation du Conseil supérieur des Oulémas, suite à une consultation royale, de fermer les mosquées à partir de ce lundi tout en maintenant l’appel à la prière. J’ai beau être un laïc - ce qu’il ne faut pas, encore une fois, confondre avec athéisme que ma laïcité accepte - j’ai un pincement au cœur. Peut-être même j’ai senti ma gorge se nouer. Culturellement ancré, je me rends compte, plus qu’hier, plus qu’avant-hier, que nous vivons des moments inédits qui apporteront à ne pas en douter leur lot de drames. Mais passeront pour rester dans l’histoire. Je m’aperçois aussi que je recours à la solution hydro-alcoolique plus que la veille.
Me vient l’aphorisme d’Avicenne que j’essaye de traduire : L’hypocondrie est la moitié du mal, la sérénité la moitié du rétablissement et l’endurance la voie de la guérison.
Je prends mon téléphone et sur Facebook je constate que j’ai des invitations à rejoindre des personnes ou des groupes. La vie continue. <Plus virtuelle que jamais.
Sur les différents fils d’information, je cherche désespérément quelque chose qui ne ressemble pas au Coronavirus, un truc gai, une chose joyeuse, une place qui bouillonne de gens, une anecdote pour maintenir et entretenir mon sourire. J’en trouve, mais elles sont en rapport avec ce maudit coronavirus. Sur Watsapp, depuis les Etats Unis, je reçois ce post : Tu veux rencontrer les filles les plus chaudes de ta région ? Envoie COVID-19 au 711313, illustré d’une jeune et jolie femme varie-fausse alitée, le thermomètre à la main. Une dépêche de l’AFP rapporte qu’aux Pays-Bas, où le commerce du cannabis est légalisé, après le papier-toilette et les pates, les Pays-basois se font des stocks de marijuana. Sur Watsapp encore, un client pousse un long chariot de bières et de bouteilles de vin. Chacun ses priorités. En Allemagne, Angela Merkel est en colère contre Donald Trump qui veut piquer à un laboratoire germanique la fabrication d’un vaccin en gestation contre le coronavirus. Sans se laisser démonter, les Américains annoncent le début des essais cliniques d’un vaccin à Seattle. Après la pandémie, les riches seront encore plus riches et les pauvres comme d’habitude.
Quelques heures auparavant, Fayçal Tadlaoui est ses Experts parlent de choses sérieuses dans la bonne humeur. Plus tard, sur Luxe radio, dans Avec ou sans parure, une émission généralement de bonne facture, on se crêpe le chignon sur la politique de santé au Maroc, sur ce qui n’a pas été et devait être fait sans comprendre qu’avec leurs Si on mettrait le coronavirus dans une bouteille et on n’en parle plus. Et qu’il y a un temps pour les controverses et un temps où il faut savoir surseoir à la polémique pour faire face. L’Etat, sans trembler, prend mesure sur mesure pour briser autant que faire se peut la chaîne de transmission. Serrez les rangs ! Je zappe et sur Med radio, c’est encore le coronavirus et comment s’en prévenir, c’est bien, mais saturé décide de mettre sur mode Media.
C’est un CD de James Brown, en souvenir des années d’insouciance qui est engagé. I feel Good, de sa voix éraillée, emplit l’habitacle de ma voiture : Je vais bien !