Umaro Sissoco Embaló : un général excentrique à la tête de La Guinée-Bissau – Par Hatim Betioui

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’’La lune de la Guinée-Bissau’’, le président Embaló se filmant pour diffusion essayant dans la cour du palis présidentiel sa nouvelle acquisition, un quad.

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À la tête de la Guinée-Bissau depuis 2020, le président Umaro Sissoco Embaló fait l’objet de vives critiques pour son style de gouvernance singulier, oscillant entre populisme, autoritarisme et communication spectaculaire, dans un pays toujours en quête de stabilité. Hatim Betioui évoque un général biscornu comme le sont souvent les généraux en Afrique.

Dans un coin oublié de l’ouest du continent africain se trouve la Guinée-Bissau, ce petit pays au grand passé de coups d’État militaires et de troubles politiques, qui vit aujourd’hui un nouveau chapitre de polémique, dont le protagoniste est le général Umaro Sissoco Embaló, un président qui ne cesse de susciter de nombreuses interrogations, non seulement dans son pays, mais aussi chez les partenaires régionaux et la communauté internationale.

Lorsque Embaló est arrivé au pouvoir en février 2020, à l’issue d’élections dont les résultats ont été contestés, il avait promis de mettre fin au chaos politique, de construire des institutions solides et de mener une lutte contre la corruption, tout en restaurant la discipline dans le pays. Mais l’homme, à l’évidence marqué par son parcours militaire, a rapidement révélé un style de gouvernance personnel, qui dépasse parfois les normes établies dans les régimes démocratiques. Ses agissements, tout comme ses décisions, ont souvent semblé relever davantage du chef de tribu que du président de la République. Sous sa direction, la Guinée-Bissau a fini par ressembler davantage à un État gouverné par les émotions et les réactions qu’à une entité fondée sur la primauté des institutions.

Une gouvernance qui a vire au théâtre du pouvoir  

Le président Embaló n’a jamais dissimulé son identité militaire — au contraire, il en est fier. Il apparaît fréquemment en tenue militaire, usant d’un langage acerbe, parfois menaçant, parfois moqueur. Alors que le pays attendait de lui des réformes politiques et économiques capables de mettre fin à des décennies de fragilité, le président s’est concentré sur la construction d’une image médiatique alliant fermeté et mise en scène.

Parmi les scènes les plus moquées, tant au niveau local qu’à l’étranger, figure sa récente apparition conduisant un quad dans l’enceinte du palais présidentiel, dans une mise en scène plus proche des "films d’action" que des comportements d’un homme d’État. Il y a également eu cette célébration extravagante du 90e anniversaire de sa mère, qui s’est transformée en une fête nationale non déclarée, suscitant une vague de critiques dans un pays encore classé parmi les plus pauvres du monde.

Je ne sais pourquoi, mais le président Embaló me rappelle l’ancien président Kumba Lalá, qui a dirigé le pays de 2000 à 2003.

Lalá était connu pour porter un bonnet rouge en laine devenu sa marque de fabrique et un symbole bien bissau-guinéen, faisant de lui un personnage fantasque qui prêtait à rire.

Parmi les anecdotes qu’on raconte à son sujet, on se souvient qu’en novembre 2001, il avait limogé sa ministre des Affaires étrangères, Antonieta Rosa Gomes qui l’avait publiquement critiqué, suscitant ainsi un débat sur la liberté d’expression au sein de son gouvernement.

L’épisode Embaló, entre contradictions et tensions électorales  

Les comportements du président Embaló ne sont pas les seuls à faire polémique. En mars 2025, il a expulsé une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), venue à Bissau pour mener une médiation sur la fixation de la date de l’élection présidentielle, à un moment où les tensions entre la présidence et l’opposition s’intensifiaient.

La délégation n’a pas eu l’occasion de rencontrer les différentes parties prenantes et a dû quitter le pays précipitamment, face au refus catégorique du président Embaló, qui a considéré cette mission comme une ingérence dans ses "affaires souveraines".

Cette attitude sans précédent reflète à quel point la scène intérieure est tendue, et soulève de nombreuses questions sur les intentions réelles du président quant au processus électoral et aux échéances démocratiques.

Ce qui intrigue le plus chez Embaló, c’est sans doute la contradiction de ses positions concernant une éventuelle candidature à un second mandat. En septembre 2024, il avait brusquement annoncé qu’il ne comptait pas se représenter, évoquant le souhait de son épouse de le voir se retirer de la vie politique. Mais quelques mois plus tard, il est revenu sur sa décision en affirmant qu’il briguerait un nouveau mandat, invoquant une “pression populaire”, ce qui a intensifié le débat politique autour de la stabilité de ses décisions et accentué la crise de confiance entre lui et l’opposition politique.

L’Afrique et ses généraux-présidents : une équation persistante  

La Guinée-Bissau, indépendante du Portugal depuis le milieu des années 1970, n’a jamais connu de réelle stabilité politique. Les coups d’État s’y sont succédé, les gouvernements se sont enchaînés à un rythme effréné, et l’État est resté otage des conflits entre les élites militaires et civiles. L’économie est fragile, les institutions sont faibles, et le développement quasiment inexistant. Au lieu d’incarner une période de reconstruction, la gouvernance d’Embaló semble entraîner le pays vers davantage d’incertitudes, dans un système fondé plus sur l’individu que sur les institutions.

Aux yeux de nombreux observateurs, le général Embaló illustre une réalité africaine complexe, où la relation entre le pouvoir et l’armée reste floue, et où nombre de dirigeants issus de l’institution militaire conservent ses schémas de pensée même après leur accession au pouvoir.

Mais la Guinée-Bissau, qui aspire à s’ouvrir au monde et à atteindre la stabilité, a besoin de bien plus que des formules ronflantes et des postures tranchées ; elle a besoin d’un leadership équilibré, capable de restaurer la confiance dans l’État et ses institutions.

Et si le président Embaló persiste dans ses agissements actuels, cela ne mènera pas seulement à un isolement intérieur, mais aussi à un refroidissement des relations avec les partenaires régionaux et internationaux, ouvrant la voie à des scénarios aux conséquences imprévisibles, dans un pays qui n’est pas encore sorti de l’ombre des troubles et des tensions.

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