Dans l'est de la RDC, réconcilier les jeunes avec les livres

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Co-fondateur de la société de production Nyiragongo Ngoma Production Martin Lukongo coupe le papier pour l'impression du livre « J'irai danser sur la tombe de Senghor » écrit par Blaise Ndala et réédité par Mlimani Editions dans l'imprimerie de la société de production à Goma, dans l'est de la République Démocratique du Congo, le 15 novembre 2024. (Photo PHILÉMON BARBIER / AFP)

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L'imprimante ne cesse de vibrer dans un coin de la pièce. Une commande de 400 exemplaires occupe l'imprimerie de Martin Lukongo à Goma, ville de l'est de la République démocratique du Congo, plus connue pour le conflit qui l'encercle que pour sa production littéraire.

Dans une région en proie aux violences depuis plus de trente ans, la lecture est un luxe jugé presque futile pour certains. Mais un collectif a entrepris de réconcilier les jeunes avec les livres en les produisant à Goma.

"Les écrivains préfèrent imprimer en Europe, car ils ne pensent pas pouvoir obtenir cette qualité ici", explique Martin Lukongo.

Or, malgré les coupures d'électricité et le manque de papier de qualité, ce photographe de métier arrive à imprimer une soixantaine d'exemplaires par jour.

Les acheteurs sont pourtant rares dans les quelques librairies de la ville. Le prix des livres importés d'Europe oscille habituellement entre 20 et 60 dollars.

"Très peu de jeunes peuvent accéder à ces livres, contrairement à d'autres produits comme la bière, en promotion chaque week-end", se désole Depaul Bakulu, l'un des fondateurs de la maison d'édition Mlimani.

Un "danger pour la jeunesse", selon lui, qui a conduit un collectif d'artistes et d'activistes à lancer une cagnotte en ligne pour financer la création de cette maison d'édition locale, qui propose des livres à un prix oscillant entre 5 et 10 dollars.

Un an et demi après son lancement, le catalogue Mlimani compte une dizaine d'auteurs édités ou réédités: Frantz Fanon, le Nobel Denis Mukwege et des romanciers, chercheurs ou essayistes, congolais en majorité.

Leur point commun: "des livres qui parlent de la culture des jeunes Congolais ou qui ont un rapport direct avec leur vie", explique Depaul Bakulu.

"On dit que les Congolais ne lisent pas, mais on s'est rendu compte que les problèmes étaient beaucoup plus liés à l'offre", poursuit-il.

"Se révolter" 

Les livres Mlimani sont distribués dans la plupart des grandes villes du Congo via un réseau de partenaires, qui vont chercher les lecteurs dans les écoles et les centres culturels, en y animant des séances de lecture collective.

Ce matin-là, ils sont une douzaine de curieux réunis dans un centre associatif du centre-ville de Goma pour débattre de l'une des dernières publications Mlimani: "L'histoire générale du Congo" par l'historien congolais Isidore Ndaywel E Nziem.

"L'idée, c'est surtout de se mettre autour d'une table et discuter des sujets qui nous concernent. Ca permet de diffuser le contenu sans obliger les gens à acheter le livre", explique Victor Ngizwe, un étudiant qui anime l'atelier.

Les participants sont des jeunes hommes en majorité, qui se décrivent comme engagés et espèrent trouver des outils intellectuels pour "se révolter et savoir ce qu'il faut faire de l'avenir" dans un pays plongé dans les conflits depuis des décennies, explique l'un d'entre eux, Steven Sikubwabo, étudiant en droit.

L'évocation des grandes pages de l'histoire du Congo par deux volontaires ne tarde pas à animer les débats. Une histoire majoritairement écrite par des auteurs étrangers, dans des livres publiés et vendus à l'étranger. Et rarement transmis aux nouvelles générations.

"A l'école, les enseignants nous martèlent l'histoire européenne. On ne parle pas de l'Antiquité africaine, on ne parle pas du Moyen-Âge en Afrique", regrette Gautier Barweba, artiste slameur.

"Dans chaque civilisation, le passé sert de miroir au présent. Nous avons besoin de construire des mythes qui peuvent nous unir", abonde Victor Ngizwe.

Les auteurs congolais jugés plus "patriotes" ou davantage à même de partager le "ressenti" des lecteurs sont ainsi plébiscités.

D'autres projets de maisons d'éditions locales sont apparus après Mlimani.

"C'est encourageant pour les jeunes lecteurs, mais aussi pour ceux qui sont prêts à écrire", se félicite Martin Lukongo. "Vous n'êtes pas obligés d'envoyer vos livres ailleurs pour pouvoir les vendre ici". (AFP)

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