Culture
Cinéma, mon amour de Driss Chouika : ''CINÉMA LIBRE'' (FREE CINEMA), LA ''NOUVELLE VAGUE ANGLAISE''
‘’Aucun film ne peut être trop personnel. L’image parle. Le son s’amplifie et commente. Le format est sans importance. La perfection n’est pas un but. Une attitude signifie un style. Et un style signifie une attitude“ (Anderson et Mazzetti)
« Bien que parfois encore trop liés au théâtre et non totalement exempts de clichés, les films du Free Cinema ont conduit au rajeunissement du cinéma commercial britannique et creusé un large fossé entre l'ancien et le nouveau ». Jonas Mekas.
Oui. Une autre « nouvelle vague », anglaise celle-là, avait bien précédé la nouvelle vague française, le Cinéma Libre (Free cinema), initié en 1956 par un groupe de jeunes cinéastes anglais composé de Lindsay Anderson, Tony Richardson, Karel Reisz et Lorenza Mazzetti. Ce nouveau courant cinématographique avait été lancé en 1956 par un premier programme de courts métrages documentaires projetés au National Film Theatre de Londres le 05 février 1956 et qui ont eu un succès retentissant.
Annoncé par un manifeste rédigé et publié par Anderson et Mazzetti, le mouvement s’y définit essentiellement comme suit : “En tant que cinéastes, nous pensons qu’aucun film ne peut être trop personnel. L’image parle. Le son s’amplifie et commente. Le format est sans importance. La perfection n’est pas un but. Une attitude signifie un style. Et un style signifie une attitude“.
Le mouvement avait été précédé par la création de la revue anglaise “Sequence“, fondée en 1947 par Lindsay Anderson, Peter Ericsson, Gavin Lambert et Karel Reisz, et dont il s’est inspiré des écrits pour bâtir sa propre conception du cinéma. Le franc succès du premier programme du groupe avait assuré la continuité du mouvement, du moins jusqu’en 1963, par la conception de cinq autres programmes dont certains ont été ouverts ou consacrés à de nouvelles expériences cinématographiques étrangères dont le cinéma polonais, la nouvelle vague française et certains réalisateurs européens, comme Alain Tanner et Claude Goretta (Nice time), et américains indépendants tels Lionel Rogosin (On the bowery) et Norman McLaren (Les voisins).
Le courant a été également influencé par le groupe “Angry Young Men“ (Jeunes hommes en colère), un collectif de dramaturges et romanciers britanniques, dont John Osborne, qui prônent des œuvres artistiques critiques envers l’aliénation sociale et la marginalisation des classes ouvrière et moyenne au profit de la mise en valeur des principes sociales orthodoxes. Les adeptes du “Free Cinema” trouvaient aussi que l’industrie cinématographique britannique négligeait les ouvriers qui sont des sujets britanniques au même titre que les autres, et que le cinéma devrait s’intéresser plus à leur vécu quotidien.
UN STYLE ET DES NORMES DE PRODUCTION PARTICULIÈRES
Subventionnés essentiellement par le British Film Institute, à travers son Experimental Film Fund, ainsi que certains organismes privés, comme la Ford Motor Company, ou financés d’une manière indépendante, les films du Free Cinema répondaient à des choix artistiques, thématiques et techniques soucieux, et très respectueux, des principes d’un cinéma libre et indépendant, tranchant avec le cinéma documentaire classique britannique, créé et défendu par John Grierson dans les années 30 et 40, essentiellement basé sur l’hégémonie des classes moyennes sur le secteur cinématographique en général.
Les réalisateurs du courant estiment que le cinéma documentaire doit rester attaché à la mise en valeur de la vie quotidienne et des préoccupations des ouvriers qui demeurent les premiers créateurs de la richesse du pays. Son style doit donc répondre aux critères définis par le manifeste du mouvement “Free Cinema“, tels que résumés plus haut. Et à propos de la formule « Une attitude signifie un style », Lorenza Mazzetti explique que cela veut dire que « un style n'est pas une question d'angles de caméra ou de jeux de jambes fantaisistes, c'est une expression, une expression précise d’une opinion particulière ». Autrement dit, un film doit nécessairement véhiculer une prise de position socio-culturelle nette et précise.
POUR UN CINÉMA DU RÉEL
Sur le plan des choix esthétique et thématique, le “Free Cinema“ a été fortement influencé par la conception du français Jean Vigo, les mouvements du “Cinéma du réel“, développé par les français Edgar Morin et Jean Rouch – eux-mêmes inspirés de la théorie “ciné-œil“ du russe Dziga Vertov – et du “cinéma direct“ né en Amérique du Nord, reposant sur les mêmes principes du nouveau réalisme cinématographique en vogue à l’époque un peu partout dans le monde.
Le principe de base de ce genre cinématographique repose sur la représentation la plus fidèle possible de la réalité vécue, ainsi que le questionnement rationnel du rapport entre la réalité et le cinéma qui en rend compte. Dans ce contexte de respect de la vérité et de la réalité, c’est justement la véracité des faits et l’objectivité de leur traitement qui priment sur toute autre considération.
Le mouvement avait pris subitement fin en 1963, après son sixième programme, en laissant un précieux héritage au cinéma documentaire international. Et si le mouvement a disparu, les réalisateurs qui en ont fait partie sont restés en activité et beaucoup sont passé à la fiction, contribuant largement au renouveau du cinéma britannique des années 60 et 70. Ils ont laissé des films qui ont marqué l’histoire du cinéma, comme “Darling“ de John Schlesinger, “If“ de Lindsay Anderson ou encore “The loved one“ de Tony Richardson.
FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DU COURANT
« Ensemble » (Together) (1956) de Lorenza Mazzetti ; « « Les cœurs sauvages » (Look Back in Anger) (1958) de Tony Richardson ; « Les chemins de la haute ville » (Room at the Top) (1959) de Jack Clayton; « Samedi soir, dimanche matin » (Saturday Night and Sunday Morning) (1960) de Karel Reisz; « Un goût de miel » (A Taste of Honey) (1961 ) de Tony Richardson ; « La solitude du coureur de fond » (The Loneliness of the Long Distance Runner) (1962) de Tony Richardson ; « Un amour pas comme les autres » (A Kind of Loving) (1962) de John Schlesinger ; « Le prix d’un homme » (This Sporting Life) (1963) de Lindsay Anderson ; « Billy le menteur » (Billy Liar) (1963) de John Schlesinger ; « Tom Jones » (1963) de Tony Richardson.
DRISS CHOUIKA