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Cinéma, mon amour de Driss Chouika: CINÉMA ET PSYCHOLOGIE, UN DIALOGUE ET UN ÉCHANGE CONTINUS
Des réalisateurs comme Alfred Hitchcock utilisent la psychanalyse pour développer des thrillers psychologiques qui explorent les méandres de l'esprit humain. Des films comme “Marnie” (1964), de ce dernier, abordent directement des thèmes en lien direct avec les troubles entaux
« C'est aux racines de l'être, au point de tangence de notre être le plus secret, le plus ignoré de nous-même et de celui que nous nous flattons d'être, que le cinéma nous fait descendre (...). Le cinéma est le plus prodigieux coup de sonde dans le trouble infini que nous portons en nous ».
René Schwob.
Le colloque sur le thème « Les dimensions psychologiques dans le cinéma marocain », qui a eu lieu dans le cadre de la 13ème édition de l’Université Cinématographique organisée par la Fédération Nationale des Ciné-Cubs du Maroc à El Jadida du 10 au 13 décembre 2024, modéré par le plasticien et critique Chafik Ezzouguari, avec la participation du réalisateur Saad Chraibi et les écrivains et critiques de cinéma M'barek Housni et Noureddine Boukhsibi, m’a inspiré cet épisode de ma chronique dans lequel je vais essayer de retracer, d’une manière générale, l’évolution du rapport du Cinéma à la Psychologie.
Déjà en 1916, le psychologue de Harvard Hugo Münsterberg avait suggéré que « Le cinéma reproduit plus ou moins les mécanismes de la pensée et plus fortement que les autres formes narratives habituellement utilisées pour raconter des histoires ». Plus tard, Edgar Morin dans « Le cinéma ou l’homme imaginaire » (Editions de Minuit, 1956) avait écrit « Le cinéma, c’est exactement cette symbiose : un système qui tend à intégrer le spectateur dans le flux du film. Un système qui tend à intégrer le flux du film dans le flux psychique du spectateur ».
Ainsi, il a été établi que l'intersection entre cinéma et psychologie a depuis longtemps interpellé et fasciné non seulement les cinéastes et les psychologues, mais aussi le grand public. Cette relation complexe a évolué avec le temps, influençant profondément la manière dont les histoires sont racontées et reçues.
UN DIALOGUE ET UN ÉCHANGE CONTINUS
Au début du 20ème siècle, la psychologie a commencé à influencer le cinéma, principalement par le biais de l'analyse des caractères et de motivations des personnages. Les films muets exploitent certes la dimension émotionnelle, mais c'est avec l'arrivée du cinéma parlant que la psychologie commence véritablement à imprégner le septième art. Des réalisateurs comme Alfred Hitchcock utilisent la psychanalyse pour développer des thrillers psychologiques qui explorent les méandres de l'esprit humain. Des films comme “Marnie” (1964), de ce dernier, abordent directement des thèmes en lien direct avec les troubles mentaux.
Ainsi, au fil des décennies, la psychologie a permis l'introduction de techniques narratives innovantes. Les années 90 et 2000 voient des films comme "Fight Club" (1999) de David Fincher, qui non seulement intègrent des concepts psychologiques mais utilisent aussi l’écran pour déconstruire la perception, illustrant comment l'esprit humain peut interpréter ou déformer la réalité. Ces films montrent le pouvoir de la psychologie non seulement pour créer du suspense, mais aussi pour structurer la narration elle-même.
Puis, il y a eu l’influence de la Psychologie Sociale et la représentation des groupes sociaux. La psychologie sociale a longtemps influencé la manière dont les groupes sont représentés à l'écran. Des films comme "12 Angry Men" (1957) de Sidney Lumet analysent la dynamique de groupe et les biais intrinsèques, tout en reflétant des changements sociaux plus larges. De plus, la représentation des minorités et le traitement des questions identitaires ont été transformés grâce aux théories psychologiques.
Il y a eu également la création de ce qu’on a appelé la “filmothérapie“. Bien que controversée, elle est de plus en plus acceptée comme un outil thérapeutique. Des films peuvent être utilisés pour encourager la réflexion personnelle et émotionnelle. À l'extrême, le courant expérimental, influencé notamment par des théoriciens comme le psychiatre Carl Gustav Jung, invite les spectateurs à vivre des expériences psychologiquement intenses et transformatrices.
Au Maroc, le cinéma a traditionnellement été une fenêtre sur la société, explorant les dynamiques culturelles et sociales. Certains films marocains intégrant des éléments psychologiques sont apparus depuis les années 70 et 80, avec des œuvres qui scrutent les complexités de l'identité et du traumatisme post-colonial, bien que timidement. Des cinéastes tels que Hamid Bennani, Jilali Ferhati et Mostapha Derkaoui ont contribué à cette évolution en créant des films qui explorent non seulement l’individu mais aussi l’impact de l’histoire personnelle dans un contexte socioculturel plus large. Récemment, certains cinéastes ont commencé à embrasser cette approche plus introspective de la narration. Des réalisateurs comme Faouzi Bensaïdi, avec des films tels que “Mort à Vendre” (2011), explorent la psyché des personnages dans un cadre marocain contemporain, capturant les défis sociaux et économiques à travers une lentille psychologique.
Ainsi, le rapport entre le cinéma et la psychologie, bien qu’ayant des racines anciennes, continue d’évoluer. Tandis que le cinéma occidental a souvent été à l'avant-garde de cette convergence, intégrant explicitement les concepts psychologiques dans ses récits, le cinéma marocain montre une progression vers une compréhension plus profonde et nuancée des dynamiques humaines individuelles et sociales.
Ce dialogue continu entre ces deux domaines, Cinéma et Psychologie, non seulement enrichit notre compréhension de l'esprit humain et de la société, mais met aussi en lumière le potentiel du cinéma en tant qu'agent de changement et de découverte tant sur le plan personnel que collectif. Que ce soit à travers des intrigues captivantes, des représentations culturelles ou des structures narratives innovantes, l'application des théories psychologiques dans le cinéma ouvre de nouvelles voies créatives qui poussent tant les cinéastes que les spectateurs à explorer les limites de leur imagination et de leur compréhension de ce que signifie être humain dans un monde complexe et en constante évolution.