chroniques
La Conspiration du Silence – Par Seddik Maaninou
Autour le défunt roi Hassan II (C), Driss Basri, son ministre de l’intérieur (D), et Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre de l’alternance consensuelle
Le roi Hassan II n’a jamais caché son mécontentement à l’égard de son entourage, qu’il qualifiait de « barrière » qui contrôlait les informations et les nouvelles qui lui parvenaient. Le roi a condamné ce qu’il a appelé la « conspiration du silence » et a insisté sur la nécessité de briser ce « siège » et de mettre fin à cette « conspiration ». L’entourage des dirigeants, en général, tend souvent à dissimuler les vérités se limitant à mettre en avant les aspects positifs, dissimulant ce que dans ses actions avaient de négatifs. Ce phénomène ne concerne pas seulement les dirigeants des États, mais aussi les hauts responsables, voire les responsables en général, où un « rempart » est érigé, empêchant la vision claire et l’accès aux informations correctes pour résoudre correctement les problèmes.
Le Séisme
Un des exemples les plus marquants dans les manigances de l'entourage du roi Hassan II est relaté par l'un de ses plus brillants conseillers, Abdelhadi Boutaleb. Il rapporte qu'Oufkir, alors que ce dernier était son invité, l'avait informé de son intention de renverser le régime et de destituer Hassan II, précisant que cela n'était plus une simple idée, mais un projet réel. Boutaleb raconte dans son livre Un demi-siècle de politique : « Chez moi, Oufkir m’a révélé des secrets du roi et a dit beaucoup de choses à son sujet, attribuant au roi plusieurs défauts, ce qui m'a grandement surpris. » Il ajoute : « Oufkir a insisté pour que je retire ma démission et m'a convaincu de le faire. Il a même appelé le roi depuis chez moi et lui a dit : “Voici Boutaleb à mes côtés, il souhaite que tu entendes de sa bouche le retrait de sa démission.” Et c'est ce qui s'est passé. »
Boutaleb avoue qu'à partir de ce jour, il a commencé à vivre comme s’il avait été confronté à un séisme, évoluant désormais dans un climat de méfiance et de vigilance au sein du gouvernement, sans jamais révéler à personne ce qu'il avait entendu d'Oufkir. Il confie qu'il « était sur le point d'informer le roi, mais qu'il s'est retenu, craignant que le roi ne le confronterait directement à Oufkir. Cela, selon lui, l’aurait exposé à des risques fatals, souhaitant seulement sauver sa peau et vivre en paix avec sa famille et ses trois enfants. »
La mère de tous les ministères
Dans la cinquième partie de mes mémoires intitulée Le Serviteur du Roi, j’ai évoqué les dernières années de la vie du roi Hassan II, marquées par diverses maladies qui l'ont conduit à réduire ses activités et ses rencontres. Cette situation a créé un vide autour du Souverain, dont a profité Driss Basri, ministre de l'Intérieur, pour renforcer son influence et s'accaparer l'accès au roi. Basri bénéficiant de nombreuses audiences royales successives, à la différence des autres responsables, a fait de lui le canal principal, voire unique, pour transmettre les directives royales sur divers dossiers.
À cette époque, il est devenu clair que le ministère de l'Intérieur s'était transformé en ce que l'on appelait "la mère des ministères", car il s'était emparé de deux dossiers principaux : celui du Sahara et celui de la sécurité. La gestion de ces deux dossiers étant liée directement à la personne du ministre, le roi Hassan II a dû imposer la présence de Basri au sein du gouvernement d'alternance.
Un rapide Changement
Lorsqu’il s’est rendu compte de la mainmise progressive d’un réseau de pouvoir autour lui, le roi Hassan II a rapidement pris plusieurs initiatives pour affaiblir ses adversaires, hostiles au changement et à l’ouverture sur l’opposition qu’il échafaudait pallier par pallier. Pour souligner le degré de gravité de la situation, Il a évoqué la « crise cardiaque » imminente du pays dans son discours au Parlement et a ensuite procédé à la révision de la Constitution, à l’organisation d’élections transparentes et à la formation d’un nouveau gouvernement. Dans cette période de réformes, il a également fondé le Conseil Consultatif des Droits de l'Homme, avec pour objectif de démanteler le système conspiratif, après avoir réalisé que de nombreuses erreurs avaient été commises et qu’elles devaient être rectifiées.
‘’La jellaba maculée’’
Dans ce contexte, Mohamed Mikou, secrétaire général du Conseil Consultatif des Droits de l'Homme, m’a confié que le roi Hassan II le recevait à maintes reprises en secret pour lui rendre compte de la situation des droits de l’homme, et c’est lors de l’une de ces audiences que le roi lui avait dit : « Ma jellaba est blanche, d’un blanc éclatant, mais elle est maculée, et ta mission est de nettoyer cette tache et je compte sur toi pour mener cette mission à terme. » Mais demeure plusieurs questions intactes : qu’entendait le roi Hassan II par cette « taches » ? Pourquoi n'avait-il pas remarqué cela plus tôt ? Et qui lui cachait la réalité ? Était-ce seulement Driss Basri ou tout un dispositif de complicités formelles ou tacites ?