L’Iran dans les tourments de la géopolitique et de ses propres démons- Par Samir Belahsen

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Le drame de l’Iran c’est jamais remis de la disparition définitive de ce qui restait l’empire Perse en 1925

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“Nous entrons dans une guerre tiède entre les pays démocratiques et les nouveaux empires”

Bruno Tertrais

(L’Observatoire, 2023)

« Des contacts ont eu lieu entre les dirigeants de la Russie et de l’Iran, et entre nos représentants et les Israéliens. Nous avons été très clairs lors de ces échanges, nous avons dit aux Israéliens que l’Iran ne veut pas d’escalade »

Serguei Lavrov

Dans une précédente chronique, j’étais revenu à Samarcande, le roman du grand Amin Maalouf, ce qui m’avait permis de parler de la soif du pouvoir qui mène à tout. Lire : Samarcande reine de la terre ? – Par Samir Belahsen.

Plus tard, en visite dans cette ville mythique, j’ai pu sentir la complexité du tiraillement que la géographie impose à certains pays à des moments de l’histoire.

Dans son roman, Amin Maalouf aborde la relation entre l'Empire russe et la Perse. Il décrit comment, après une brève période de démocratie en Iran, l'intervention militaire du Tsar russe a mis fin à cette expérience en 1911. Pour lui, cette intervention est une manœuvre pour maintenir le contrôle russe sur la région, soulignant les tensions géopolitiques qui ont marqué l'histoire persane. Maalouf évoque également les conséquences de cette domination sur les aspirations démocratiques en Perse.

Entre amour et désamour

Les relations entre l'Empire russe et l'Empire perse connu sous le nom d'Empire safavide, ou encore Qajar selon les époques, ont été marquées par une série de conflits, traités et influences mutuelles au cours des siècles. 

 Les relations formelles commencent sous la dynastie safavide en Perse(1501–1736). Les Safavides cherchaient à créer des alliances avec la Russie contre l'Empire ottoman, l’ennemi commun Sunnite.

Pendant la période Qajar (1789–1925), les tensions montent avec les ambitions territoriales russes dans le Caucase. Cela mène à une série de guerres russo-persanes.

Les deux guerres principales, la guerre russo-persane de 1804-1813 et de 1826-1828, aboutissent à des victoires russes et aux traités de Golestan (1813) et de Turkmanchaï (1828). La Perse cède à l’empire russe d'importants territoires dans le Caucase.

L'influence russe en Perse grandit, alors que la Russie soutient certains dirigeants persans et joue un rôle dans les affaires internes. La Perse est contrainte de s'ouvrir partiellement aux influences occidentales.

Au début du XXe siècle, la révolution constitutionnelle persane (1905-1911) voit l’ingérence des puissances étrangères, à commencer par la Russie, dans les affaires internes, illustrée par le bombardement du Parlement persan en 1908 par les forces russes.

Le traité anglo-russe de 1907 marque une division de la Perse en « zones d'influence », russe (au nord) et britannique (au sud).

 La révolution russe (1917)  modifie les dynamiques. Le gouvernement soviétique abandonne les revendications impériales « impérialistes » et signe le traité de Moscou en 1921, qui annule les traités antérieurs contraignants pour la Perse.

Au poids de la Russie succède progressivement celui de la Grande Bretagne, puis des Etats Unis qui renversent le gouvernement Mossadegh. Il a commis l’impardonnable : La nationalisation de l'industrie pétrolière iranienne, qui lui sera fatale. Plus que Britanniques et Américains puissent supporter. S'ensuit une crise internationale connue comme la crise d'Abadan, au terme de laquelle les États-Unis, avec la complicité de Londres organise en 1953 un coup d’Etat pour faire tomber Mossadegh et mettre tous les pouvoirs entre les mains du chah, mégalomane et absolutiste, Mohamed Reza Pahlavi. En 1979  des ayatollahs, encore aujourd’hui au pouvoir et toujours dans l’affrontement avec la puissance du moment, les Etats Unis et derrière eux les pays occidentaux, perpétuent un pays qui ne s’est jamais remis de la disparition définitive en 1925 de ce qui restait de l’empire  Perse suite à la deuxième guerre russo-persane de 1826-1828 

Mais entre les deux ex-empires, les relations continuent d'évoluer, entre amour et désamours, au gré des bouleversements politiques, économiques et stratégiques que connait la région. Après la révolution Iranienne et la création de la République islamique d'Iran et les changements géopolitiques du XXe et XXIe siècles, les interactions prennent de nouvelles dimensions, souvent influencées par des acteurs régionaux et internationaux.

Ces deux puissances, plutôt régionales, ont navigué entre amour et désamour à travers les siècles et leurs aléas politiques, militaires et culturels.

Aujourd'hui, les relations entre la Russie et l'Iran  peuvent être qualifiées de stratégiques et militaires. 

Les deux pays se trouvent dans une sorte d’obligation amoureuse et ne peuvent qu'accélérer leur partenariat, en particulier dans le cadre de la coopération militaire.

Unis par l’ennemi ?

Ils partagent également des intérêts communs face aux sanctions occidentales et à la volonté de contrecarrer l'influence américaine au Moyen-Orient. 

Les sanctions occidentales affectent les échanges commerciaux entre l'Iran et la Russie en favorisant un rapprochement stratégique, mais limitent également leur potentiel économique. 

Les deux pays, sous pression des sanctions, renforcent leur coopération pour contourner les restrictions. L'Iran, ayant une longue expérience de contournement des sanctions, offre des mécanismes utiles à la Russie.

Les échanges augmentent mais restent modestes par rapport aux objectifs ambitieux fixés, avec environ 4 milliards de dollars en 2023, bien en dessous des attentes initiales.

Les sanctions ont nivelé l'asymétrie dans leur partenariat, mais ont aussi rendu leurs relations économiques vulnérables aux fluctuations politiques et économiques internationales.

Cependant, des rivalités subsistent et limitent leur collaboration. L'Iran et la Russie font face à  plusieurs défis dans leur partenariat.

Au-delà de l’histoire, il y a l’asymétrie économique. L'Iran, avec une économie plus fragile, n’arrive pas à attirer les investissements russes, qui privilégient des partenaires plus stables.

Il y a aussi des divergences politiques réelles. Malgré l’anti-américanisme partagé, des désaccords subsistent sur des questions comme l'Ukraine et le programme nucléaire iranien.

Dernièrement, la Russie a exprimé une position de tiède neutralité concernant le conflit entre l’entité Sioniste et le Hezbollah. Elle appelle à la désescalade des tensions et à un dialogue pacifique. 

Moscou a également souligné l'importance de respecter la souveraineté du Liban et a condamné les attaques contre des civils. La Russie se positionne comme un acteur équilibré dans la région, cherchant à maintenir des relations avec les deux parties dans un monde en pleine redistribution des cartes géopolitiques.

C’est dire que l’ambition d’un front anti-occidental pour un monde multipolaire n’est plutôt qu’un rêve à construire, à moins qu’il y ait un vrai accélérateur de l’histoire comme, par exemple, l’arrivée d’un fou à la Maison Blanche.

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