chroniques
Hajja El Hamdaouia : Une grande d’âme enchanteresse
Maîtresse de l’art musical des plaines côtières, Haja Hamdaouia s’illustre par l’affinement de sa bipartition entre une ouverture lente et une couverture entraînante
Riche des percussions qui courent au bout de ses doigts, de sa maîtrise sereine du chant, cette voix laisse des échos inaltérables au plus intime de la mémoire. A l’évoquer, se lèvent en une rare harmonie, des sons et des émotions, des mélodies et des vibrations, l’image d’un Casablanca peinant et communiant, chantant et riant auquel la chanteuse est unie par un attachement profond, les résonnances des fors intérieurs et la présence commune d’antan.
Haja Hamdaouia, jusqu’au bout du souffle
Maîtresse de l’art musical des plaines côtières, elle s’illustre par l’affinement de sa bipartition entre une ouverture lente où les déclamations interpellent l’ouïe et le cœur, et une couverture entraînante marqué par des accélérations de cadence et des inflexions étonnantes des sonorités. Sous leur forme brève et suggestive, les paroles livrent des sentiments sur la magnificence de l’attente et les messages vainement espérés, le pressentiment des déchirures et les vagues se répétant sans la moindre envie de désertion des rives, les bris et les débris de l’amour et l’étourneau sansonnet qui tombe en faiblesse sous la magie d’yeux de flamme, les plis des émois et les replis des regrets. Avec une ironie fine, les interprétations esquissent des portraits satiriques des vices et de la fourberie, de la comédie sociale et l’égarement des passions. Certains des mots que la diva a fait chanter sont consacrés par le langage sous forme de litote ou de métaphores comme expressions telles « Tu me prives de tes lettres comme de tes coups de fil », « les sourcils ont la couleur du caroubier » ou « Ami, la délivrance n’est-elle pas prochaine ».
La figure iconique se confond avec la ville aux souffles de terre et aux senteurs d’océan et par là même avec le Maroc de la lune implacable. Que le timbre soit langoureux ou enjoué, il éveille des sensations, tisse des compagnies à soi-même, réveille des souvenirs et ouvre les chemins les plus courts vers autrui. Les juke-box offrent le soir au Casablanca de 6-12, en quête d’évasion du temps cloîtré, des instants pour se consoler de ses angoisses, savourer de simples bonheurs, ou se distraire entre veille et sommeil, en attendant les rieuses matinées radiophoniques du dimanche qui font écho aux thèmes de la chanteuse, ou en songeant aux joies pleines ou aux déceptions ternes que suscitent les matches des blancs, des bleus, des rouges ou verts dans des stades retentissant du détournement d’un refrain « le bien-aimé ( but) sera au rendez-vous ».
« De la musique encore et toujours/ Que ton vers soit la chose envolée/ Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée/Vers d’autres cieux à d’autres amours ». Ces vers de Verlaine, qu’évoquaient les ballades en belles lettres sur les ondes de la RTM, font ressentir comment la musique est un art de communion. En appelant à déployer l’étendard de l’espoir vivace, la dame à la dignité tranquille signe, par ses mains et son phrasé, l’enchantement par l’aurore du pays. Les soirées pascales du petit écran, qui rassemblaient familles dans les foyers et amis dans les cafés, étaient fertiles en instants d’enchantement, à travers diverses expressions musicales, prodigues d’assonances à l’unisson et de vibrations d’un même élan.
« La joie à donner en public ; le plaisir de la dépense artistique généreuse ; celui de l'hospitalité et de la fête privée et publique ». Ces termes du contemplateur du don et contre-don, Marcel Mauss, siéent à merveille à la diva tant elle invitait à charmer la vie par la générosité de son chant, la félicité de la proximité et les dons multiples de son cœur naturellement hospitalier.
Ancien des écoles primaires et secondaires publiques du Maroc.
* Pour les textes culturels, l’auteur, qui a bien d’autres titres, préfère signer "ancien des écoles primaire et secondaire publiques du Maroc pour marquer sa dette pour ce que fut l’école marocaine et se démarquer des « experts ».