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CINEMA, MON AMOUR DE DRISS CHOUIKA: « LITTLE GIRL BLUE », SUBTILITÉ DE LA NARRATION ET GRACE DE L’INCARNATION
L’audace et l'intelligence dont le traitement a été conduit, bien consolidé par l’impressionnante incarnation de Marion Cotillard, qui a réussi l’une de ses meilleures interprétations après celles de “La môme“, ont fini par assurer un bien haut rendu cinématographique à ce film.
« Le suicide de ma mère a laissé une énigme que j’ai eu besoin de comprendre... J’ai eu envie de comprendre ce qui avait pu conduire ma mère vers le processus de détérioration dans lequel elle a ensuite plongé. Très vite, j’ai découvert une vie et un personnage incroyables. Et le désir d’un film s’est imposé ». Mona Achache.
Dans le genre docudrame, présenté au Festival de Cannes 2023 en avant-première dans la section “Séances spéciales“, le 4ème long métrage de Mona Achache “Little Girl Blue“, qui porte le meme titre que la chanson de Richard Rodgers qu’on retrouve dans le film, s’est attaché au suicide énigmatique de sa mère Carole Achache en 2016. Ayant laissé derrière elle des centaines de carnets et d’enregistrements, ainsi qu’un livre, “Fille de“ , qui raconte sa relation avec sa propre mère, la réalisatrice s’y plonge pour essayer de comprendre le dramatique geste de sa mère. Et, partant d’une certaine ressemblance de sa mère quant elle était jeune avec Marion Cotillard, elle lui a confié d’incarner son role dans cet opus hybride, ayant essayé une combinaison originale entre fiction et documentaire, semblable à l’expérience de Kaouther Ben Hania dans “Les filles d’Olfa“.
Certains critiques ont reproché à la réalisatrice d’avoir cherché à règler ses comptes avec sa mère, comme celle-ci l'avait fait avec la sienne dans son livre. En effet, l'essai susceptible de s’apparenter à un exercice cathartique, peut laisser planer un doute sur l'intérêt du traitement de ce genre de traumatismes familiaux. Sauf que l’audace et l'intelligence dont le traitement a été conduit, bien consolidé par la convaincante et impressionnante incarnation de Marion Cotillard, qui a réussi l’une de ses meilleures interprétations après celles de “La môme“ (oscar et César de la meilleure actrice) et “Un long dimanche de fiançailles“ (César de la meilleure actrice dans un second rôle), ont fini par assuré un bien haut rendu cinématographique à ce film. La réalisatrice est parvenue à créer une atmosphère à la fois sombre et poétique, où la douleur et la solitude côtoient la beauté et la grâce. Sa mise en scène, élégante et épurée, renforce l'intensité du récit, laissant place à une émotion pure et brute.
SUBTILITÉ DE LA NARRATION ET GRÂCE DE L’INCARNATION
Croisement entre la fiction et le documentaire, le plus grand mérite de “Little Girl Blue“ est d’avoir réussi à consolider une subtile narration cinématographique par une grande grâce d’interprétation. En effet, Mona Achache a construit un portrait saisissant de sa mère, rendu encore plus émouvant et impressionnant par la géniale interprétation de Marion Cotillard qui a bien confirmé son statut de grande comédienne en redonnant vie à ce personnage atypique d’une femme extrêmement tourmentée. La réalisatrice est parvenue à capturer la vulnérabilité et la douleur de cette femme d’une manière magistrale, bien mise en valeur par une performance d’interprétation aussi magistrale et nuancée de Cotillard dans le rôle principal. Au fil du récit, on découvre les difficultés auxquelles la mère est confrontée au sein de son milieu, où elle subit de multiples violences autour d’elle. Cette situation renforce le sentiment d'abandon et de solitude de la fille/réalisatrice, qui cherche en vain un peu de réconfort autour d’elle. À travers des scènes poignantes, le film aborde de manière frontale les réalités difficiles de ces mères et leurs enfants qui ont été privés de l'amour et de l'attention dont ils ont besoin pour s'épanouir. Malgré les épreuves qui jalonnent leur parcours, la mère et la fille trouvent un semblant d'espoir et de réconfort, ce qui leur permet de s'évader temporairement de leur quotidien sombre et oppressant.
UN PORTRAIT BIEN DOULOUREUX
Mêlant archives vidéos, photographiques et sonores, Mona Achache a pu mettre en place un processus de création bien complexe et d'une grande maîtrise formelle, qui a permis de bien expliciter et parfaire le portrait de sa mère, explorer son suicide énigmatique et exorcicer cette malédiction qui l’avait durement frappée. Elle nous plonge ainsi dans la vie de sa mère et de sa grand-mère Monique Lange, ainsi que des hommes qu'elles ont côtoyés, dont Jean Genêt, personnage essentiel dans le récit, avec toute sa présence intellectuelle symbolique.
Dans cette construction dramatique originale et bien ficelée, Marion Cotillard a manœuvré astucieusement entre une interprétation classique et une incarnation nuancée du personnage de la mère. Cela a permis à la réalisatrice de fusionner son processus de construction dramatique avec le récit fictionnel qu’elle raconte, passant intelligemment de l'un à l'autre sans jamais rebuter les spectateurs. Derrière les images filmées, entre souffrance, dureté et douleur, les deux femmes, réalisatrice et comédienne, paraissent bien habitées par le personnage insaisissable de cette femme dans la tourmente. La réalisatrice parvient à traduire avec justesse cette dimension thérapeutique de la douleur, dégageant une émotion brute et sincère, nous plongeant au cœur de l'intimité de la protagoniste et de sa quête de rédemption.
Le film explore également la thématique de la résilience et de la force intérieure dont la défaillance peut devenir fatale. Elle parvient à dépeindre avec subtilité le cheminement intérieur de Carole, ses questionnements et ses doutes, ainsi que sa détermination à trouver sa place dans un monde qui lui semble hostile et injuste.
FILMOGRAPHIE DE MONA ACHACHE (LM)
« Le hérisson » (2009) ; « Les gazelles » (2014) ; « Cœurs vaillants » (2021) ; « Little Girl Blue » (2023).