*Universitaire sp?cialiste de la litt?rature fran?aise, secr?taire perp?tuel de l?Acad?mie du Royaume

Le ma?tre croyait pouvoir r?pondre ais?ment ? son ?l?ve curieux des choses de la vie. Facilement parce que, comme l??crit, le philosophe Raphael Enthoven, ??le vivre-ensemble appara?t comme ? une ?vidence, une r?gle d?or, une morale, un slogan? Nul n?y ?chappe. Impossible d?allumer la radio, d?ouvrir un journal, de marcher ou de surfer sans croiser cette injonction??. Mais le ma?tre aura quelques difficult?s ? cerner un concept qui, comme le sugg?re, ce m?me philosophe ??ne veut rien dire??. Il peinera surtout ? expliciter ce ??rien?? au jeune esprit assoiff? de savoir. Jeune esprit, exigeant ? juste titre, parce que harcel? de slogans, il d?sire construire un projet de vie au-del? de la vacuit? des slogans qui le submergent.

Pour pouvoir l?aider et r?pondre avec justesse ? cette interrogation inqui?te, le ma?tre devrait construire une p?dagogie des relations humaines, une didactique de l?Autre, une philosophie du Bien, donc du Mal, une ?thique de la libert?, une morale de la fraternit?, une vision d?une cit? fond?e sur l??galit?, imaginer un enseignement des valeurs (mais quelles valeurs??), une ?ducation qui peut surtout les transmettre, une ma?trise des ?motions, une pratique du ??savoir vivre?? pour que ??le vivre-ensemble?? ait un sens, et ne reste pas une illusion pour le jeune ?l?ve dans son apprentissage de la vie. Comme le dit le philosophe Andr? Comte-Sponville ??On ne nait pas vertueux, on le devient??. Ainsi, pour que le ma?tre puisse r?pondre ? son disciple avec une clart? convaincante il aurait fallu que ceux qui, aujourd?hui font profession d??ducateurs aient con?u un syst?me o? ?promouvoir une ?ducation ?thique dans un monde aux rep?res flottants?? ? ne reste plus une t?che impossible mais devienne un imp?ratif exaltant. Le ma?tre ne s?attendait pas ? peiner de la sorte parce que pour bien donner une r?ponse s?duisante ? la question de son disciple, il aurait fallu d?abord et avant toute chose mettre en ?uvre une p?dagogie de la diff?rence, une anthropologie compar?e des cultures et des croyances. Et le ma?tre ne dispose d?aucune didactique pour aider son disciple ? comprendre l?Autre, son ??autre soi-m?me??. La repr?sentation que l?on se fait de l?Autre est superficielle, erron?e, incompl?te, voire humiliante. Cet Autre n?est pas loin d??tre ou de devenir selon les contingences mon enfer (relire Sartre). Comme le dit Kamel Daoud ??dans l?autre, l?un dans l?autre, (?tre ou devenir) un ennemi de soi??. Consultez les manuels scolaires de tous les syst?mes ?ducatifs du monde et vous verrez comment se construit une aversion de l?Autre, une haine de l?Autre, au mieux une indiff?rence ? l?Autre. Les images qu?y v?hiculent les soci?t?s les unes des autres?. Vous verrez comment les st?r?otypes, les mythes, agressent, d?sorientent, comment sont min?s de l?int?rieur tous les ?lans g?n?reux du ??vivre ensemble??. Le ma?tre d?couvre avec inqui?tude que, d?muni, il ne peut, seul, briser ce verrou si ancr? dans les syst?mes de formation dont il est lui-m?me le produit. Il a besoin, grand besoin d?outils didactiques que ne peut lui offrir qu?une refonte fondamentale de l?enseignement compar? des cultures, et des croyances. Il conna?t peu d?institutions d??ducation et de recherches, surtout de recherche qui s?investissent dans une ?tude compar?e des civilisations. Il est vrai que pour cela il faudrait enseigner la langue arabe, la langue ou les langues berb?res, la langue h?bra?que, la langue grecque, la langue latine, le sanscrit, l?aram?en, les langues modernes. Mais o? donc trouvera-t-il ces langues vivantes ou mortes enseign?es chez lui?? Et pourtant elles s?interp?n?trent, se parlent et se r?pondent jusque dans les textes fondateurs.

Le ma?tre, d?boussol?, renon?a ? donner une explication ? l?interrogation angoiss?e de l??l?ve d?courag?, qui s?enfermera dans une insondable solitude.

Solitude, annonciatrice de toutes les d?rives.