8 MARS: UN ENJEU DE SOCIÉTÉ - Par Mustapha SEHIMI

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Où en est-on ? Quel était l'état des lieux ? Et quelles sont les nouvelles avancées à entreprendre ? Ce qui est le débat de fond posé à la commission ad hoc désignée par le SM le Roi dans sa lettre au Chef de gouvernement dans sa lettre du 26 septembre dernier peut se résumer comme suit: reconstruire le Code de la Famille sur les valeurs d'égalité et de coresponsabilité entre hommes et femmes avant le mariage, pendant le mariage et après la dissolution de ce lien en cas de divorce.

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Voilà la célébration ce 8 mars de la Journée Internationale des Femmes qui se présente cette année sous un signe particulier : celui de la refonte de la Moudawana, le Code la Famille en cours de finalisation. L'espoir est grand, vingt ans après celui de 2004. 

Des avancées ont été enregistrées depuis, la plus importante étant la Constitution de 2011 qui a consacré ces normes : le principe d'égalité hommes-femmes, la parité, l'interdiction de toutes formes de discrimination entre les femmes et les hommes et l'engagement de l'Etat à protéger et à promouvoir les droits humains dans leur indivisibilité et leur universalité. Il faut ajouter autre chose dans ce même registre: la réforme du code de la nationalité en 2007 et la loi favorisant l'accès des femmes aux postes de responsabilité dans les secteurs privé et public. 

Harmonisation législative

Où en est-on ? Quel était l'état des lieux ? Et quelles sont les nouvelles avancées à entreprendre ? Ce qui est le débat de fond posé à la commission ad hoc désignée par le SM le Roi dans sa lettre au Chef de gouvernement dans sa lettre du 26 septembre dernier peut se résumer comme suit: reconstruire le Code de la Famille sur les valeurs d'égalité et de coresponsabilité entre hommes et femmes avant le mariage, pendant le mariage et après la dissolution de ce lien en cas de divorce. 

Cette commission a beaucoup travaillé, écouté tout le monde, reçu des dizaines de memoranda ; elle en est aujourd'hui au dernier stage de la synthèse devant être achevée à la fin de ce mois de mars, délai ultime qui lui a été fixé. Il importe de mettre fin à ce paradigme du Code de la Famille actuel qui est basé en droit et en fait sur la prééminence masculine avec son corollaire de discriminations. L'exemple le plus flagrant de cette situation est l'exclusivité de la tutelle légale confiée au père sur les enfants. A cet égard, il est considéré comme le chef de famille et il bénéficie d'allocations et d'indemnités diverses et ce au nom des enfants et de la famille. L'orientation royale vise à corriger cette différence de traitement avec ses multiples prolongements dans la vie familiale et sociale. Elle porte l’également sur la nécessité d'opérer la mise en conformité et l’adéquation du Code de la Famille avec l'évolution et les réalités de la société marocaine depuis une vingtaine d'années. Une harmonisation éligible aux standards et aux normes des instruments internationaux ratifiés par le Maroc. 

Par secteurs, un tableau permet de voir sans doute les progrès dans cette perspective d'égalité mais aussi un différentiel entre femmes et hommes. Ainsi l'accès à l'éducation reste encore inégalitaire. Le taux de féminisation des inscrits par cycle en atteste: un écart de plusieurs points dans le primaire et le secondaire alors que dans l'enseignement supérieur il est réduit et même à l'avantage des filles dans le public (53%) et 59% dans les écoles supérieures et les instituts. L'accès à l'emploi est bien plus contrasté: un taux d'activité de 92 % chez les hommes diplômés (25-59 ans) mais seulement de 38 % chez les femmes. Dans le rural, le taux de scolarisation est de 50% pour les garçons et de 39% pour les filles. La situation des NEET (ni études, ni emploi ni formation) est encore plus significative avec 76% des filles… 

Femmes leadership et... violences.

Avec l'examen du leadership féminin, voilà qui pose le problème du "plafond de verre" qui persiste comme si c’était là pratiquement une donnée structurelle. Il faut rappeler que l'objectif numéro 5 des 17 fixés dans la Stratégie de développement durable des Nations Unies sur la réduction des inégalités entre les sexes reste fortement insuffisant. La participation des femmes aux fonctions de décision peine autour de 20 %- elle a même reculé de trois points par rapport à 2020. Le HCP a estimé à 13 milliards de DH la baisse de PIB induite de ce fait en ce qu'elle n'améliore pas la capacité de production ni la croissance. Seuls 13% des entreprises sont dirigées par des femmes, 23 % dans le secteur public, 20 % des membres de la Chambre des représentants et 21 % des membres des conseils locaux et régionaux. Il faudra voir comment se fera l'application de la loi du 31 juillet 2021 sur l'égalité hommes-femmes dans les instances de direction des entreprises.

Il convient également de se préoccuper des violences faites aux femmes. Une étude du HCP est alarmante à cet égard : 8 femmes sur 10 (15-75 ans) ont subi au moins une fois des actes de violence. Ils sont de diverses formes, physique, verbale, psychologique, économique et sexuel, sans oublier la violence électronique (cyberharcèlement, sexting, usurpation d'identité,...). Le dispositif juridique de sanction en vigueur est la loi 103-13 mais elle présente encore des insuffisances (prévention, protection, prise en charge des victimes). A noter le retard lié à la mise en place de l'Autorité pour la lutte contre toutes les formes de discrimination alors que ses textes d'application ont été promulgués depuis des années... 

Avec la question de l'héritage, n'est-ce pas du lourd , si l’on ose dire, pour la commission consultative en place depuis plus de cinq mois ? C'est l'institution traditionnelle du "Taâsib" qui est en question. Sera-t-elle revue et corrigée? Il faut rappeler les termes de ce principe : dans une fratrie, et s'il n'y a que des filles, sont également des ayants droit les parents masculins les plus proches (oncles, cousins ou autres). Une situation qui, elle, a été abolie en Tunisie. Une situation on ne peut plus inégalitaire, inéquitable. Il faut y ajouter un autre principe non plus coutumier mais coranique celui de "Quiwamah", l'homme héritant le double de la femme. La polygamie va être certainement réexaminée quelque (20.000 autorisations annuelles accordées), celle du mariage des filles mineures aussi 13.652 en 2022 et 8.452 en 2023)  mais la parité en héritage est d'une autre teneur. Selon un sondage de  l'enquête L'Économiste-Sunergia d'août 2022, 69% des Marocains y sont opposés et seulement 23% y sont favorables. A noter que 65% des femmes soutiennent l'inégalité actuelle du droit d'héritage contre 29 % d'un avis contraire. En l'état, il faut préciser qu'il y a des procédures de contournement dans les familles où il n'y a pas de descendants masculins avec notamment le legs testamentaire limité à 30 %, ou encore la vente fictive, la donation avec réserve d’usufruit. La société, pourrait-on dire, s'adapte à sa manière.

Valeurs et modernité

La mouvance islamiste, avec Abdelilah Benkirane secrétaire général du PJD, est vent debout contre toute réforme du droit successoral de l'héritage. Elle invoque l'argument scripturaire, coranique, en faisant le procès en règle des ONG féministes et des propositions de la gauche progressiste (PPS, USFP) laquelle a adopté une position unitaire en la matière. L'on verra dans les prochaines semaines jusqu'où va aller le curseur du projet de la commission. 

A n'en pas douter, c'est un enjeu de société qu'il faudra bien appréhender dans tous ses aspects et finalement arbitrer. Bien des différenciations se sont atténuées depuis une bonne d'années sur des questions programmatiques d'options et de politique économique: la succession de majorités en atteste suffisamment -PJD et RNI à la tête des cabinets et des configurations variables. Un tronc commun avec des inflexions est le trait de cette pratique institutionnelle. Mais sur la problématique des valeurs, le consensus reste insuffisant et même défaillant : la modernité est confrontée au conservatisme. La réforme du Code de la Famille va polariser une épreuve sociétale clivante. La dialectique politique doit aider à surmonter cette séquence. Coûte que Coûte...