De la nécessité d’une loi de finances rectificative de redémarrage et de relance

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A l’instar des autres pays de la planète, le Maroc subi de plein fouet et de manière violente les effets dramatiques de la crise du Covid-19 avec son lot de faillites d’entreprises, de chômage record, de chute brutale de la consommation et de l’investissement.  ... Cette crise dont les conséquences seront de plus en plus ressenties dans le temps et, de plus en plus, impose sans aucun doute outre des mesures d’urgence qui sont prises au fur et à mesure, un plan de relance d’au moins trois ans qui doit s’appuyer au départ sur la mise en œuvre d’une loi de finances rectificative qui devra constituer le vrai point de départ de ce plan triennal.

La nécessité de celle-ci est admise par tous aujourd‘hui étant donné le caractère complétement dépassé et tout à fait inopérant de la loi de finance initiale pour l’année 2020 en raison de ces hypothèse et priorités qui apparaissent complétement caduques.

De même, son équilibre est devenu intenable et ces prévisions irréalisables dans le contexte actuel né de la grave crise socio-économique consécutive à la pandémie. Toute l’architecture et tous les fondements de la loi de finances initiale sont devenus tout à fait dépassés.

Procédure et fondements de la loi de finances rectificative

La loi de finances rectificative possède le caractère d’une loi de finances selon l’article 2 de la loi 130- 13 relative à la loi organique des finances appliquée depuis le 1 janvier 2016. Par conséquent, à l’exception des délais de discussion et d’approbation par les deux chambres, la rectificative est soumises aux mêmes règles et procédures que l’initiale (vote de la 1ere partie avant la seconde, dépôt du projet en premier lieu devant la 1ere chambre, vote des dépenses par titre …). Ce qui lui confère une force juridique extrêmement importante et un caractère démocratique en légitimant les décisions à prendre et les mesures qu’elle contient. Le rôle du parlement dans l’action publique et la stratégie budgétaire ne peut pas être sous-estimé ou occulter en toute circonstance. Il faut souligner que le parlement fait partie intégrante et constitue une partie prenante essentielle de tout le processus budgétaire selon la constitution de 2011.

Deux articles essentiels de la loi organique règlemente tous les aspects de toute loi de finances rectificative. Ainsi, l’article 4 précise « que seules les lois de finances rectificatives peuvent en cours d’année modifier les dispositions de la loi de finances de l’année ». Ce qui correspond parfaitement à la situation actuelle qui se caractérise par la nécessité et l’urgence d’apporter des changements profonds et considérables à tous les fondements et variables budgétaires de la loi de finances pour l’année 2020.

L’article 51 ajoute que « le projet de loi de finances rectificative est voté par le parlement dans un délai n’excédant pas quinze (15) jours après son dépôt par le gouvernement sur le bureau de la chambre des représentants ». La chambre des représentants et la chambre des conseillers doivent se prononcer sur le projet dans des délais respectifs de 8 et 4 jours. Enfin, la 1ere chambre doit examiner et voter les amendements votés par la 2eme chambre tout en adoptant en dernier ressort le projet de finances rectificative dans un délai maximum de 3 jours.

En lui donnant ainsi, le caractère de loi de finances, en la soumettant aux mêmes règles et fondements tout en allégeant les délais de discussion et d’approbation (contrainte de temps), la loi de finance rectificative constitue l’instrument indiqué et tout à fait logique et démocratique pour tout chamboulement de la loi de finances initiale qui ne représente enfin de compte que des prévisions fondées sur des hypothèses et des orientations. Or, toute prévision par définition est sujette à variation plus ou moins large faussant complétement tous les indicateurs et tous les équilibres construits auparavant. Ce qui est tout à fait le cas actuellement puisque toute la construction de la loi de finances de cette année n’a plus aucun sens.

Pourquoi une loi de finances rectificative 

Même si le Maroc n’a pas une grande tradition de recourir aux lois de finances rectificatives, la situation socioéconomique présente l’impose et l’exige afin de commencer à mettre en œuvre le plan de relance de notre économie selon une démarche claire, cohérente et participative et sur des bases solides et saines.  Celle-ci devra constituer véritablement la première tranche annuelle de ce plan qui permettra à terme de dépasser les conséquences dramatiques de cette crise du COVID 19 et de retrouver un sentier de croissance.

Trois éléments fondamentaux au moins plaident en faveur de l’élaboration, l’approbation et de la mise en application d’une loi de finances rectificative.

1er élément : Revoir les hypothèses et les priorités. En effet, la loi de finances en cours est fondée sur des hypothèses qui sont devenues complètement irréalistes et totalement dépassées. C’est le cas notamment du taux de croissance prévu qui devrait s’élever à 3,7%, du déficit budgétaire qui serait limité à 3, 5% du PIB ou de la production céréalière qui a été estimée à 70 millions de quintaux… Ainsi, les trois fondements essentiels sur lesquels tout l’édifice de la loi de finances 2020 a été construit se sont effondrés avec la pandémie et la grave crise qui en est suivie. De ce fait, la prise en compte du nouveau contexte nécessite de nouveaux indicateurs de base qui sont de nature à avoir des prévisions budgétaires plus ou moins réalistes et adaptées aux nouveaux objectifs et priorités du budget de l’Etat pour cette année et pour les années suivantes.

Ainsi, il est certain que le taux de croissance serait négatif et tournerait autour de -3, 2 % selon les estimations du Centre Marocain de Conjoncture ou de 3, 7 % selon les prévisions du Fonds Monétaire International. Etant donné que les effets négatifs de la crise actuelle seraient durables et assez décalés dans le temps et que le redémarrage de l’activité sera long et dur …, le taux de croissance pour l’année 2020 se situerait autour de -5 à -6 %.

Concernant la campagne céréalière, celle-ci est estimée à seulement 30 millions de quintaux contre 70 millions prévu au niveau des hypothèses de la loi de finances. Le déficit pluviométrique et son irrégularité temporelle et spatiale ont eu pour conséquence une chute de cette production de 42 % par rapport à l’année précédente. Ce qui constitue l’une des pires saisons de l’histoire de notre pays.

Sur le plan du déficit budgétaire, celui-ci passerait de 3,5% prévu au niveau de la loi de finances à 6 % selon la Banque Mondiale ou le PNUD. Un taux de déficit allant jusqu’à 7, voire 8% serait plausible en raison d’une part, des effets extrêmement négatifs de la crise sur les recettes surtout fiscales et l’accroissent très fort prévisible des dépenses publiques d’autre part.

2eme élément : Les orientations et les priorités de la loi de finances rectificatives sont devenues très différentes de celles de la loi initiale. Avec la pandémie et ses conséquences désastreuses présentes et futures sur l’économie, deux grandes priorités fondamentales apparaissent inévitables et indiscutables autour desquelles toute la loi de finances rectificative doit être construite. La première est de court terme et la seconde s’inscrit dans le moyen terme. Il s’agit en premier lieu, de faire de la résistance et d’assurer le redémarrage des activités économiques et des entreprises qui ont le plus souffert de l’état d’urgence sanitaire comme l’hottelerie / restauration, le bâtiment … en les mettant en quelque sorte sous perfusion respiratoire. L’objectif principal dans ce domaine est de remettre en marche l’outil de production, faire revenir les salariés à leur travail, promouvoir la demande adressée à ces secteurs complètement sinistrés… La seconde priorité est la relance de l’économie dans le cadre d’un plan triennal ayant pour objectif central de redynamiser les activités économiques et d’assurer la pérennité et la viabilité des entreprises.

3eme élément : La structure du budget de l’Etat doit comporter des changements significatifs tant au niveau des recettes que des dépenses publiques. Sur le plan des recettes, outre le recours accru à l’endettement aussi bien interne qu’externe, les recettes fiscales doivent être renforcées à travers surtout des mesures d’optimisation fiscale comme une révision générale des niches fiscales (dépenses fiscales par exemple), une lutte implacable et permanente contre l’évasion et la fraude fiscales … De même, la mise en application des principales recommandations des assises de la fiscalité doit être accélérée et soutenue. 

Au niveau des dépenses, trois axes au moins doivent être pris en considération.  Tout d’abord, une véritable stratégie de rationalisation des dépenses budgétaires doit être de mise à tous les niveaux. Ainsi, certaines poches de déperdition des deniers publics, les investissements inefficients, les trains de vie très élevés …doivent être complétement combattus.

Ensuite, il faudrait reconsidérer le budget de fonctionnement dans le sens d’un transfert de crédit avec une programmation de 20 à 30 % de plus de crédit au profit des secteurs vitaux qui sont dans la ligne de front de la lutte contre le COVID 19 : santé, sécurité, éducation et recherche … En revanche, une politique d’austérité doit être de mise au niveau des autres secteurs tout en recherchant plus d’efficacité, de rendement et de productivité. Une politique active de réaffectations budgétaires est indispensable et urgente.

Enfin, le volume global des dépenses publiques globales connaitra une augmentation sensible afin de contribuer de manière significative à accroitre la demande de consommation et d’investissement dans le cadre du plan de relance pluriannuel. Les dépenses publiques d’investissement joueront certainement un rôle central étant donné leurs effets d’entrainement importants et très larges.

 La loi de Finances rectificative en préparation constitue certainement une occasion inespérée pour accélérer les réformes structurelles et la simplification des procédures afin de renforcer la résilience de notre économie et dynamiser son émergence. Certes, la visibilité est absente et aucune certitude n’existe pour le moment, néanmoins son scénario peut s’éclaircir dans une certaine mesure en fonction de la situation qui va se prévaloir après le déconfinement. L’enjeu économique remplacera l’enjeu sanitaire qu’il faudra relever en mettant en place un véritable plan Marshall marocain dont la loi de finances rectificative constituera le point de départ. Celle-ci devra être approuvée et mise en œuvre au plus tard la fin du mois de juillet une fois les effets du déconfinement apparus et évalués plus ou moins, les résultats de l’exécution semestrielle de la loi de finance actuelle connus et présentés. Ainsi, l’exécutif aura le temps pour commencer la préparation du projet de loi de finances pour l’année 2021.





 

 

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