Culture
27ème SIEL : Un livre de Aicha Belarbi, ''MÈRE OU MARÂTRE'', Les enjeux migratoires en Méditerranée - Par Mustapha SEHIMI
L’ouvrage de Aicha Belarbi s'articule autour de plusieurs parties. Après une présentation du cadre théorique et méthodologique, suit "La Méditerranée en mouvement". Un espace historique de migrations qui aujourd'hui accuse une fracture entre les deux rives.
Dès le préambule, le ton est donné : voilà bien une nouvelle ère migratoire qui supporte bien des hypothèques. Elle traduit des inégalités Nord-Sud; et charrie aussi des questions culturelles telles que la religion, la place de l’Islam dans les pays d'accueil avec son corollaire qui a pour nom l'islamophobie ; elle est ici appréhendée au prisme de la Méditerranée; elle met à plat de manière interpellative le discours officiel convenu sur le partenariat euro-méditerranéen présenté volontiers comme référentiel et vecteur de "Paix, de stabilité et de prospérité partagée".
Aicha Belarbi met à plat de manière interpellative le discours officiel convenu sur le partenariat euro-méditerranéen présenté volontiers comme référentiel et vecteur de "Paix, de stabilité et de prospérité partagée".
Une problématique qui s'est intensifiée et complexifiée s'apparentant à "une inquiétude profonde (qui) ronge les pays des deux rives". Le Maroc est partie prenante dans cette équation n'étant plus tellement un pays de transit mais d'accueil. Il se distingue d'ailleurs dans le lot par une stratégie nationale multidimensionnelle (régularisation, intégration).
Dynamique triangulaire...
Cela dit, cet ouvrage s'articule autour de plusieurs parties. Après une présentation du cadre théorique et méthodologique, suit "La Méditerranée en mouvement". Un espace historique de migrations qui aujourd'hui accuse une fracture entre les deux rives. Le discours officiel convenu est celui d'"un avenir commun, de paix, de sécurité et de prospérité partagée". De fait, n'est-ce pas surtout les questions sécuritaires qui priment ? En tout cas, pour ce qui est des pays maghrébins, l'on voit une reconfiguration des espaces de mobilité. Ainsi, une dynamique triangulaire des migrations en Méditerranée prévaut entre l'Afrique, les pays du Maghreb et l’Europe ; elle est devenue structurante. Elle pose aussi le problème de la sécurité des personnes en mer. C'est qu'en effet l'accès à l'Europe est devenue " le chemin de la mort", une situation relevant de la responsabilité des Etats qui ont cette charge de protection. Or, il faut bien noter à cet égard que l'Europe opte davantage pour une "guerre contre l'immigration clandestine" en mettant en œuvre des dispositifs appropriés (marine, aviation, police). La dimension humanitaire est battue en brèche ; surtout, la question des migrants interfère de plus en plus dans la politique intérieure avec une instrumentalisation électorale et populiste.
L'idée d'une migration circulaire - ou migration choisie - est mise en avant dans la perspective d'une approche globale. Or, aujourd'hui elle tourne à une migration des compétences. Elle permet de réduire la pénurie de main-d’œuvre dans l'UE ( en Allemagne surtout) et elle bénéficie de l'intérêt de l'UE; elle substitue à l'installation définitive dans les pays d'accueil un séjour temporaire avant le retour dans le pays de départ. Reste sa faisabilité, les migrants préférant demeurer sur place, dans les pays hôtes...
L'"Europe forteresse".
L'ouvrage s'attache, par ailleurs, à présenter la migration marocaine en Espagne, la migration féminine Sud- Nord Méditerranée multiforme (femmes résidantes, temporaires, saisonnières, …), avec plus des deux tiers d'entre elles dans les secteurs des services. C'est là, assurément, un facteur positif en sens qu'elles sont des agents de développement économique tant pour les pays d'origine que de destination. La protection des travailleurs migrants et de leurs familles doit être assurée alors que la Convention dédiée n’a été signée par aucun des pays européens.
Pour autant, plusieurs étapes ont marqué la réglementation européenne des flux migratoires dans un sens de plus en plus restrictif. Aujourd'hui, ce qui est à l'ordre du jour se fonde sur le Pacte sur l'immigration et l'asile. Ce texte traduit une nouvelle modalité de la politique de la "migration choisie" ; il se propose d'instaurer une gestion plus maîtrisée. Présenté en juillet 2008 au Conseil européen de Cannes, à l'initiative du président français Sarkozy, il repose sur plusieurs engagements qui participent d'une approche d'"Europe forteresse", repliée sur elle-même. Difficile de le nier : une politique où le contrôle de la gestion migratoire est couplé avec la restriction du droit d'asile en même temps qu'elle se soucie de l'arrivée de nouveaux travailleurs surtout qualifiés, répond à une double préoccupation utilitariste et sécuritaire. Comment, dans ces conditions, peut-on élaborer et mettre en œuvre une politique de coopération. Pour l'heure, celle-ci est surtout tournée en aval des mouvements migratoires ; elle ne traite pas vraiment les causes de ce phénomène. Et puis, ceci : quelle place et quel rôle donner à la migration dans le dialogue interculturel et interreligieux ? Les pays européens de la rive Nord de la Méditerranée sont à dominante chrétienne tandis que ceux de la rive Sud sont musulmans. Une donnée à élargir à l'altérité séculaire, millénaire même, entre l'Islam et l'Occident.
Sur toutes ces questions, Aicha Belarbi nous livre un ouvrage de référence servi par son cursus universitaire, son parcours politique et diplomatique et ses travaux de recherche sur des questions de société - celles de l'éducation, le genre, le dialogue des cultures, la migration, les droits des femmes, la démocratie, les droits humains...
*Editions " La Croisée des Chemins", Casablanca,337 p.