chroniques
Trois chevaliers de la presse - Par Seddik MAANINOU
De G à D : Abdallah El Amrani, Khalil Hachimi Idrissi, Khalid Naciri
Durant le mois sacré de Ramadan, la volonté divine, emportant leurs chers, a plongé trois familles amies dans le deuil. Ma relation avec les trois défunts était différente de l’un à l’autre, mais toujours empreinte de beaucoup de respect et d’estime, qu’elle ait été la divergence de nos avis et de nos positions sur nombre de sujets.
La Vérité
Abdallah El Amarani, premier du funèbre convoi, était un journaliste d’une pâte particulière. Il avait une grande expérience du métier, que ce soit à la MAP où il a été journaliste, ou d’autres fonctions en relation avec la profession avant d’aller fonder avec d’autres la revue La Vérité dont il sera le directeur. J’ai bien essayé de maintenir avec lui le fil d’Ariane, mais il a préféré chercher «la vérité» ailleurs tant il s’accommodait mal des habits trop étroits. L’homme disposait d’un large carnet d’adresses, sans jamais être à l’abri des adversités en subissant souvent les contrecoups. Nous avons, Mohamed Berrada et moi-même, conversé avec lui par téléphone depuis Dakhla quelques semaines avant son départ. Alité, il restait égal à lui-même, fidèle à son optimiste et à sa gaieté.
L’engagement
Avec Khalid Naciri, le militant, le ministre et l’ambassadeur, j’ai tissé une amitié au fil de nombreuses rencontres, particulièrement du temps où il me rendait visite au ministère de la Communication*, sans qu’aucun ne pouvait conjecturer qu’un jour il en prendrait les rênes. En tant que représentant du Parti du progrès et du socialisme (PPS), il assistait aussi à certaines réunions de la Commission que je présidais et qui était chargée de la répartition des quotas d’intervention des partis politiques au cours des échéances électorales. Il était d’un sérieux constant dans ses interventions et ses traits dégageaient en permanence des accents de sincérité et d’engagement.
Nommé ministre, j’étais parmi les premiers à le féliciter et comme à mon habitude, je lui ai fait part de mon expérience au ministère* sans manque de lui distiller des messages subliminaux. Après qu’il se soit engagé dans des débats peu fructueux avec les journalistes, je lui ai conseillé à maintes reprises de calmer le jeu, en vain. Entier, il ne cédait sur rien, ce qui lui a valu des cabales souvent excessives qu’il a affrontées crânement. Je le suppliais d’apaiser le discours et d’élargir les canaux de communication avec les gens du métier. Un jour, n’en pouvant plus, je lui ai lancé : «Vous êtes ministre, pas un tribun dans un rassemblement partisan !». Il était, que Dieu ait son âme, doté de grandes qualités morales, d’un engagement sincère et d’un patriotisme inné.
Elégant et généreux
J’ai fait la connaissance de Khalil Hachimi Idrissi plus tardivement. Je fus impressionné par son style d’écriture lorsqu’il avait rejoint Maroc Hebdo avant d’en prendre rapidement la rédaction en chef. Doté d’un esprit d’entreprise et de prise de risque, il a créé Aujourd’hui le Maroc. En dépit de ventes limitées, le journal attirait l’attention par la qualité de ses éditos dont Khalil gratifiait régulièrement ses lecteurs. Dans un français à la fois académique et moderne, libéré des boursouflures, il défendait férocement ses convictions et se retrouvait, de ce fait, aux premières lignes de toutes les ‘’batailles rangées’’ du Maroc des trente dernières années.
Arrivé à la direction générale de la MAP en juin 2011, il a patiemment et résolument élargi, diversifié et enrichi l’activité de l’agence de presse officielle. Aux produits traditionnels de l’Agence, il ajouté une radio, RIM, une télévision, M24, et deux magazines mensuels, BAB, en arabe et en français, deux quotidiens dans les deux langues, Maroc Le Jour et Al Youm Al-Maghribi, idem pour deux trimestriels culturels maghrébins, Maghreb1, sans oublier l’édition qui a permis à la MAP de publier plusieurs livres dont les deux œuvres maitresses, Une certaine histoire du Maroc et Figures de la presse marocaine. Il a aussi mis en place Le Forum de la MAP, un espace de débat avec les journalistes qui a vu défiler chaque semaine responsables politiques et gouvernementaux, écrivains et acteurs de la société civile. En dix ans, il a réussi son objectif de créer un Pôle de communication public fort en s’appuyant sur la technologie comme levier de rayonnement. Non sans avoir souffert des freins et des intrigues qui ont ciblé son projet. Mais l’homme avait une résilience à toute épreuve et ne s’épanouissait jamais autant que dans le défi. Ce que ne savaient pas ses adversaires. De lui, je garde les plus beaux souvenirs, ceux d’un ami qui croque la vie à pleines dents, élégant et généreux dans ses dialogues et ses échanges. Je n’oublierai pas qu’il a organisé en mon honneur une grande rencontre à l’occasion de la parution du tome VI de mes mémoires Jours d’antan.
Dénominateurs communs
Ces trois chevaliers de la presse avaient en partage leur patriotisme. Leurs convictions étaient divergentes, leurs positions politiques différentes, mais étaient ensemble mobilisés pour défendre les constantes de la Patrie. Accueillis par la tribu de la presse, ils ont occupé les premiers plans, pratiquant la communication politique dans un jeu où rarement sont observées les bases et les règles déontologiques et éthiques. Contre vents et marées, dans le sens ou à contrecourant, ils ont su conserver l’honneur du mot et l’honnêteté du verbe laissant une empreinte indélébile en dépit de conditions de travail difficiles.
Au revoir les amis !
*Seddik Mâaninou a été de 1992 à 2004 secrétaire général du ministère de la Communication, après avoir été directeur de la télévision marocaine.