Elections 2021 : Le pronostic de Bilal Talidi

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« Tout porte à croire que les quatre partis en lice, le PJD compris, ne remporteraient pas plus de 80 sièges chacun, et l’écart entre eux ne sera pas aussi significatif qu’en 2016 »

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Il est certain que la simple tenue au Maroc des élections actuelles dans les délais impartis constitue un acquis majeur en soi, qui plus est dans un contexte régional marqué de tensions, d’incertitudes et d’instabilité. Plusieurs pays de la région arabe, on le sait, n’ont pas su préserver la pérennité de leurs systèmes constitutionnels et politiques ou garantir une vie démocratique ne serait-ce que dans des limites intermédiaires.

En organisant simultanément trois élections le même jour, le Maroc a relevé un défi. Il pourrait même en relever corolairement un autre, celui d’augmenter le taux de participation, du fait que les élections communales attirent traditionnellement plus d’électeurs que les législatives.

Les changements du régime électoral auront un impact majeur sur ce triple scrutin. L’adoption d’un quotient électoral sur la base du nombre d’inscrits, l’abolition du seuil électoral, la suppression de la liste des jeunes, et l’adoption du vote nominal dans les circonscriptions de moins de 50 mille habitants sont autant de nouveaux paramètres qui risquent d’induire en erreur tout pronostic qui se baserait sur les élections de 2016.

En vertu du nouveau quotient électoral, par exemple, aucun parti ne peut remporter plus d’un siège par circonscription. Autrement dit, les partis qui autrefois raflaient de nombreux sièges en milieu urbain devraient limiter leur appétit, même s’ils conservent le même nombre de voix qu’auparavant. Pour le PJD, ceci équivaudrait à une perte d’entre 20 et 35 sièges, outre la perte des sièges remportés au titre de la liste des jeunes.

La liste des femmes étant transférée de la circonscription nationale à une autre régionale, l’érosion touchera certainement, quoiqu’à des degrés variables, les sièges des grands partis en lice. L’adoption intégrale du mode de scrutin actuel est synonyme d’une perte de sièges pour les grands partis, le PJD devant perdre ainsi entre 25 et 35 du total des125 sièges remportés lors des élections de 2016.

Le PJD conserve toujours une forte assise électorale, quoiqu’elle ait subi une corrosion due, entre autres, à la gestion controversée de sa direction politique, l’atonie des capacités communicationnelles par rapport aux «joutes» de l’ancien SG Abdellah Benkirane, et les fissurations dans sa cohésion organisationnelle suite aux divergences internes qui traversent autant la direction que les bases du parti.

S’il est vrai que ces considérations, mises ensemble, laissent supposer une régression du nombre des sièges du PJD par rapport aux élections de 2016, elles ne signifient pas que le parti est hors compétition. Car, le problème avec les partis rivaux est qu’ils ne disposent pas d’une base solide de militants regroupés autour d’une vision de réforme et d’un projet politique. A l’exception de la Fédération de la gauche et du Parti socialiste unifié (PSU), deux formations de gauche adossées à une vision, à un projet politique, et à une base de militants quoique limitée, les autres partis s’appuient essentiellement sur les notables. Ce constat s’applique également aux partis historiques qui, devant la régression de leur vivier en militants engagés, ont été contraints de recourir aux notables pour couvrir des circonscriptions.

Les partis créés sur instigation de l’administration au temps de la confrontation avec les forces nationales et démocratiques ont opté pour les notables et les hommes d’affaires. Ils se sont investis de manière massive dans la communication à travers les médias et les réseaux sociaux, et ont élargi leurs horizons en s’ouvrant sur de nouvelles franges de la société tels les artistes.

Les partis donnés favoris (le PJD, le Rassemblement national des indépendants, le Parti authenticité et modernité, et le Parti de l’Istiqlal) sont tous parvenus à couvrir les 92 circonscriptions législatives.

Dans les grandes villes, le PJD ne pourra pas conserver ses résultats précédents et parviendra, au mieux, à remporter un siège par circonscription, tandis que dans les villes moyennes, il peut probablement gagner un siège dans chacune. La concurrence risque d’être dure entre les grands partis, mais également avec certains petits partis qui pourraient remporter certains sièges et creuser ainsi l’écart entre les grandes formations.

Dans les campagnes, où le PJD a réussi des percées lors des élections de 2016, les islamistes ne seront pas en mesure de conserver leurs acquis, et la balance semble déjà en faveur des notables. L’expérience des législatives partielles à Errachidia est à ce titre significative. Elle a bien confirmé le retour des structures traditionnelles tribales aux dépens du rôle des partis dans l’encadrement de l’opération électorale. Il est donc fort probable que les partis dits administratifs et certains partis historiques, appuyés sur le réseau des notables, s’en sortent avec une moisson conséquente dans ces régions.

Un dirigeant du PJD, optimiste, est allé jusqu’à conjecturer une victoire de son parti dans les villes et les zones à scrutin de listes, ce qui est plausible quoiqu’elle cache l’essentiel, en l’occurrence les zones ou ce type de scrutin n’est pas adopté. En clair, rien n’est moins sûr que le PJD réédite l’exploit de 2016 dans ces régions.

La jonction de ces pronostics, basés sur des données liées au mode de scrutin et à la nature des partis et de leurs atouts, laisse supposer que les circonscriptions urbaines ne trancheront pas le duel, même s’il reste probable qu’elles donnent une avance, toue relative, au PJD.

Dans les circonscriptions au vote nominal, les partis administratifs et les partis historiques soutenus par les notables marqueront des points importants, et les chances du PJD y seront limitées en raison du retour des structures traditionnelles.

Dans les provinces sahariennes et dans la région du Rif, la mission du PJD serait tout sauf une sinécure, la rivalité devant mettre aux prises trois partis, le PI, le RNI et le PAM.

Ceci étant, tout porte à croire que les quatre partis en lice, le PJD compris, ne remporteraient pas plus de 80 sièges chacun, et l’écart entre eux ne sera pas aussi significatif qu’en 2016. Le PJD, lui, sera pour de multiples raisons devant le défi difficile de conserver sa position de tête sur l’échiquier politique. Il se justifiera alors en invoquant le changement du mode de scrutin, sa léthargie interne à cause des divergences au sein de la direction du parti et autour de la ligne politique, la régression du «politique» aux dépens du retour des structures traditionnelles, et le pouvoir de l’argent.