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En Algérie les juges ne sont pas confinés, la répression contre le Hirak continue
La pandémie de Covid-19 n'empêche pas la justice algérienne de punir militants du Hirak et journalistes : une figure de la contestation a écopé lundi d'un an de prison ferme, et d'autres risquent de lourdes peines alors que le mouvement est en suspens.
Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement-Actions-Jeunesse (RAJ), une association citoyenne à la pointe du mouvement ("Hirak") populaire anti régime, a été condamné pour "atteinte à l'intégrité du territoire national".
L'universitaire de 39 ans est en détention provisoire à la prison d'El Harrach à Alger depuis son arrestation le 10 octobre, alors qu'il participait à un sit-in de soutien aux détenus d'opinion.
En fait, il avait exprimé son opinion et critiqué la répression contre le "Hirak", selon les associations de défense des droits humains.
"Le pouvoir profite de la pandémie mondiale pour accentuer la répression, à huis clos, comme il a l'habitude de le faire. Nous allons faire appel" de ce verdict, a déclaré à l'AFP Hakim Addad, membre fondateur du RAJ.
Lui-même détenu au nom du "Hirak" pendant plus de trois mois, il estime que la condamnation de M. Fersaoui a été prononcée par des magistrats "qui sont au service d'un pouvoir dictatorial, policier et militaire".
"L'acharnement judiciaire se poursuit contre les activistes et les détenus en cette période de confinement des citoyens", a renchéri le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien, sur sa page Facebook.
"Fleuve de la démocratie"
lors du procès, tenu le 23 mars au tribunal de Sidi M'hamed à Alger, à huis clos à cause de la pandémie de Covid-19, le procureur avait requis deux années derrière les barreaux.
Durant l'audience, Abdelouahab Fersaoui avait rejeté les accusations.
"La justice a fondé son accusation sur mes publications sur mon compte Facebook. Ces publications, dont je suis responsable, ne menacent pas l'unité nationale ni n'incitent à la violence", s'était-il défendu, selon le RAJ.
"Le fleuve de la démocratie a été détourné après les événements d’octobre 1988 (de violentes émeutes à travers l'Algérie qui ont mis fin au règne du parti unique FLN, NDLR), j’espère qu’il ne sera pas détourné une autre fois après le Hirak du 22 février 2019", avait-il écrit, en référence au soulèvement pacifique ayant ébranlé le pouvoir jusqu'à sa suspension fin mars à cause de la crise sanitaire.
"Condamner un militant à une année de prison ferme pour avoir exprimé son opinion pacifiquement sur Facebook en pleine crise sanitaire est inadmissible et scandaleux", a réagi Amnesty International dans un communiqué.
"On est abasourdi. On attendait sa libération, ou tout au moins une condamnation à six mois, une peine qu'il a déjà purgée", a expliqué à l'AFP Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH).
"Cette condamnation confirme notre inquiétude quant au risque d'escalade de la répression", a-t-il observé.
"Ni démobilisation, ni apaisement"
Si le président Abdelmadjid Tebboune a gracié la semaine dernière plus de 5.000 prisonniers, cette mesure de clémence n'a bénéficié à aucun des détenus du "Hirak" en attente de jugement.
Et, malgré la pandémie du nouveau coronavirus (152 morts et 1.320 cas déclarés en Algérie), la machine judiciaire continue de sévir.
Parmi les personnalités incarcérées les plus connues d'un mouvement qui se veut sans chef figure le journaliste indépendant Khaled Drareni, arrêté après avoir couvert une manifestation à Alger.
M. Drareni, correspondant de Reporters sans frontières (RSF) en Algérie, est en détention préventive depuis le 29 mars.
Deux autres journalistes sont derrière les barreaux, Sofiane Merakchi et Belkacim Djir.
Quant au militant Karim Tabbou, une figure emblématique de la contestation, déjà condamné à un an de prison ferme, il doit comparaître le 27 avril dans un autre procès, accusé cette fois d'"atteinte au moral de l'armée", a précisé lundi son avocate.
Mais il y a aussi des détenus d'opinion moins connus.
Selon le dernier décompte du CNLD, 44 personnes sont actuellement en détention pour des faits liés au "Hirak".
Pour autant, les procès à venir vont "maintenir le Hirak" et n'entraîneront "ni démobilisation ni apaisement", assure M. Salhi, de la LADDH. Bien "au contraire".