Lettre d’Edgar Morin à Faouzi Skali

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De gauche à droite : Edgar Morin, Christiane Taubira et Faouzi Skali

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Condamné un peu trop rapidement, non pour détournement mais pour dilapidation de fonds publics, Faouzi Skali, docteur en anthropologie et sciences des religions, connu pour être un adepte de la mouvance soufie, continue de recevoir de nombreuses marques de sympathie de ses amis et connaissances parmi les plus illustres du monde intellectuel et spirituel. Cette fois-ci c’est le philosophe de renom, sociologue de la pensée complexe aux multiples ouvrages et recherches, Edgar Morin, qui lui apporte un témoignage qui replace l’action du fondateur du Festival de Fès des musiques sacrées du monde dans son champ intellectuel bien loin de l’intendance matérielle des finances d’une Rencontre devenue incontournable pour toutes les cultures   

Cher Faouzi,

Je tiens à t’exprimer toute mon admiration pour la création et pour l'organisation du Festival des Musiques sacrées de Fès et de son Forum ainsi que du Festival de la Culture Soufie auxquels tu m'as fait l'honneur et l’amitié de m'inviter. Nous nous sommes connus en 1997, à l’occasion d’un grand Colloque dédié aux cultures spirituelles du monde, près de Grenoble, évoquant déjà notre intérêt commun autour de ces questions.

Ces rencontres de Fès m'ont fait alors vivre des moments inoubliables d'émotion littéralement sacrée en communion avec ce qui élève et transcende notre humanité mais aussi, nourries par cette dimension artistique et spirituelle, des réflexions approfondies autour de l’état actuel du monde et de ses perspectives d’avenir. Cette approche d’allier l’émotion esthétique, la notion du beau et du juste, à l’intellect et à la spiritualité - à toutes les spiritualités - pour déboucher sur de possibles actions communes, est au cœur de la nécessaire mise en œuvre de ce que j’ai appelé une pensée complexe et en pleine résonance avec ces projets magnifiques qui sont réalisés à Fès. Le Maroc est de ce point de vue l’un des rares lieux où une liberté de créer de la société civile, dont tu es un représentant, ait pu aboutir sur la durée à créer un espace de pensée et de partage aussi inspirant.

Ces rencontres ont répondu à la grande intention de réinsuffler à Fès, cette ville héritière de l’esprit de l’ancienne Andalousie, à un moment où le monde en a bien besoin, un pont de fraternisation entre cultures et religions souvent ignorantes les unes des autres.
Accomplissant ainsi la plus noble mission, qui est de promouvoir la compréhension entre femmes et hommes de tous pays et de faire en sorte que l'étranger cesse de demeurer étrange pour devenir compatriote en humanité.

Montaigne disait "je vois en tout homme un compatriote". Cette formule prend un sens concret et vital en notre siècle. Nous sommes les enfants de la Terre Patrie. 

Tu as organisé lors de ces festivals des conférences, des dialogues et des colloques auxquels j'ai eu la joie de participer.

Des liens se sont créés d'où sont nées des amitiés durables. Et comment ne pas mentionner que c'est lors du festival de la Culture Soufie, en 2009 que j'ai retrouvé Sabah perdue de vue depuis des années, désormais ma compagne et mon épouse. Un appel du destin qui me rapprochait plus que jamais de cette terre marocaine qui m’est chère et des enjeux et effervescence culturels et humains qui s’y produisent et que nous suivons avec les plus grands enthousiasme et intérêt.

Tu as mon cher Faouzi mené tous ces projets, qui ne sont que la face concrète d’une vison et pensée créatives, avec une probité et une intégrité appréciées et reconnues de tous.
Tu as choisi de ne pas rester dans les limites de la recherche et de la méditation mais d’œuvrer d’une façon tangible avec d’autres à la nécessaire émergence d’un humanisme spirituel face aux défis de notre temps.

Tu as accompli cette mission de façon exceptionnelle, et nous sommes de ceux innombrables qui formulons le vœu que ce patrimoine vivant , qui fait partie désormais de l’histoire contemporaine de Fès , puisse continuer à prospérer et à porter ses fruits pour le Maroc et dans le monde .

Avec mon hommage amical et celui de Sabah

Edgar Morin

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