Dilatoire ou sincère ? La méthodologie du ministre de la Santé face aux tensions dans le secteur de la santé – Par Bilal Talidi

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Un sit-in dispersé à jets d’eau

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Comme prévu depuis des mois, le secteur de la Santé a suivi le même chemin que celui de l'Education, transformant pour la première fois les actions de protestation en une paralysie complète des institutions hospitalières au Maroc, à l'exception de la médecine d'urgence.

Ce parallélisme dans le parcours ne nécessite pas une intelligence particulière pour être expliqué. Les résultats obtenus par les coordinations protestataires dans le secteur de l'Education ont rendu les formes de lutte adoptées attrayantes, inspirant non seulement les coordinations et les syndicats de la santé, mais également toutes les formes de protestation.

Ce qui est surprenant, c'est le comportement du ministère concerné, et comment le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, n'a pas tiré de leçons des grèves des enseignants et des erreurs du ministère de l'Éducation nationale dans leur gestion. Il a pratiquement commis les mêmes erreurs et a manqué de clarté dans le dialogue et l'interaction avec les représentants des syndicats centraux.

L’implication du gouvernement

Bien que le ministre de la Santé n'ait pas fermé la porte au dialogue depuis le mois de février dernier et ait essayé d'éviter, dans un premier temps, les erreurs du ministère de l'Éducation nationale en ne dialoguant pas uniquement avec les syndicats, les représentants du gouvernement ayant été présents lors des premières sessions de dialogue. Cette implication des représentants de la présidence du gouvernement s’est faite par la présence du ministère des Finances et du ministère de la Santé. Cependant, cette méthodologie n'a pas été maintenue lors des sessions suivantes, laissant place à de nombreuses suspicions, faisant des résultats de l'accord préliminaire du 24 février l’objet de toutes les interprétations.

Entre la conclusion de ces résultats et l'intensification des protestations dans le secteur qui ont débuté ce mois de juillet, environ cinq mois se sont écoulés. Le dialogue ne s’est pas interrompu et a abouti à la signature d'un accord préliminaire sur les points généraux avec l'aval de la présidence du gouvernement. La tâche de préciser les propositions du secteur avec les syndicats sur les questions spécifiques a été confiée au ministre de la Santé. Elle a été suivie de la mise en œuvre des comités thématiques qui se sont tenus à Marrakech et Casablanca.

Subitement le ministère des Finances se fait évanescent

Mais voilà que les résultats de ce dialogue, tout comme les résultats de l'accord du 24 février, se retrouvent tout et rien à la fois, parce qu’entre autres l'implication du gouvernement, notamment du ministère des Finances, s’est faite évanescente. Mais surtout parce que les résultats de ce dialogue ne signifiait pratiquement plus rien en raison de la tendance du ministère à exploiter le retrait du syndicat de l'Union Marocaine du Travail du dialogue de manière incompréhensible, pour qu’en définitive les résultats de ces rencontres ne soient pas signés, conduisant à un changement de méthodologie avec une invitation à rencontrer les syndicats séparément.

Peut-être que la chance du ministère a été que les syndicats étaient davantage soucieux des réalisations que de la méthodologie, contrairement aux protestations dans le secteur de l'éducation où la méthodologie était une partie du problème, les syndicats ayant compris que le moment était propice pour obtenir des acquis plutôt que de discuter des méthodes et risquer de perdre ces acquis, surtout après avoir trouvé un accord sur environ 27 revendications avec le ministère de la Santé, approuvé par le gouvernement.

Cependant, si tout était si harmonieux et que les divergences avec le gouvernement étaient minimes, qu'est-ce qui justifie cette tension qui a paralysé les institutions de santé ?

Et là on se retrouve devant des écueils similaires à ceux des protestations des enseignants : le coût financier, l'incertitude juridique et la reconnaissance du statut.

Après environ cinq mois de dialogue, il est apparu que le représentant du ministère des Finances n'a assisté qu'à une seule réunion au début du dialogue, puis a quitté peut-être en raison des estimations de coûts insupportables. Ce qui le confirme, c'est que lors des dernières rondes de dialogue, la proposition est venue du gouvernement que celui-ci supporte le coût de l'augmentation des salaires en 2025, et reporte la deuxième partie des revendications financières (promotions et indemnités) à 2026, ce que les syndicats n'ont pas accepté, proposant que le gouvernement supporte l'augmentation des salaires cette année et les promotions l'année prochaine.

La privatisation, une angoisse diffuse

Sur le plan juridique, à la manière du dialogue avec les coordinations éducatives, les doutes concernant l'atteinte au concept de fonction publique ont été dissipés et des formulations garantissant que les cadres et les employés de la santé ne passent pas du statut de fonctionnaire public à celui de simple contractuel ont été présentées. Cependant, des craintes persistent quant au fait que la transformation de certains secteurs du ministère de la Santé en institutions publiques ne soit qu'une transition vers leur privatisation ultérieure, comme ce qui s'est passé pour les secteurs de l'eau, de l'électricité et des télécommunications.

En ce qui concerne la reconnaissance du statut, la situation semble problématique. Le ministère, qui s'était engagé devant les syndicats lors des sessions de dialogue à ne pas publier de décret d'application pour les institutions créées par la loi (comme les groupes sanitaires territoriaux, l'Agence marocaine des médicaments et des produits de santé, et l'Agence marocaine du sang et de ses dérivés) sans partenariat avec les syndicats, a manqué à sa promesse et a publié ces décrets rapidement et sans consulter les syndicats. Ce qui est frappant dans ces décrets, c'est qu'ils ont modifié la représentativité des conseils d'administration d'une manière qui soulève de nombreuses questions, non seulement parce qu'ils ont exclu les syndicats de cette représentativité, mais aussi parce qu'ils ont fait des représentants des cadres de la santé une simple minorité face à une majorité administrative qui peut agir contre leur volonté.

La réunion de dialogue présidée par le ministre de la Santé, mandaté par le Chef du gouvernement vendredi dernier, était positive. Cependant, ses résultats attendent toujours l'approbation de la présidence du gouvernement. À ce jour, aucune réponse n'a été donnée, ce qui signifie que les tensions persisteront quelque temps jusqu'à ce qu'une solution financière soit trouvée.

En résumé, il y a un grand dysfonctionnement dans la méthodologie de dialogue adoptée par le ministère de la Santé. Ce dernier a participé à des discussions marathon uniquement pour gagner du temps, reporter la confrontation ou la séparer des luttes des enseignants. En réalité, ces discussions se sont déroulées sans plafond politique (coordination avec la présidence du gouvernement) ni plafond financier (coordination avec le ministère des Finances). Finalement, le ministère n'a réussi qu'à retarder les grèves, alimenter les tensions et élever les revendications à un niveau dangereux menaçant la santé des citoyens et la stabilité des institutions de santé.