LA FIN D'ISRAEL plus proche qu’initialement pense? – Par Mohamed Chraibi

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Les discours selon lesquels Israël est dans ses dernières années sont devenus monnaie courante dans les médias  et dans les déclarations  d'intellectuels du pays et du monde entier

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Dans un article publié ici le 18/1/24, sous le titre « peut on envisager la fin d'Israël  ? », j'ai donné la parole à trois éminents intellectuels juifs vivant en Israël et aux États-Unis qui ont répondu par l'affirmative. Et, afin de montrer que l’idée était partagée au niveau populaire, j'ai cité l'exemple de la secte Harédi Naturei Carta, violemment opposée à l'existence même de l’état d’Israël au point de manifester aux côtés des militants palestiniens. 

Bien que prônant, dans mon entourage depuis de nombreuses années, l’idée qu' «Israël ne célébrera pas son centenaire », je me suis abstenu de rendre publique cette conviction. Aujourd’hui, je fais mon « coming out" après avoir lu quelques articles récemment publiés dans Haaretz que je vais citer et commenter ci-après. 

Dans le premier, daté du 18/5/24, intitulé « Israël mayfall and rise» (Israël peut tomber et se relever) Olfi Ilany dresse une liste des pays disparus de la carte du monde (dont Yougoslavie, Allemagne de l’Est, Yémen du Sud et URSS), soit par éclatement  en plusieurs nouveaux états, soit par fusion avec d’autres existants.  Il cite également le cas de la Prusse, qui a cessé d'exister après la Seconde Guerre mondiale, et de l'éphémère République Arabe Unie, disparue en 1961. Il affirme que, même après leur disparition, « l’héritage de ces États continue parfois d’exister d’une manière ou d’une autre : le drapeau soviétique flotte lors des cérémonies marquant la défaite de l’Allemagne nazie.  Et l’Allemagne dispose toujours d’une fondation pour la promotion du patrimoine culturel prussien – une institution assez riche qui possède des dizaines de musées… ».

Il poursuit en disant que 76 ans après sa création, nombreux sont ceux qui pensent que l’État d’Israël est sur le point de rejoindre le « cercle des États disparus ».  Les discours selon lesquels Israël est dans ses dernières années sont devenus monnaie courante dans les médias  et dans les déclarations  d'intellectuels du pays et du monde entier, mais, en fait ne cite qu'un exemple, celui de Meirav Arlosoroff(1) sur lequel nous reviendrons. 

Selon lui (2) de manière générale, ceux qui parlent de la disparition d'Israël peuvent être divisés en deux groupes : ceux qui l' espèrent et ceux qui le craignent.  Le premier groupe comprend les ennemis d’Israël dans le monde arabe et ailleurs, ainsi que certains manifestants anti-israéliens aux États-Unis et en Europe.  Quand ils chantent « De la mer à la rivière… » ils disent qu’Israël n’a pas sa place sur la future carte du Moyen-Orient.  Ils voient Israël comme une entité colonialiste qui doit être démantelée au plus tôt.

Lorsqu'on leur demande ce qu'ils attendent des citoyens juifs d'Israël une fois que leur État n'existera plus, certains répondent qu'ils devraient retourner d’où, eux ou leurs ascendants, viennent; tandis que d'autres évoquent  la démocratie qu'ils espèrent voir instaurée  dans  les territoires actuellement occupés par le régime sioniste.  Comme cela s'est produit en Union Soviétique, ou en Afrique du Sud.  Les Israéliens trouvent  ces déclarations scandaleuses, ils sont trop traumatisés pour croire que le démantèlement de leur État pourrait se dérouler paisiblement.  Même les Israéliens opposés au régime raciste actuel ont du mal à croire que la dissolution de l’État puisse conduire à son remplacement par une démocratie exemplaire où chacun jouit de droits égaux.

Il n’est donc pas surprenant que la possibilité d’une dissolution de l’État d’Israël soit considérée par la plupart d’entre nous comme un horrible cauchemar.  L’expérience historique juive évoque des scénarios de destruction.  Certains prédisent que les Israéliens se disperseront à travers le monde et seront confrontés à un nouvel exil. Scénario encore moins probable que celui de l’état démocratique de substitution.  Il n'y a aucune raison réelle de penser que sept millions de Juifs feront leurs valises et s'installeront en Europe ou aux États-Unis. Même après la destruction du Temple, il semble que la majeure partie de la population soit restée sur place alors que seule une partie de l'élite a été exilée (3). C’est probablement ce qui se produira si Israël s’effondre.  En fait, la vision du retour à l’exil n’est qu’un fantasme cultivé par une partie de l’élite possédant des passeports étrangers…  Quoi qu’il en soit, il existe également d’autres scénarios.

Scenario de la deuxième chance

 En 1795, la Pologne disparaît de la face de l’Europe et son territoire fut partagé entre la Russie, la Prusse et l'Autriche. L’élite politique est contrainte à l’exil.  Mais la majeure partie de la population est restée sur le territoire polonais et a continué à vivre sous domination étrangère.  Dans l’histoire polonaise, cette période est considérée comme une période sombre. Mais les Polonais entretinrent le feu et se révoltèrent à plusieurs reprises au cours du XIXe siècle.  En 1918, après la Première Guerre mondiale, l’État polonais est rétabli.  L’histoire a donné une seconde chance à la Pologne.

Le cas polonais est loin d’être encourageant, mais il peut apporter un peu de réconfort.  Cela montre que la perte de souveraineté n’entraîne pas nécessairement l’Holocauste ou l’anéantissement total.  Les Israéliens pourraient eux aussi perdre leur souveraineté à l’avenir et se retrouver sous domination étrangère.  Ce ne sera pas nécessairement un État palestinien – il s’agira plutôt d’une puissance plus grande et plus forte.  Mais le sionisme continuera d’exister, tout comme le nationalisme polonais qui couvait sous la surface…

La phrase en caractères gras me paraît importante à souligner: l’état qui naitrait de la disparition d'Israël pourrait être l’«état client» d'une plus grande puissance  l'Iran ?. 

L’idée de la disparition d’Israël est elle à prendre au sérieux ou n'est elle qu’un fantasme d’intellectuels et de militants radicaux ? 

C'est cette question que nous aborderons à travers les autres articles annoncés en début de celui-ci. Le premier est de Meirav Arlosoroff (Haaretz, 19/5/24) qui, sous le titre  "dans la direction actuelle de l'État d'Israël, il ne célébrera pas son centenaire", affirme que c'est la conclusion d'un document qui dresse une nouvelle vision pour Israël par le professeur Eugène Kandel et un autre expert  Ron Tzur. Ceux ci écrivent : « Dans le scénario de statu quo dans la configuration politique actuelle, il y a une probabilité considérable qu'Israël ne puisse pas exister en tant qu'État juif souverain dans les décennies à venir ». Selon ces experts, Israël est confronté à trois défis existentiels. Le premier est  l’existence de deux groupes qui dépendent de l’état pour leur subsistance : En 2018, celui-ci a alloué aux Haredim 5,4 milliards de dollars et à la communauté arabe (en majorité défavorisée), près de 7 milliards.

Ceux qui paient sont Les Israéliens productifs, qui croient aux valeurs libérales tant sur le plan éthique qu’économique. Kandel et Tzur prédisent une émigration massive de cette  élite comme dans une situation de panique bancaire.  Dans une décennie ou deux, il y aura une course contre Israël.  L’élite fuira tout simplement.

Ce sont ces personnes qui dirigent la haute technologie, la médecine, le monde universitaire et des pans importants de l’establishment de la défense.  La plupart d'entre eux ont des opportunités d'emploi intéressantes à l'étranger, et certains ont déjà envisagé des options d'immigration. Sans cette élite, Israël connaîtra un déclin socio-économique et sécuritaire.  Le départ de 20 000 d'entre eux suffirait à laisser Israël sans haute technologie, sans université et sans sécurité. Ce sera l’effondrement d’Israël et la fin du rêve sioniste.  Il s’agit d’une menace existentielle plus grande que l’Iran. 

Exodus

En fait, l'idée d'un exode massif d’israéliens ne date pas des événements du 7 octobre et de la guerre qui s'ensuivit mais de la tentative de coup d’état judiciaire du gouvernement Netanyahu de Janvier 2023 (4). Dès le 2/3/23,  un article de Haaretz,  sous le titre « augmentation du nombre d’Israéliens demandant la citoyenneté étrangère », on peut lire: Alors que des dizaines de milliers d’Israéliens descendent dans la rue pour protester contre l’éviscération du système judiciaire par le gouvernement dirigé par Netanyahu, de nombreux Israéliens sont occupés à préparer une stratégie de sortie en recherchant des destinations d’émigration. Les avocats et les cabinets spécialisés dans l'acquisition de citoyenneté étrangère (notamment : États-Unis, Allemagne, Pologne, Portugal et Autriche), ont signalé une augmentation significative des demandes de conseils ainsi que des demandes d'expatriation.

« Si avant le 2 novembre 2022 [date des dernières élections], en moyenne deux ou trois personnes venaient à notre bureau chaque jour, aujourd'hui, c'est 15 à 20  », explique Yoav Stern, spécialiste de l'aide à l'obtention de la nationalité allemande.  « Mes collègues des entreprises comme la mienne ont noté le même phénomène au cours des dernières semaines, c'est comme si, le lendemain des élections quelqu’un avait appuyé́ sur un bouton déclenchant un flot irrésistible »

Quelques mois plus tard, le 27/3/23 Haaretz revient sur le sujet dans un article intitulé : « Exode : les Israéliens préparent leur évasion du coup d’État judiciaire de Netanyahu», pour  nous informer que: Selon des consultants en relocalisation et des avocats spécialisés en droit de l’immigration, le nombre d’Israéliens envisageant ou planifiant leur fuite depuis que le gouvernement extrémiste a pris le pouvoir il y a sept mois est sans précédent.  Ils comprennent ce que beaucoup décrivent comme le capital humain le plus précieux d’Israël : des professionnels dotés de compétences et de diplômes transférables et très demandés dans le monde entier – notamment des médecins, des scientifiques, des professeurs et des informaticiens. Un sondage de la Treizième chaîne publié cette semaine indique que 28 % des Israéliens envisagent désormais de quitter le pays.  Beaucoup de ceux qui recherchent un refuge a l'étranger ont déjà un passeport étranger.

« Ocean Relocation », une entreprise basée en Israël qui facilite les démarches aux personnes désireuses de faire leur Alia ou d’émigrer, depuis la naissance d'Israël, se considère comme un « baromètre » de l’état du pays en matière d’migration. La société propose une large gamme de services aussi bien aux Israéliens qui quittent le pays qu’aux Israéliens qui rentrent chez eux après un séjour à l’étranger.  « Ce qui distingue cette période particulière – et c’est quelque chose que nous n’avons jamais vu auparavant – c’est que l’équilibre a changé, avant  c’était toujours plus ou moins 50-50 : la moitié de nos clients étaient des Israéliens qui partaient et l’autre moitié étaient des Israéliens de retour.  Maintenant, c’est 90-10.  C’est un changement radical ».

Leon Amiras, un avocat d’origine argentine qui aide les Israéliens qui tentent d’obtenir des passeports espagnols et portugais, affirme que les demandes d’expatriation ont atteint un « niveau insensé » ces derniers mois.

Pour la première fois, Amiras est également approché par des enfants israéliens et des petits-enfants d’immigrants argentins qui souhaitent demander un passeport argentin. Ces dernières semaine il reçoit en moyenne 25 demandes par jour d’Israéliens envisageant de s’installer au Portugal, contre environ un par jour auparavant.

Telle était déjà  la situation AVANT  le 7 Octobre. Quelle est elle à présent ? Personne n'en parle, pas même Haaretz,  faute de données.  Selon ce journal de référence, L’Autorité de la population et de l’immigration affirme qu’elle ne tient pas de registre du nombre de demandes de citoyenneté étrangère ou d’Israéliens titulaires d’un deuxième passeport.  Les ambassades étrangères en Israël refusent de fournir des informations

Les deux grandes vagues d’émigration d’Israël se sont produites après la guerre du Kippour en 1973 et au début des années 2000 lors de la deuxième Intifada, lorsque plus d’un millier d’Israéliens ont été tués dans des attaques terroristes palestiniennes. Le 7 octobre 2024, ce chiffre a été dépassé en une seule journée, les vies de milliers d’israëliens ont été brisées, des dizaines de milliers ont dû abandonner leurs foyers sans perspective de retour…et le destin d’Israël a basculé.

On peut émettre l’hypothèse que les prédictions de Kandel et Tzur (voir ci-dessus) d’une émigration massive de l'élite « comme dans une situation de panique  bancaire » est en train de se réaliser.  

Israël a « célébré», le 15 Mai dernier, ses 76 ans d'existence. Combien d'autres, en a-t-il devant lui? 

  1. Journaliste et petite fille de HaimArlosoroff, dirigeant sioniste qui avait négocié en 1933 avec Hitler le transfert des Juifs d'Allemagne en Palestine. Assassiné par les sionistes révisionnistes en 1936.
  2. Dans les paragraphes qui suivent, je cite Olfi Ilany sans mettre de «.. » ni utiliser systématiquement  de caractères italiques,du fait que je condense ses propos et parfois les modifie (à titre d'exemple au lieu de 10 millions de personnes dans le texte original, j'ai mis 7 millions de Juifs. Ce qui me semble plus proche de la réalité.)
  3. Hypothèse que j'avais émise dans une chronique (Toufane al Aqsa, Quid.ma, 8/5/24) antérieure à l’article d Olfi Ilany
  4. Amendement visant à empêcher la Cour Suprême de censurer les projets de lois du gouvernement jugées « irraisonnables » 

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