De l’autre coté du mur – Par Naïm Kamal

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Seun Kuti, saxophoniste et chanteur nigérian a annulé son concert samedi dernier au festival marocain Jazzablanca en signe de deuil des migrants décédés dans l’assaut de Mélilia. Il aurait pu faire mieux…

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Ni Francophobes ni francophiles – Par Naïm Kamal

Jeudi 30 juin, Seun Kuti, saxophoniste et chanteur nigérian du groupe hérité de son père Fela Kuti, précurseur de l'Afrobeat, a annoncé l'annulation de son concert samedi dernier au festival marocain Jazzablanca qui s’est terminé en apothéose au rythme de l'african gnaoua blues avec Majid Bekkas. C’est ce qu’il a trouvé de mieux pour porter le deuil des 23 subsahariens morts dans l’assaut de Mélilia le 24 juin dernier.

Je le porte avec lui, ce qui me retient de lui dire grand bien lui fasse. Qu’il ne vienne pas, ni aujourd’hui ni jamais, il bien là où il est. 

Cependant

Je ne sais pas vous, mais moi à sa place j’aurais tenu mon concert, chanté en guise de requiem un hymne à la vie et dédié mon cachet aux subsahariens qui errent dans les rues du Maroc à l’affut d’une occasion pour passer de l’autre coté du mur, ce fantasmé en eldorado.

Je ne sais pas vous, mais moi à sa place, je boycotterai, pour préserver ma cohérence, tous les concerts dans les pays occidentaux qui érigent des rideaux de fer et de barbelés et construisent des murs de paperasse et de visas contraignant  des centaines de milliers d’Africains sub et sur-sahariens à risquer leur vie pour aller chercher là-bas ce qu’on leur pille ici.  

Je ne sais pas lui, que l’on nous dit artiste militant qui dénonce la corruption des politiciens, l’élite économique et l’avidité des multinationales, mais moi je sais de science sûre que ces multinationales avec la complicité de certaines de nos élites corrompues, sont en grande partie responsables des causes qui font qu’Atlantique et Méditerranée engloutissent par centaines des candidats à la migration. Enfants, femmes, hommes, jeunes et moins jeunes - finissant en fruits de terre pour fruits de mer. Pas 23 ! Mais plus de 3000 migrants sont morts en mer en 2021. Une routine qui n’émeut plus personne.  

Je ne sais pas lui, mais moi qui suis en aval d’un drame qui se noue en amont de notre espace et de notre temps, je sais que la tragédie vient de loin dans la géographie et de tout aussi loin dans l’histoire qui se perpétue sous nos yeux impuissants. D’aussi loin du Maroc que le sont le Mozambique ou le Soudan et d’aussi loin de 2022 que l’est le premier colon qui a souillé de ses pieds et continue la terre africaine.

Je ne sais pas lui, mais moi je sais que sa prise de position a été bien exploitée par des médias de pays occidentaux si forts lorsqu’il s’agit de créer  les conditions d’une déflagration, si prompts à regarder ailleurs quand ils ne se défaussent pas, à l’heure de l’explosion.

Je ne sais pas si Seun Kuti, auteur d’un album, Noir est le temps (Black Times), sait que si l’Europe, dans une déclaration devenue aphorisme, affirme qu’elle ne pourrait accueillir toute la misère du monde, mais moi je sais que c’est encore plus vrai pour le Maroc tremplin de la migration vers l’Occident et punchingball des cris d’orfraies faussement effarouchées de ce même Occident. 

Je ne sais pas vous, mais moi je ne sais pas si les larmes de Seun Kuti sont d’eau et de sels ou des larmes de posture.  

 

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