chroniques
La Polysémie de Rachid
*?Sociologue et activiste associatif, Driss Ajbali est membre du Conseil de la communaut? marocaine ? l??tranger
Chez Rachid Benzine se d?gage une forme de contemplation spirituelle. ?Et quand il dit ??il ne faut pas croire aux hommes de religion. Il faut croire aux hommes de Dieu??. Il y a comme une sublime s?paration entre la foi et l?usage qui en fait. Quand les hommes de religion font n?goce avec la foi, les hommes de Dieu dont, ? mes yeux Rachid fait partie, essayent de l?interroger, non pas pour s?en ?loigner mais pour mieux s?en approcher. Les hommes de Dieu ne trichent pas. ?
Rachid c?est avant tout et surtout un intellectuel. Circonstance aggravante pour lui, il a fait du Coran un objet d??tude. Il peut d?autant moins tricher qu?il use, pour cela, de ?l?herm?neutique. Il d?ploie un cocktail d?outils scientifiques o? se m?lent philosophie, histoire et linguistique. Il introduit la rigueur dans un domaine r?serv? ? la foi d?f?rente et disciplin?e. Il allume des torches dans les tr?fonds du texte sacr?, quitte ? commettre ce que les obtus qualifient de sacril?ge.
Il y a du Rachid l?immigr?. Il a un complice depuis toujours. C?est le p?re Delorme, cet autre homme de Dieu comme on en fait plus. Le nom du p?re Delorme est pour l??ternit? li? ? l?histoire de l?immigration maghr?bine en France. Il est celui qui, le premier, a accompagn?, en 1983 la marche des beurs. Tous musulmans, qualit? qu?? l??poque on ne brandissait pas. C?est par son interm?diaire que la marche des ces jeunes, en majorit? alg?riens, devint, dans un m?lange de Gandhi et de Martin Luther King, une odyss?e impr?gn?e de valeur de paix, d?amour du prochain et de tol?rance. Des politiques cyniques, pour ne pas dire v?reux, ?l?ont soigneusement ?cart? apr?s avoir fait main basse sur son ?uvre.
Rachid, c?est aussi un enfant de France. Un enfant de Trappes. Cette ville de son enfance a une ?r?putation sulfureuse. Mais c?est aussi la ville qui, au m?tre carr?, a donn? quelques ?toiles parmi les plus scintillantes du firmament Fran?ais?: Jamel Debbouzze, Omar Sy, Nicolas Anelka. Tous des enfants d?immigr?s et de la diversit?. Ce sont ses copains d?enfance. Ils ont connu chacun dans son domaine, qui dans le football, qui dans le cin?ma, de sublimes destins. ?Rachid Benzine n?en a que plus de m?rite. ?Lui il fait le choix d??tre un rat de biblioth?que. Par son parcours, son travail, il d?ment la th?orie de la panne de l?ascenseur social. Celle qui veut qu?on soit vou? ? l??chec parce que enfants d?immigr?s ou qu?on provient d?un quartier difficile. L?enfant de Trappes a aujourd?hui l?oreille de Fran?ois Hollande, pr?sident de la R?publique?; de Bernard Cazeneuve, ministre de l?Int?rieur et du premier ministre, Emanuel Valls. Rien que ?a.
Il y a enfin Rachid le marocain. Celui qui cultive sa marocanit? de fa?on discr?te et intime. Cela tient, chez lui, ? des choses insignifiantes. Mais tellement importantes?: Un petit plat aux saveurs uniques?; la derni?re blague, m?me salace, qui circule?; un verre de th? ? la menthe? les petites braises de la nostalgie. Les institutions marocaines connaissent tr?s bien Rachid Benzine. Elles ne l?ont jamais pr?sent? au Roi. Il me revient, qu?il y a deux ans, un ?livre, m?diocre et douteux, ?crit pas un personnage pas moins douteux, a ?t? pourtant pr?sent? ? sa Majest?. Il me revient que pour r?aliser, avec France 2, un petit film, sublime d?intelligence, Rachid a eu tout le mal du monde pour boucler son budget en qu?mandant des bouts de ficelles. Une mis?rable subvention. C?est avec le m?me acharnement qu?il a essay? d?aider d?autres initiatives pour aider d?autres Marocains de l?immigration? En vain.
Alors oui. C?est avec bonheur que j?ai appris que Sa Majest? s?int?resse aux livres de Rachid Benzine. Oui. En ce moment de tumultes et de fureur que vit l?Islam, il est heureux et imp?rieux que le Commandeur des croyants rencontre un intellectuel de cette trempe qui nous initie ? une autre lecture de l?Islam. Il y a assez d?hommes de religion qui font commerce avec la foi des gens. On en a assez aussi.