KAHINA BAHLOUL, FEMME ET IMAME

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En ce mois de piété et de recueillement, voilà bien un livre à lire.

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" Mon islam, ma liberté*" : tel est le titre du livre que vient de publier Kahina Bahloul, la première femme imame en France. Un parcours. Une vie. Un engagement dans la foi et la spiritualité. 

Son parcours ? Pas linéaire, assurément : franco-algérienne, de père kabyle, un grand-père maternel catholique et une grand-mère maternelle juive et polonaise, un séjour jusqu'à 24 ans en Algérie, puis la métropole ; des études supérieures de droit et d'islamologie sanctionnées par un doctorat sur le théologien Ibn Arabi. Elle s'est engagée pour un islam réformiste qui va chercher la vérité spirituelle des textes en se référant et en s'appuyant sur les sciences humaines et sociales. Une approche visant à déconstruire le fondamentalisme islamiste.

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Kahina conduisant une prière où la séparation femmes hommes n’a pas lieu

 

En ce mois de piété et de recueillement, voilà bien un livre à lire. Il se distingue tellement de tant d'"essais" d'islamologues autoproclamés, cathodiques ou non, qui ont investi depuis des lustres ce champ religieux. Elle nous livre un récit sur sa vie, bien sûr, mais aussi sur une vaste problématique tellement prégnante dans des sociétés - pas seulement celles de l'aire arabo-musulmane - mais également dans le monde, en Occident et ailleurs. 

L'islam, une spiritualité 

Son approche met à plat le discours entretenu par la scène médiatique et politique occidentale ne s'intéressant pratiquement à l'islam que pour en parler comme une religion instrumentalisée par des idéologies politiques fondamentalistes et violentes ; un biais pas neutre évidemment pour jeter l'opprobre sur les fondements mêmes de celle-ci et pour la présenter comme une religion belliqueuse. Une rhétorique tournant le dos à une approche historique objective évacuant des préjugés d'hier et des malentendus d'aujourd'hui. Elle le dit tout net : "... l'islam dans sa réalité est d'abord une spiritualité, une sagesse qui alimente la foi de centaines de millions de personnes dans le monde à la recherche d'une seule chose : trouver la paix en eux-mêmes et la voir advenir dans le monde". Or, il est entouré de suspicion, ici et là. Celle -ci aboutit à une amnésie collective quant aux grands apports de l'Islam à l'histoire de l'humanité dans les domaines des savoirs scientifiques, des arts et de la culture ; elle se retrouve aussi comme cécité envers tout un pan de la production intellectuelle contemporaine des penseurs musulmans 

Cela dit, il faut revenir sur le nouveau "statut" d'imame de Kahina Bahloul; c'est le problème d'un ministère religieux féminin. Depuis une vingtaine d'années, voici cette guidance de la prière du vendredi à la mosquée, devant une assemblée mixte et qui délivre la khotba, qui ne semble plus surréaliste : Amina Wadud en Afrique du Sud en 1995 puis à New York en 2005, Sherine Khankan au Danemark, d'autres encore en Angleterre, en Allemagne, en Italie, etc... Dans le Coran, en se fondant sur la notion de "modèle", des figures féminines sont à mettre en exergue: Marie, la mère de Jésus, représentant le paradigme de la dévotion universelle est un modèle à suivre perçu ainsi d'ailleurs par l'ensemble des musulmans; la reine de Saba aussi, comme modèle de foi indépendante décidant de croire en Dieu avec le prophète Salomon; Asiya, la femme de Pharaon qui a recueilli et élevé Moise ; Sarah, l'épouse d' Abraham et la mère du prophète Isaac ; ou encore Hajar, la mère du prophète Ismaël. 

Renaissance de l'esprit égalitaire

L'imamat de la femme ! Un sujet nourrissant de vives réactions. Pour certains, c'est une renaissance de l'esprit égalitaire auquel l'Envoyé de Dieu a appelé l'humanité - pour d'autres, une rupture avec les mentalités religieuses ; une innovation contraire aux valeurs de l'islam. Les idéologues des mouvements fondamentalistes considèrent, eux, qu'il y a là le risque que la femme puisse prétendre à une part du pouvoir politique, social ou religieux - une  menace pour leur "statut" ; d'où leur obstination  à tenter de conceptualiser tout un dogme au sujet de la femme et vouloir la faire disparaître de l'espace public - elle doit rester "invisible"...

Kahina Bahloul rappelle les débats qui ont marqué la littérature religieuse sur l'imamat féminin: les différentes restrictions données par les ulémas dans la lecture et l'interprétation du hadith d' Umm Waraka, ; l'argument de ce qu'aucune des quatre principales écoles juridiques sunnites ne reconnaîtrait l'imamat de la femme devant des hommes et qu'il y aurait donc un consensus (ijma') irrévocable à ce sujet; la position d'Ibn 'Arabi dans son maitre ouvrage Al-Futahat al- Makkiyya ( Les illuminations de La Mecque). Cet auteur considère que l'imamat de la femme est valide de manière absolue devant une assemblée de femmes et d’hommes, appuyant sa position en faisant référence au Prophète : l'Envoyé de Dieu a ainsi attesté que certaines femmes ont atteint le degré de réalisation spirituelle, comme il l'a attesté pour certains hommes. 

Pour son prêche pour prière collective de la mosquée Fatima, le 21 février 2021, Kahina Bahloul a traité de "L'amour, valeur universelle dans la spiritualité musulmane". Une réponse en creux au président français Macron qui venait de faire son discours "Protéger les libertés en luttant contre le séparatisme islamiste". Elle explique que l'amour est présent dans le texte coranique ; il est un principe divin universel ; il sous-tend le mouvement de la création et de la vie dans la Tradition prophétique ( la sunna), dans la littérature mystique et diverses doctrines philosophiques et théologiques. C'est que l'idée même de la Création entière n'est-elle pas un projet d'amour... 

*Editions Albin Michel, Paris, 208 p.

 

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