Le chant unanime de l’espérance – Par Rédouane Taouil

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Les Lions de l’Atlas au Qatar 2022 - « Grâces leur soient rendues",

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L’équipe nationale couronne aujourd’hui dans une fantastique unisson une légende qui va de la rencontre avec l’Espagne à l’orée des années soixante jusqu’à ses exploits au Mondial en passant par le sacre de la coupe du monde de 1986

« Grâces leur soient rendues", clame Maurice Nadeau, serviteur des passions littéraires et critique de génie en hommage aux hommes de lettres dont il a scruté scrupuleusement les œuvres. Cette élégante élocution sied à la perfection envers les joueurs de l'équipe nationale qui ont couronné par l’esprit des pieds la légende amorcée à l’orée des années soixante par leurs ascendants face à une pléiade merveilleuse de l’équipe d’Espagne. Par leur engagement résolu, ils offrent au pays un accès glorieux à la demi-finale de la Coupe du monde, en même temps qu’un hymne inédit à la liesse et à l’unisson auquel vient s’associer le chant miséricordieux de la pluie.

La rencontre avec des figures mythiques

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Debout de gauche à droite: Abdallah Malaga, Larbi, Mustafa Bettach, Jdidi, Tibari et Labiad. Assis : Abdallah Zhar, Hassan Akesbi, Ibrahim Tatum, Abdrahman Belmahjoub et Riahi

Au commencement de la légende était  la confrontation du onze national à une équipe composée d’un trio en or d’attaquants : Puskas, le meilleur joueur de l’ « équipe de rêve » du Magic Magyar disséminée après le coup de Budapest en 1956, qui était, sous la tunique espagnole, le maestro des dribles et le buteur distingué ; Di Stefano, « né argentin et nourri par l’Espagne» comme il aimait dire, icône au beau jeu, artisan de prouesses techniques étourdissantes, qui était le plus grand avant Pelé et Maradona, Beckenbauer et Cruyff ainsi que  l’écrit Javier Prieto Santos ; Gento, le matador au maillot blanc, qui était un redoutable ailier gauche conjuguant rapidité et dextérité.

Grâce à une défense serrée assurée par des ténors du Wac et Abdellah auquel on accolait le nom de Malaga pour célébrer les beaux jours qu’il a eus avec le club andalous, l’équipe nationale a résisté aux constructions offensives d’attaquants ayant le but dans le sang. En dépit du sens aigu du placement du solide Santa Maria, Les dribles sereins de Lazhar, la taille de basketteur et de musicien de jazz de Tatum, la maîtrise du jeu du prince des terrains, Belmahjoub, ont bien inquiété, par leurs talents qui éclaboussaient les tribunes des stades de France, les mailles des filets de la Roja ; laquelle a emporté l’aller à Casablanca (1-0) et le retour à Madrid (3-2) et s’est qualifiée pour la phase finale du mondial de 1962. Mais la prestation fort honorable a apporté du baume en cet hiver de 1961 où le cœur du Maroc était encore endeuillé par la disparition du Roi Mohamed V, et a eu un retentissement si profond en Afrique qu’elle a conduit la Fifa à attribuer une place d’office au continent lors la compétition de 1970.

Le sacre de l’hiver

Tout au long des compétitions, le Maroc opte pour une tactique défensive où les attaquants ont la parole à la défense. Cette tactique, qui se justifie par le choix supposé de l’équipe adverse, accroît la probabilité d’erreurs en rétrécissant l’espace du jeu, requiert des réponses aux pressions potentiellement exténuantes autant qu’elle handicape les contre-attaques faute d’appui. Elle a donné cependant des preuves de son efficacité à la phase initiale comme face à la Roja. L’abnégation du collectif marocain a eu raison de la possession à outrance du ballon dévoilant ainsi son caractère stérile, voire contreproductif. La séquence des tirs aux buts a montré la performance de haute volée du portier de l’équipe nationale dont le profil s’apparente à plus d’un titre à celui de l’araignée noire, Yachine. Ce célèbre gardien, qui a révolutionné la garde des poteaux, tissait de par sa stature, le mouvement de ses bras et son impressionnante tenue noire une toile impénétrable. Au vu de ses arrêts et parades inouïs, de sa taille qui est la même à un centimètre près que le meilleur goal du siècle dernier, de sa technique, il n’y a – pourrait-on dire- qu’une différence de consonne entre Yassin et ce dernier.

Hakimi, qui a signé le passage historique au cap du quart de finale, n’est pas sans rappeler, par ses débordements et ses centres au cordeau, un légendaire l’arrière gauche Facchetti, qui régnait sur la longueur du couloir et menait des attaques parfois couronnées par ses propres buts.

La rencontre avec les héritiers de la panthère noire, Eusebio, a mis à rude épreuve la tactique de l’équipe nationale. Des tirs portugais ont tutoyé la transversale, des corners ont accru les menaces et l’angoisse et des contre-attaques ont raté l’immanquable. Mais, la vaillance durant quatre-vingt-dix-huit minutes a acté en définitive l’entrée de la première sélection d’Afrique au carré du Mondial. Le milieu de terrain, Ounahi, suractif à l’instar de Dolmy sur la pelouse de Guadaljara au Mexique en1986, a brillé de tous côtés. L’homme aux trois poumons, Amerabet, s’est voué, avec une force de caractère hors du commun, en se dépensant ne comptant que le but marqué par En- Nasyri. Ce but arraché, par un vif coup de tête volant, ne manque pas de faire songer aux vers du poète piéton de Lisbonne Pessoa : 

« Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de trace.

que le passage de l’animal

dont l’empreinte reste sur le sol. 

Passe, oiseau, passe et apprends-moi à passer. »

En faisant corps avec le pays, l’équipe nationale offre de formidables moments heureux qui résonnent en Afrique, dans le monde arabe et ailleurs. Ces moments sont d’autant plus inoubliables qu’ils sont indéfectiblement liés à de purs gestes de beauté et à la chaleur de la convivialité, à la félicité fugitive et à l’éternité de la légende, à la ferveur du triomphe de la vaillance et à la danse des monts de l’Atlas sur des airs d’espérance, aux gouttes bienfaisantes de la pluie et à la terre assoiffée. 

« C'est gooooooal dans la gorge en fleur, rauque, épuisée – 

goal dans mon cœur grand ouvert 

goal dans ma rue sur les terrasses

dans le pays entier en liesse d'embrassade

de baisers et chansons

goal natal goal génial goal de miel et soleil

(…)

vaincre avec honneur et grâce/avec beauté, humilité

être mûr et mériter la vie, acte de la création acte d'amour. » 

On convoque volontiers ici ce cantique à la joie et au ballon rond écrit par Carlos Drummond de Andrade, chantre de la liberté des mots, pour la Coupe du monde de 1970, où un but dû à un coup de tête d'un attaquant, issu des rangs du Raja contre l'Allemagne de Beckenbauer, reste un moment insigne de cette légende que consacre aujourd’hui l’équipe fantastique du Maroc.

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