Affaire Raissouni : les dessous de la déclaration du département d’Etat américain - Par - Bilal TALIDI

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Dans la déclaration du département d’Etat, l’affaire Raissouni, contingente, n’est pas une fin en soi

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Immédiatement après l’annonce du verdict par la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca, condamnant le journaliste Soulaimane Raissouni à cinq ans de prison ferme, le département d’Etat américain s’est fendu, par la voix de son porte-parole Ned Price, d’une déclaration où il s’est dit «déçu» par le verdict rendu en raison, selon lui,  des violations des garanties d’un jugement équitable.

De même le porte-parole a considéré que «le processus judiciaire qui a conduit à ce verdict contredit la promesse fondamentale du régime marocain de procès équitables pour les personnes poursuivies par la justice ; et contredit la promesse de la constitution de 2011 ainsi que l’agenda de réformes de Sa Majesté le Roi Mohammed VI».     

Cette déclaration n’est pas venue en réponse à une quelconque question sur cette affaire, et de ce fait suscite nombre d’interrogations importantes quant à ses implications : Serait-elle le prélude d’une certaine conception de la nouvelle administration américaine ? Ou traduirait-elle la vision conventionnelle du Parti démocrate dans son rapport avec le Maroc, et sa propension à exploiter les questions des droits de l’homme, de la liberté d’expression et de la liberté d’organisation pour faire pression sur le pays ?

La réaction marocaine n’est pas venue d’où elle devrait normalement émaner, en l’occurrence le ministère des Affaires étrangères, mais du Parquet, c’est-à-dire l’instance compétente ayant fait l’objet de la critique, qui a rétorqué par un communiqué axé sur l’aspect procédural du problème.

Une autre réaction non-officielle est venue du responsable de la Délégation générale à l'Administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Salah Tamek, qui, affirmant réagir en sa qualité de « citoyen et ancien diplomate », s’est intéressé à l’essentiel, le volet politique du sujet. Sur un ton sévère, il a accusé les Etats-Unis de fourrer son nez dans une affaire en justice en vue d’influer sur son déroulement, et vilipendé la duplicité américaine en matière des droits de l’homme, évoquant «le mutisme de mort» à l’égard de ce qui se passe en Algérie et en Afrique du Sud, les deux pays traditionnellement hostiles à l’unité territoriale du Maroc.

A travers le communiqué du ministère public et la riposte de Mohamed Salah Tamek, la réaction marocaine semble conjuguer l’aspect procédural et la dimension politique sans ne rien attribuer au ministère des Affaires étrangères.

Cette approche à laquelle on recourt souvent quand on veut éviter de livrer une position susceptible de s’avérer couteuse, et en même temps se donner le temps de cerner tous les aspects de la situation, a besoin dans ce cas précis d’être revue, tant le sujet est sérieuse et concerne une affaire qui peut revêtir des dimensions d’ordre stratégique.

Le ministère des Affaires étrangères ne comprend que trop que la déclaration du porte-parole du Département d’Etat n’est pas une question accessoire ou fortuite, mais comporte des dimensions politiques multiples. 

La réaction adossée à la souveraineté judiciaire et la non-ingérence dans la justice, tout comme celle qui livre une réponse sur les aspects procéduraux garantissant le respect du jugement équitable, ne peut être qu’une réponse court-termiste s’apparentant à une réaction défensive. Sur le long terme, le plus probable est que la déclaration du Département d’Etat américain exige de Rabat l’évaluation sérieuse de sa portée et la compréhension exacte de ses implications dans cette conjoncture encore confuse.

Dans la déclaration du département d’Etat, l’affaire Raissouni, contingente, n’est pas une fin en soi. Elle constitue seulement le prétexte d’envoyer un message au Maroc selon lequel de nouveaux éléments sont désormais essentiels dans la définition des paramètres encadrant les rapports maroco-américains que des considérations stratégiques ne peuvent éluder.

Il semble que la nouvelle administration s’est retrouvée dans l’impossibilité de s’affranchir des engagements de sa précédente à l’égard du Maroc, et particulièrement la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Tout comme elle est dans l’incapacité de sacrifier les acquis stratégiques nés de l’accord tripartite signé à Rabat (Maroc-USA-Israël). C’est pourquoi elle tente de faire des droits de l’Homme, sa carte traditionnelle, un levier pour à la fois mettre la pression sur le Maroc, et marquer ses distances avec l’approche de l’administration Trump en matière de gestion des rapports avec Rabat.

La réaction que le Maroc a livrée jusqu’à présent, qu’elle soit officielle par la voie judiciaire ou non officielle, ne peut constituer une alternative rassurante sur la manière d’appréhender la politique américaine.

La meilleure manière de comprendre la déclaration du département d’Etat, serait de ne pas se fier à la langue de bois ou se contenter de l’aspect procédural, et encore moins d’en réduire toute la complexité uniquement à l’affaire Raissouni. Il serait plus judicieux d’aborder la question judiciaire dans sa globalité est d’en stopper la dégradation. De rétablir aussi le rapport entre le pouvoir et la presse de telle sorte à immuniser le Maroc contre toute exploitation américaine qui pourrait en faire un moyen de pression sur le Maroc ou être exploitée par des parties hostiles au Maroc pour faire pression sur l’administration américaine en vue de revoir sa reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.

 

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