Journalisme et abus sexuels – Par Naïm Kamal

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De G à D : Souleimane Raissouni, Taoufiq Bouachrine, Hajar Raïssouni, Maati Monjib et Omar Radi - A l’heure de #metoo et « dénonce ton porc ! », est-il encore possible de s’interdire des questions qui se posent et s’imposent

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La semaine de Naïm Kamal – L'insupportable chez Mati Monjib

Lorsque mon ami Abderrazzak Hannouchi, activiste au sein de l’Association du Médiateur pour la Démocratie et les Droits de l’Homme m’a invité à un débat* sur les Droits des victimes face au corporatisme politique*, une question s’est imposée à moi : Pourquoi les quatre professeurs poursuivis dans l’affaire désignée sans autre forme de procès comme « l’affaire du sexe contre les bonnes notes », n’a suscité aucune expression corporatiste, ni au Maroc ni à l’étranger. Et pourquoi quand ce fut des journalistes qui ont été accusés par leurs victimes d’abus sexuels, on a aussitôt assisté à une levée de boucliers ici et ailleurs ?

Un rapport ambigu

Sans aller jusqu’à évoquer les sinuosités psychosociologiques de ce différentiel comportemental, il est possible d’affirmer que dans le cas des enseignants on est en présence de mœurs plus courantes que l’on croit sur lesquelles la société s’est habituée lâchement à fermer les yeux. 

Dans le cas des journalistes on entre dans une confluence opaque d’intérêts pas toujours avouables, de réseaux mouvants et de rapports presse-pouvoir ambigus qui alternent convergence et divergence, amour et désamour. 

Il n’est pas inutile de rappeler avant d’aller plus loin que si dans ce jeu le journaliste est souvent fasciné par le pouvoir et ses hommes, il s’en rapproche ou s’en éloigne selon que ceux-ci le dorlotent ou l’isolent. Aux confins de l’information et du renseignement, le jounaliste est susceptible de servir à l’occasion, consciemment ou à son insu, autant d’informateur que d’agent d’influence ou de désinformation. De ce fait, il est constamment exposé à des manipulations locales ou étrangères, privées ou publiques, ce qui n’est pas sans induire bien de zones d’ombres et d’espaces gris. 

En face, si le pouvoir, tous les pouvoirs qui ne sont à l’aise que dans le confort du secret bancaire ou le secret d’Etat, tolèrent la presse, c’est souvent à leur corps défendant et invariablement pour s’en servir et, le cas échéant, la museler autant que faire se peut. Il n’y aura donc aucun étonnement que de l’ambigüité de cette relation naissent des entendus et beaucoup de malentendus. 

Le « je-t’aime-moi-non plus » qu’installe cette relation entre la presse et le pouvoir vaut pour les régimes dits hybrides, à mi-chemin de l’autoritarisme et de la démocratie, aussi bien que pour les régimes dits démocratiques. Seule la subtilité des moyens et méthodes utilisés les différencie.

Les relations pouvoir-presse étant par ce mélange des genres biaisées, il devient presque normal que lorsque le couperet de l’autorité tombe sur un journaliste, son premier réflexe est de hurler à la répression, et celui de l’opinion publique de subodorer pour le moins une tentative de musèlement. Et peu importe si l’accusation porte sur des motifs sans rapport avec l’exercice de la profession et se rapportent gravement à des actes hautement condamnables et bassement vils que sont les abus sexuels. 

Grâce et droits des victimes

On l’aura compris, dans le débat organisé par "l'Association marocaine des droits des victimes’’, il s’agissait, sans les nommer, des journalistes Taoufiq Bouachrine, Souleimane Raissouni, Omar Radi, Hajar Raïssouni et dans un autre registre de l’historien Maati Monjib. 

Si pour Hajar Raissouni condamnée par une loi scélérate pour avortement, une grâce royale a corrigé une erreur avérée, les trois autres confrères ont été lourdement condamnés. L’historien l’a été, mais continue, lui, de jouir de sa liberté de mouvement et de parole pour l’unique raison à mon sens qu’il jouit d’une « himaya francisse » comme à la fin du 19ème siècle et début 20ème, des Marocains se mettaient sous protection de puissances étrangères pour se soustraire à l’autorité du sultan. 

Il n’empêche et aussi paradoxal que cela puisse paraitre dans la suite de cet article, ces incarcérations sont une page à plier pour que fleurisse le Maroc du Nouveau Modèle de Développement et de l’Etat fort par sa démocratie qu’il prône, sachant que gracier n’est pas blanchir.   

Sans revenir au détail des accusations d’abus sexuels portées à l’encontre des uns et des autres, ni s’attarder sur les réactions corporatistes pas toujours opportunes suscitées par les poursuites engagées contre les journalistes, il est loisible, au-delà du doute - raisonnable ou pas - de croire que la main de la justice aurait été moins lourde s’il s’était agi d’autres qu’eux. Ce faisant, il faut l’admettre, on s’autorise peu de considération à ce que cette attitude comporte comme pures supputations déniant aux victimes la présomption de sincérité.  

Et à l’heure de #metoo et « dénonce ton porc ! », est-il encore possible de faire l’impasse sur des questions qui se posent et s’imposent : 

En premier lieu, qu’advient-il des droits des victimes des abus sexuels ? 

Ensuite, les suspicieux d’entre nous sont-ils fondés de condamner au silence ces victimes qui se sont ou longtemps soumises pour garder un emploi, ou longtemps tues pour se protéger d’une société peu encline à porter sur ces femmes le regard du juste ?

Et enfin, pour autant que ce soit vrai que ces journalistes aient fait l’objet d’une vendetta étatique, cela en fait-il mécaniquement des prophètes immunisés contre le péché, délit dans le langage séculier ? 

Laissons les réponses à la conscience et au discernement de chacun. Mais, exerçant une profession volontiers redresseuse de tort, dénonciatrice des abus, dispensatrice d’éthique et de moral, les journalistes ne sont-ils pas les premiers à devoir se mettre, comme l’exigea Jules César de sa femme, au-dessus de tout soupçon ? La réponse ne souffre pas la contestation. Car, il n’est pas inutile de le rappeler, les hommes de presse, comme les fquihs de nos mosquées, les prêtres de leurs églises, les humains que nous sommes, sont perméables à la tentation. Ce qui donne qu’en rien leur état de journaliste ne fait d’eux de jure et de facto d’innocentes victimes du pouvoir. Ou de leurs victimes de coupables instruments dans les mains de « l’Etat profond ». 

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