*Ancien ministre, ancien repr?sentant du Maroc ? l?ONU, ex-pr?sident de l?universit? Hassan II-A?n Chok de Casablanca, Aziz Hasbi est enseignant
Elle ?tait l?, absorb?e par le bruit des vagues, se pr?tant de bonne gr?ce ? la brise marine qui caressait ses joues et s?chait le henn? dont elle enduisait sa longue chevelure de jais. Son regard ?tait lointain, presque vide. Elle tressaillit l?g?rement en constatant ma pr?sence. Mais sans laisser appara?tre un quelconque trouble.
-??Tends ton index droit?: je vais t?y tracer quelques uns des symboles de ces hauts lieux que tu ignores peut-?tre??, me chuchota-elle comme si elle continuait un entretien d?j? entam?.
Obnubil? par sa beaut? et berc? par sa voix, je m?ex?cutai tout en protestant sans conviction?:
- ??Mais le henn? est r?serv? aux dames???.
Elle r?torqua avec douceur?:
-??Ne dit-on pas que le Proph?te en mettait??!??.
-??Mais, r?pondis-je, je ne suis qu?un vulgaire passant attir? par je ne sais quel magn?tisme???.
-??C?est mon magn?tisme qui a guid? tes pas jusqu?? moi. Je t?attends depuis la nuit des temps. Regarde autour de toi?: c?est le cimeti?re o? j?ai enterr? les compagnons qui m?ont aid? ? patienter. Leurs ?mes sont l? qui chantent de joie de te voir venir les lib?rer. Elles secouent les gouttelettes de la bruine que les vagues ont fait pleuvoir sur elles depuis un temps qui ne se laisse plus compter en nombre d?ann?es, mais en soupirs et en promesses??.
-??Mais qui es-tu????, suppliai-je.
??Je suis la l?gende que se transmettent les r?veurs de toutes les ?poques. Je suis la gardienne des lieux o? se r?fugient les p?cheurs traqu?s par les d?mons de la mer lorsqu?elle se d?cha?ne? Je t?attends pour te transmettre le secret de la ville enfouie depuis des temps imm?moriaux???.
-??L?Atlantide?!??, avan?ai-je.
-??Non. Nous sommes ? la pointe du Cap de toutes les rencontres et de toutes les merveilles. Ma ville s?appelle Tighaline. Certains voyageurs et quelques historiens ont colport? des bribes approximatives ? son propos. Je vais t?y conduire lorsque le henn? aura s?ch頻.
Elle m?invita ? me mettre ? ses c?t?s, se serrant contre moi. Elle me dit chercher ? r?chauffer un corps transi par les intemp?ries de si?cles d?attente. Elle me dit encore que j??tais pr?destin? ? ?tre le r?cipiendaire d?un Savoir unique. Mon ?tre tremblait d??motion et palpitait devant cet inconnu imminent. Je craignais et je b?nissais le moment d?acc?der ? ce monde myst?rieux que cette v?nust? me promettait.
Puis, soudain, elle enferma ma main dans la sienne et me guida sur les rochers. La douceur de ce contact, qui me transmettait les vibrations de son c?ur fougueux, et les effluves que d?gageaient ses tresses tapissaient mon chemin. Je voguais comme sur des nuages, ignorant avec superbe les agressions des pointes des rochers contre mes pieds nus. Elle marqua un arr?t et je m?accroupis comme elle sur l?eau, jusqu?? presque y immerger mes l?vres.
Elle se redressa d?un coup et fit sur un ton de commandement qui tranchait avec la douceur dans laquelle elle m?avait envelopp? jusque-l??:
-??Bois?!??.
Aucun son ne sortit de ma bouche tant j??tais surpris, incr?dule et r?volt? par cette volte-face.
-??Bois par la volont? de lalla Tassaout*. Bois la mer pour d?couvrir le chemin menant au c?ur de Tighaline??. J?allais lui r?torquer que je ne savais pas lire, fr?lant inconsciemment le sacril?ge en croyant m?adresser ? l?Ange Gabriel? Puis je me rattrapai?:
-??Mais vous me demandez l?impossible?! Je ne suis qu?un humain? Et puis, qui est cette lalla Tassaout????.
-??C?est moi, laissa-t-elle tomber plus sereinement. Je ne te demande rien de plus que ce que tu es capable de faire. Tu es plus que tu ne penses ?tre. Tu es l??lu, le seul ? qui il est permis de p?n?trer le secret de la ville enfouie. Bois, tu peux le faire?!??.
Et je bus sans discontinuer, jusqu?au moment o? elle fr?la mon ?paule, mettant fin ? ma t?che titanesque. Je relevai la t?te, d?couvrant en face de moi un paysage fantastique. Je me laissai guider par mon ange gardien, ? travers un chemin sinueux mais balis?. Nous about?mes ? un escalier, trac? ? m?me la roche, qui nous conduisit, ? travers des d?dales interminables, ? une porte ferm?e qui c?da sous une l?g?re pression de la main fr?le qui l?cha la mienne pour accomplir son geste leste mais s?r.
Je fus ?bloui par la lumi?re qui se d?gageait de la magnificence d?une cit? brillante qui semblait avoir astiqu? ses ors et d?cor? ses fa?ades pour f?ter notre arriv?e. Une l?g?re m?lodie se d?gageait des rues d?sertes, mais vivantes comme si leurs habitants ?taient juste affair?s ? l?int?rieur de chez eux. Des senteurs paradisiaques -ce fut comme cela que j?imaginai l?Eden- caressaient mes sens. Une sensation, jusque-l? in?dite pour moi, envahit mon c?ur. S?r?nit?, amour, douceur, confiance, fiert?? se partageaient tour ? tour mon ?me.
-??C?est le paradis????, demandai-je timidement.
-??C?est Tighaline, la ville immerg?e et oubli?e depuis l?aube du temps. On en parle. Mais seuls les p?cheurs esseul?s ont, de temps ? autre, senti une force sous la coque de leur embarcation au moment de passer au-dessus de ses eaux??. ??C?est le c?ur palpitant de la po?sie??, ajouta-t-elle.
-??Mais lalla, pourquoi moi????.
-??Parce que tu es l?ami de la po?tesse? Je t?ai r?serv? une surprise???.
Je fus soudain tir? de mon sommeil par ma femme, alert?e par mon agitation. J??tais en train de m?accrocher pour continuer mon r?ve afin de d?couvrir la surprise qui m??tait destin?e. En vain. Il fallait revenir au monde r?el? Peut-?tre ce r?ve ?blouissant daignera-t-il me visiter de nouveau une nuit, et de renouveler la magie de ma fascination le temps d?un sommeil paradoxal.
Cette vision est rest?e rebelle ? toute tentative d?interpr?tation. Il y a une sentence du Talmud selon laquelle ?? Un r?ve non interpr?t? est comme une lettre non lue??. Ce genre de missive ne se lit en effet pas, mais se niche dans un coin du c?ur pour alimenter, telle une dynamo, les relents ?ternels d?une vision ineffable. C?est une fen?tre ouverte sur le monde enchant? des histoires fantastiques qui peuplent les soir?es bruin?es et phosphorescentes des p?cheurs qui hantent le sahel, pays de ma m?re. Enfant, j?en ?coutais religieusement les bribes qui se glissaient inopin?ment dans les contes maternels. Ceux-ci ?taient certainement charg?s d?une certaine dose de nostalgie. Ma m?re avait ?t? contrainte de quitter son littoral pour rejoindre son mari dans l?arri?re-pays des Abda?; mais elle avait continu? ? entendre le bruit des vagues dont la force et la cadence s??taient fix?es ? jamais dans sa t?te au fur et ? mesure des p?lerinages qu?elle faisait toute jeune ? Sidi Boucascsou, Sidi Bouchta et Lalla fatna M?hammed, voisins et coll?gues de Lalla Tassaout. Les sanctuaires terrestres qu?elle visitait dans son nouveau monde, n?avaient jamais pu lui apporter la baraka humide de ses saints maritimes.
*Selon la l?gende, Lalla Tassaout est la protectrice des marins. Son sanctuaire se trouve sur la plage, ? quelques centaines de m?tres du phare du Cap Beddouza (Cantin)
