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''Désert'' de Jean-Marie Gustave Le Clézio Par Samir Belahsen le 30 Novembre 2024
La traversée de Nour, c’est celle de l'exil, de l'errance et de l’amertume des « derniers hommes libres » raclant la poussière, enroulés de lumière dans la nuit nue de leurs voiles bleus
« Mon identité est là : c'est une identité nomade. »
J. M. G. Le Clézio
« …J’aurai traduit « Désert », qui introduit d’emblée le lecteur dans un univers riche d’émotions, de spiritualité, dans une alternance entre l’évocation d’un passé épique et la description d’un présent douloureusement pathétique… »
Abdeljlil Lahjomri
Dans le cadre des activités de sa Chaire des littératures comparées, l’Académie du Royaume du Maroc a reçu un des plus grands auteurs de la littérature contemporaine, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel de littérature en 2008, au cours d’une cérémonie qui a eu lieu le 27 novembre 2024.
Dans sa présentation de l’auteur, Abdeljlil Lahjomri, le comparatiste et secrétaire perpétuel a déclaré son « retour à une lecture plus apaisée de la littérature française », grâce à J.M.G Le Clezio. Les plus optimistes ont cru comprendre qu’on pouvait espérer une traduction de « Désert ».
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L’histoire
Ce sont en fait deux histoires qui s'entrecroisent harmonieusement au long du roman. C’est aussi la finesse et la sensibilité de Le Clezio qui s’entremêlent.
On y retrouve sa tendance à allier l’immersion dans la nature, et dans les objets techniques à l’exploration des comportements des humains.
Deux traversées, deux déserts.
Nour est en 1909, c’est un jeune Bédouin, qui fait partie d’une caravane Touarègue.
Il est l’arrière petit neveu de l'Homme Bleu appelé de Dieu, faiseur de miracles qui enseignait "la Voie".
Les Touaregs, ce sont les hommes bleus du désert qui fuient la colonisation des Chrétiens, vers le nord, vers une terre promise par le grand cheikh Ma-el-Aïnine, vers le nord.
La traversée de Nour, c’est celle de l'exil, de l'errance et de l’amertume des « derniers hommes libres » raclant la poussière, enroulés de lumière dans la nuit nue de leurs voiles bleus.
C'est une facette du déclin d'une civilisation de guerriers nomades.
Lalla, elle, est au début des années 1970, près de Tanger, dans un bidonville. Orpheline recueillie aux abords du désert, elle était heureuse, elle avait la liberté, la vie dans les dunes, la nature, l'amitié de Naman le pêcheur conteur et l'amour du berger sourd muet le Hartani. Un amour lumineux, mais difficile à suivre.
Sa mère appartenait à la tribu de Ma-el-Aïnine et était Chérifa de la lignée de l’Homme Bleu.
Elle a dû s'exiler à Marseille mais l’adaptation à sa nouvelle vie, si différente, est difficile.
A Marseille, au lieu des rêves décrits par Nanan, c’est le désespoir des rues où les gitans mendient et de l'hôtel de passe sordide où elle est exploitée.
Dans le récit, Lalla est lumineuse, solitaire et avide de liberté.
C’est la muse de Le Clezio, il la magnifie, il la dépeint, la peint et la repeint, la peau cuivrée et la chevelure d’un noir éclatant : une toile de grand maître qui représente la force ancestrale du désert, sa chaleur et sa pure beauté.
La toile est sublime, les paysages sont somptueux, les variations de lumière sont exquises.
Une écriture douce, une pudeur d’artiste pour décrire une fraicheur virginale.
Son parcours est marqué par un profond sentiment d'exil et de solitude dans une ville étrangère. Elle rencontre Hartani, un berger muet, avec qui elle développe une relation amoureuse et devient enceinte. Après d’autres épreuves difficiles, Lalla finit par retourner au Maroc, où elle accouche au pied d'un figuier, un retour aux racines et à la nature.
Les dunes changent de forme sous l'action du vent, mais elles restent les mêmes.
Les Touaregs dans la littérature
Plusieurs auteurs ont abordé des thèmes autour de la civilisation Touarègue.
"Touareg" d’Alberto Vazquez-Figueroa :
Un récit sur la vie des Touaregs dans le désert. Il explore les traditions des Touaregs dans un contexte d’aventure dans le Sahara plein de paysages extrêmes. On y découvre le mode de vie Touareg, les vêtements traditionnels, l’islam Sunnite Soufi, la richesse de la poésie et l’importance de la tradition orale dans cette culture.
Ce roman a été adapté au cinéma en 1984 par Enzo Castellari, « Touareg, le guerrier du désert ».
« Je suis né avec du sable dans les yeux » de Mano Dayak :
Mano Dayac qui était le leader de la rébellion touarègue nigérienne, y explore la culture touarègue à travers ses expériences personnelles. Il évoque son enfance à Tidène, soulignant cette singulière et profonde connexion entre l’identité et le lieu. Le Touareg et le désert, qui est à la fois un lieu de beauté et de souffrance.
Dayak utilise des métaphores poétiques pour illustrer la sagesse transmise par sa mère et la lutte de son peuple contre l'oppression et l'oubli, tout en appelant à la préservation de leur culture unique face aux défis contemporains.
"Djebel amour" de Roger Frison-Roche
Il y aborde les relations humaines complexes au sein de la culture touarègue. A travers l'histoire d'Aurélie Picard, une jeune Française mariée à un prince algérien, il met en lumière les tensions entre tradition et modernité, ainsi que les défis d'intégration dans un milieu culturellement riche mais souvent hostile. Aurélie épouse Si Ahmed Tijani, les coutumes et la langue touarègues et devient « Lalla Yamina » elle navigue pour symboliser l’harmonie entre les deux identités.
Une civilisation en danger
Tous ces écrits contribuent en fait à une lutte pour la survie d’une civilisation.
La civilisation touarègue est confrontée à des défis existentiels majeurs. Les Touareg, ces nomades dominants du Sahara, subissent une marginalisation croissante due principalement à la pression démographique et à l'assimilation culturelle. Leurs territoires historiques sont envahis par d'autres populations, entraînant une diminution de leur nombre et de leur influence. La lutte pour la survie se manifeste par des révoltes et un exode massif, avec des conditions de vie précaires dans les camps de réfugiés.
Cette civilisation est en danger d'extinction, ill une réalité tragique.
Les menaces à la survie de la civilisation touarègue incluent :
La marginalisation politique
Les politiques des États, notamment l’Algérie, visent souvent à assimiler les Touareg, limitant leur autonomie et leur expression culturelle.
La violence et l’instabilité
La présence de groupes armés, rebelles et étrangers, entraîne des violations répétées des droits humains et une destruction des camps nomades, exacerbant la crise.
La pression démographique
L'augmentation rapide de la population non touarègue dans leurs territoires conduit à leur dilution culturelle et sociale.
Les changements environnementaux
Les conditions climatiques, de plus en plus difficiles, du Sahara affectent leur mode de vie traditionnel basé sur le pastoralisme.