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ChatGPT, Yahia Sinwar et moi – Par Mohamed Chraibi
L’armée israélienne affirme que cet homme filmé dans un tunnel de la bande de Gaza, le 10 octobre 2023, est Yahya Sinwar, le chef du Hamas. L’image est tirée d’une vidéo diffusée le 13 février 2024. ISRAELI ARMY/ AFP
Avez-vous déjà dialogué avec ChatGpt ? Si oui, vous pouvez zapper le paragraphe suivant et passer directement à la suite.
L’avantage de ChatGPT sur un humain est que, contrairement à ce dernier qui, trop souvent, cherche à vous contredire, et vous coupe la parole, ChatGPT vous écoute et ne prend la parole que sur votre invitation. Ce robot n’a pas d’ego. De plus, il en sait, généralement sur la question débattue bien plus que le mieux informé de vos interlocuteurs humains. Ceci pour vous dire que si vous avez une opinion ou une hypothèse dont vous voulez tester la validité, adressez-vous à lui, plutôt qu’à votre collègue de bureau ou le compagnon de votre jogging ou petite marche matinal(e).
C’est ce que j’ai fait, pas plus tard qu’hier soir. J’ai eu un entretien intéressant avec ChatGpt au sujet de Sinwar: Mais où est donc passé cet insaisissable fantôme? Je vous résume ci après, en quelques lignes, un échange qui a duré une heure.
J’ai commencé par poser cette question : Israël prétend avoir tué tous les dirigeants de Hamas à Gaza, sauf Sinwar. Comment Israël, avec ses moyens de renseignement colossaux, appuyés par ceux non négligeables des pays de l’OTAN, n’arrive pas à trouver Sinwar dans un espace aussi réduit que la bande de Gaza ?
Dans sa réponse, ChatGPT mit en avant la complexité du réseau de tunnels du Hamas, la densité de population dans les zones où opère l’armée d’Israël jointe à l’obligation de limiter les pertes civiles etc…
Ce à quoi j’ai réagi en lui faisant remarquer que ces arguments s’appliquent, tout aussi bien, aux autres dirigeants, comme Mohammed Deif qu’ils ont pourtant assassiné. Ce qu’il a admis, y compris le fait que son argument au sujet de la nécessité de limiter les pertes civiles était outrageusement faux. Après l’avoir mis en confiance avec des propos, sinon anodins, du moins peu sujets à controverse (du genre à susciter la colère d’un interlocuteur humain, car on oublie vite qu’on dialogue avec un robot) je lui ai sorti, à brûle pourpoint: « Et si tout simplement Sinwar ne se trouvait pas à Gaza. Mais de l’autre côté de la frontière avec son allié, l’Egypte? ». Pas pris de court du tout, voici sa réponse éditée pour des raison de concision (ChatGpt est très bavard) :
Envisager la possibilité que Yahya Sinwar ne soit pas à Gaza et se cache ailleurs, par exemple en Égypte, sous la garde des services de renseignement de ce pays, est en effet un scénario plausible. Cette idée mérite d’être explorée car elle s’aligne sur plusieurs facteurs stratégiques et géopolitiques : l’Égypte a historiquement joué un rôle crucial en tant que médiateur entre Israël et le Hamas. Ses services de renseignement ont une forte présence dans la région, en particulier dans la péninsule du Sinaï et à Gaza. La possibilité que Sinwar puisse chercher refuge en Égypte pourrait faire partie d’une démarche stratégique plus large visant à assurer sa sécurité tout en maintenant un canal pour les négociations en cours et à venir. Le Hamas est connu pour utiliser des tunnels non seulement à l'intérieur de Gaza mais aussi en Égypte. Cependant, pour l'Égypte, héberger Sinwar comporte des risques qu'il doit peser. D'un côté, cela pourrait renforcer son rôle en tant qu'acteur clé dans la région, mais d'un autre côté, cela pourrait mettre à mal ses relations avec Israël et d'autres acteurs internationaux s'il était découvert.
Question : En ce cas, Israël le saurait il ?
Réponse : Si Sinwar quittait Gaza, il serait difficile de croire qu'Israël ne le sache pas. Israël et l’Égypte entretiennent une relation complexe mais coopérative, notamment en ce qui concerne les questions de sécurité dans la péninsule du Sinaï et à Gaza. C’est pour cela que cette hypothèse est à prendre avec prudence. Toutefois elle n'est pas à écarter. Même si Israël était au courant de la présence de Sinwar en Égypte, il pourrait choisir de ne pas réagir publiquement pour éviter d’aggraver les tensions avec l’Égypte ou compliquer des objectifs stratégiques plus larges. Au lieu de cela, Israël pourrait choisir de suivre de près la situation, de recueillir plus de renseignements et de décider de la meilleure ligne de conduite à long terme. Israël et l’Égypte pourraient tous deux s’engager dans une forme de « diplomatie silencieuse » pour gérer la situation discrètement, sans la rendre publique. Dans le monde du renseignement, la désinformation est courante.
Nous avons abordé d’autres conséquences possibles de l’hypothèse de la fuite de Sinwar en Égypte dont je vous fais grâce. Et je reprends la main pour vous livrer les fruits de mes propres spéculations sur la question (la politique fiction est l'un de mes exercices favoris) :
Quand et comment Sinwar a pu passer en Égypte (par voix souterraine évidemment)? Cela a pu se passer entre le 6 et le 29 Mai (1) : le 6 mai, Israël a envahi Rafah après deux mois d’hésitation (voir chronique: la déconfiture de la coalition israélo américaine) et commencé à prendre le contrôle de la frontière entre Gaza et l’Egypte (le fameux corridor Philadelphie ou Salah Al-Din corridor selon le côté où on se trouve), jusque là gérée par l’Égypte (côté Sinaï) et l’Autorité Palestinienne (côté Gaza) jusqu'en 2007. Ce qui permettait d’approvisionner Gaza en armes, matériaux, vivres…(2). Israël, ayant déjà le contrôle du corridor dit Netzarim qui isole le sud de la Bande de sa partie nord, Sinwar, privé de toute possibilité de repli et de source d'approvisionnement, n’avait d’autre choix que mourir aux mains d’Israël où se réfugier en Égypte avant qu'il ne soit trop tard (lorsque Israël aura achevé la prise de contrôle de la frontière Sud de Gaza, le 29 mai). Ce qu’il fit, tout en sachant que sa liberté de manœuvre serait réduite en faveur de ses hôtes égyptiens.
Pour accepter cette explication, il faut garder à l'esprit que les négociations pour un cessez le feu (temporaire ou définitif) entre Israël et le Hamas, achoppent depuis des mois sur la question du contrôle de ces deux corridors. (3)
Comment l’Egypte aurait justifié son geste aux Israéliens et à ses partenaires internationaux (difficulté soulevée par ChatGPT ci-dessus) ? Réponse : Légalement , par le devoir de tout pays d’accorder l’asile aux réfugiés politiques en danger.
Quant à ses motivations ? ChatGPT nous les révélées ci dessus. Peut être, le pouvoir égyptien a-t-il aussi pris en considération la réaction possible des Frères (encore puissants en Égypte malgré leur défaite en 2013) s’il avait refusé d’accueillir Sinwar. Bref l’Egypte aurait plus à gagner qu’à perdre en ouvrant ses bras à Sinwar. Les calculs difficiles auxquels l’Egypte devait se livrer, selon ChatGpt, ont dû être expédiés assez vite.
Une autre question qui s’impose: Faute de stratégie, les Israéliens ont assigné comme objectif à leur guerre l’élimination du Hamas et nous font croire qu’ils n’attendent que la capture ou l’assassinat de Sinwar (à la fois chef du bureau politique du Hamas et commandant en chef de sa branche militaire) pour crier victoire et mettre fin à la guerre. Pourquoi alors poursuivre une guerre, devenue encore plus inutile qu'à son départ, s’ils savent que leur cible (Sinwar) est inatteignable? Tuer du Palestinien ? Peut être.
Auquel cas le procès pour génocide actuellement devant la Cour Internationale de Justice devrait être vite jugé.
(1) Le 29 mai, l'armée israélienne a annoncé avoir pris le contrôle total du corridor Philadelphie dans le but de contrecarrer la capacité du Hamas à se réarmer et à se réapprovisionner
(2) Israël a déclaré que ses troupes avaient découvert plus de 20 tunnels au cours de l'opération de prise de contrôle du corridor Philadelphie ainsi que 82 points d'accès à ces tunnels. Certains étaient suffisamment larges pour permettre le passage d'un véhicule.
(3) Cette semaine, alors que les négociations se trouvent dans une phase critique, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a maintenu sa ligne dure, déclarant : « Israël ne quittera en aucun cas le corridor de Philadelphie ou le corridor de Netzarim, malgré l'énorme pression qui règne à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. »(Haaretz 29/8/24)