Faut-il avoir peur pour le Sénégal (actualisé) ? – Par Naïm Kamal

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Montage mettant en scène l’actuel président Macky Sall, 62 ans et son challenger Ousmane Sanko (49 ans), un affrontement qui pourrait être évité par une alternative : L’ancienne Première ministre Aminata Touré en est une.

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Par Naïm Kamal

Cet article, actualisé, a été écrit et publié le 21 mai 2023. Dix jours avant la condamnation à la prison de l’opposant Ousmane Sanko, accusé de viols, à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse", compromettant encore davantage sa candidature à la présidentielle de 2024 dans un contexte de vives tensions. Les affrontements qui s’en ont suivi entre ses partisans et les forces de l’ordre ont fait officiellement 16 morts, 19 selon l’opposition, et énormément de dégâts matériels visibles et invisibles. 

Ils ont également donné lieu à plus de 500 arrestations et si l’on ne connait pas exactement le nombre des blessés, la Croix Rouge sénégalaise a annoncé avoir secouru 357 manifestants blessés, dont une femme enceinte et 36 éléments des forces de défense et de sécurité, dont 78 cas de blessures graves évacuées vers les structures de santé. 

Ces évènements sont venus confirmer les craintes exprimées dans le titre de l’article : Faut-il avoir peur pour le Sénégal ?

Depuis, la situation s’est quelque peu calmée, mais la tension persiste sur fond d’élection présidentielle, l’opposition soupçonnant le président sortant de vouloir rempiler pour un troisième mandat que la Constitution interdit. M. Sanko, crie au complot pour l’empêcher de se présenter en sérieux challenger de Macky Sall, et se déclare séquestré à son domicile à Dakar quadrillé par les forces de l’ordre.

Les Sénégalais essayent de reprendre leur train quotidien, mais le Sénégal vit dans l’angoisse et la peur de lendemains qui ne chantent pas.Deux manifestations prévues pour le 9 et 10 juin, l’accès à internet a été réduit, consultas sénégalais à l’étranger fermés, des appels au dialogue qui se multiplient, autant d’évènements qui nous font dire une fois de plus : Faut-il avoir peur pour le Sénégal, un pays à part dans cette Afrique de l’ouest où les déchirements accentuent chaque jours un peu plus la descente aux abîmes.

Déjà à Ziguinchor

Ziguinchor dans le sud du Sénégal, Chef-lieu de la Casamance, où s'était réfugié avant son procès l’opposant et potentiel candidat à la présidentielle de février 2024, Ousmane Sanko, une sorte de Thomas Sankara qui a le vent en poupe auprès des jeunes, a donné le ton de ce qui allait suivre. Elle a été la première à entrer en effervescence, proie à des affrontements entre forces de l'ordre et partisans de celui qui est également maire de la ville.

Trois morts dont un policier tué accidentellement et suspension des cours dans les établissements scolaires de la région de Ziguinchor jusqu’au 25 mai, donnent une idée de ces heurts et annonçait déjà la couleur de ce qui allait suivre.

La Casamance où s’active depuis 1980 le Mouvement des forces démocratiques(MFDC), vit depuis 1991, date d’un premier cessez-le-feu entre l’Etat sénégalais et le MFDC, dans un conflit de basse intensité. Et ce qui s’y passe aujourd’hui pourrait paraitre comme un autre épisode des troubles intermittents de la région n’eut été que ceux-ci s’inscrivent dans la perspective de la présidentielle de février 2024. Une perspective qui se tend au fur et à mesure que l’échéance s’approche, d’autant plus que le président sortant, Macky Sall, semble tenté, au mépris de la constitution selon ses opposants, par un troisième mandat.

‘’Complot judiciaire’’ contre le rival ?

Dans la course présidentielle, le maire de Ziguinchor, déjà candidat malheureux en 2019 (3ème avec 15% des voix), est embarqué depuis 2021 dans des démêlées avec la justice. Deux procès, l’un pour ‘’viol’’ présumé, l’autre pour diffamation d’un ministre donnent lieu à chaque fois qu’on tente de le présenter devant un juge à des confrontations avec la police.

Dans ce second procès,il a été condamné le 8 mai dernier à six mois de prison avec sursis, une peine déjà susceptible de le priver de son éligibilité. Ce qui l’autorise à crier au complot pour l’empêcher d’empêcher Macky Sall de rempiler. Entre temps, son autre procès est venu tendre beaucoup le plus la situation, M. Sanko ayant décidé à marcher sur Dakar. Une marche qui a débouché sur l’arrestation de l’opposant et son placement de fait en résidence surveillée et sur les affrontements dont on connait le triste bilan.

Pour l’instant, ce long feuilleton politico-judiciaire ne fait que renforcer la détermination de cet ancien inspecteur des impôts, déjà radié en 2016 de la fonction publique pour ‘’manquement au devoir de réserve’’. Ousmane Sanko, fondateur du Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID), mettait en cause le président et son entourage dans des ‘’exonérations d’impôts indues’’. C’est dire que l’homme n’en est pas à son premier essai.  

Certes, rien que du familier dans les pays du ‘’Sud global’’ notamment en Afrique et il n’y aurait pas de quoi fouetter un jaune d’œuf pour en faire une mayonnaise.  Seulement en Afrique de l’ouest, le Sénégal a continuellement fait exception sans jamais succomber aux violences et/ou coups d’Etat habituels aux transitions dans la région.

L’acte inédit de Senghor

Premier président du Sénégal à l’indépendance, et même s’il a instauré le parti unique en vogue à l’époque dans le tiers monde et mené son Etat d’une main ferme pendant 20 ans, Léopold Sédar Senghor a réussi à faire de ce pays fortement imprégné de culture soufie, un espace de cohabitation politiquement tempéré. Le président poète, a eu ensuite l’élégance de l’acte inédit : quitter le pouvoir de son propre chef.

Et s’il a choisi pour sa succession en 1980 son fidèle Premier ministre Abdou Diouf, ce n’est pas sans avoir quatre ans auparavant instauré le multipartisme.  Ce qui permettra à l’opposition et notamment à un avocat turbulent mais démocrate libéral, Abdoulaye Wade, de lui tenir la dragée haute. Candidat contre Senghor en 1978, ensuite trois fois successive contre Diouf, il réussit enfin à le déloger en avril 2000.

M. Diouf est bien sûr fortement tenté de poursuivre son aventure au pouvoir au-delà des deux décennies passées à la tête de l’Etat. Mais face à la détermination de l’opposition et au résultat sans appel des votes (58% des voix), il s’incline. De peu, le Sénégal rate l’occasion d’être le premier pays de l’Afrique de l’ouest à vivre l’alternance par les urnes, la Cote d’Ivoire l’ayant devancé de trois mois sans pour autant éviter au pays des crises meurtrières à répétition.

La tentation monarchique de Wade

Abdou Diouf acceptant sa défaite contre l’avis de sa propre famille politique, Abdoulaye Wade marque sa première année par l’instauration du quinquennat, mais dès 2008, il revient au septennat. Le président démocrate est à son tour travaillé par la tentation monarchique. Soupçonné en 2012 à la fois de désirer un troisième mandat et de voir son fils Karim lui succéder, il se heurte à une forte opposition de la rue et du M23 (Mouvement du 23 juin), une vaste alliance regroupant toutes les forces hostiles aux envies de M. Wade. Fort heureusement, comme Abdou Diouf avant lui, il a l’intelligence bien conseillée de s’en tenir à ses deux mandats et de se retirer avant que le pays ne sombre dans les tourments politiques.

Macky Sall qui lui succède, sans démériter tout au long de ses deux mandats, est lui aussi soupçonné de vouloir se maintenir par une interprétation ‘’trop personnelle’’, selon l’opposition, de la Constitution.

Paris, principal partenaire du Sénégal, redoutant l’arrivée au pouvoir à Dakar d’un homme qu’il perçoit comme un agitateur de plus dans une région où la France ne rencontre plus que le rejet, ne semble pas désapprouver la semi-ambigüité de M. Sall sur ses intentions qui entretiennent la suspicion. Ce qui le met le président sortant à son tour face à une large alliance similaire au M23, le Mouvement des forces vives du Sénégal-F24, en référence à la présidentielle de 2024.

Aminata Touré

Pour l’instant l’actuel patron du pays semble insensible aux revendications de l’opposition, lance un dialogue national qui ne résonne pas vraiment et multiplie la recherche des alliances. C’est dans cette quête qu’il faut inscrire savisite au khalife général des mourides, puissante confrérie religieuse du pays.

 L’opposition qui se prépare au prochain round ne l’entend pas de cette oreille. Et les tensions perceptibles qui rythment le quotidien sénégalais représentent une menace sur la stabilité du Sénégal et sonne sans conteste le moment pour le président sortant de méditer cette réflexion de Abdou Diouf : ‘L’Afrique se porterait mieux si tout le monde acceptait la limitation du nombre de mandats à deux. Ça créerait une respiration démocratique, ça permettrait des alternances.’’ Encore faut-il juste avoir la certitude que le camp du pouvoir dispose d’une alternative qui peut épargner au Sénégal un présumé ‘’trublion’’.  

L'ancienne Première ministre du Sénégal (2013-2014) Aminata Touré, pourrait en être une. Elle ne cache pas son intention de se présenter à la présidentielle, affirmative sur l’impossibilité constitutionnelle pour Macky Sall de se présenter à un troisième mandat. Sans être une séditieuse, c’est une ‘’transfuge’’ de la majorité qui ne mâche pas ses mots. Elle dénonce une "vague de répression sans précédent", assurant que "les démocrates" sont prêts à y "faire face", tout en critiquant l’attitude de la France ce qui lui vaut bien des sympathies.