La Marche – Par Seddik Maaninou

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Vers 10h30 du matin, le jeudi, la marche démarra. Après une marche d'environ vingt kilomètres, elle était à seulement quelques centaines de mètres de la ligne militaire établie espagnole

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En ces jours de l'année 1975, la marche populaire vers le Sahara fut organisée et lancée. Ce sont des jours que le peuple marocain a vécus dans une ambiance de mobilisation et d'enthousiasme pour récupérer une partie de son territoire national resté sous colonisation pendant près de cent ans. Durant cette période, les Marocains ont ressenti leur rendez-vous avec l'Histoire, et pressentaient que le monde entier observait ce qu’allait être leur courage et leur unité pour tourner cette page douloureuse.

La Déclaration

Le jeudi 16 octobre, en soirée, le roi Hassan II s'est adressé à la nation pour annoncer le verdict de la Cour internationale de justice, qui avait reconnu l'existence de liens juridiques et d'allégeance entre les tribus sahariennes et les sultans du Maroc. La radio et la télévision avaient interrompu leurs programmes habituels pour annoncer le discours royal, proposant dans l’attente fiévreuse des chants patriotiques et des analyses préparant les citoyens à ce que le souverain allait déclarer.

Les Marocains ont été surpris par le discours de Hassan II, mais ont immédiatement saisi que l'unité territoriale du pays passait par un tournant crucial. Au lieu de 350 000 participants initialement prévus, près d'un million de personnes se sont portés volontaires pour participer à la Marche dès le premier jour.

Nos adversaires et nos alliés ont été stupéfaits par cette initiative. La presse de Paris et de Madrid qualifiait cela de « simple bluff » et pensait que le Maroc ne pourrait organiser un mouvement aussi massif et aussi populaire, affirmant qu'une telle entreprise nécessiterait plusieurs semaines, voire des mois, de préparation et d'organisation.

Certains prédisaient que le Maroc entrerait en guerre contre l'Espagne, surtout en constatant l'arrivée de dizaines de camions à Tan-Tan et Tarfaya, chargés de centaines de tonnes de vivres pour accueillir les volontaires qui étaient ainsi précédés par des milliers de soldats pour assurer la logistique.

Les Préparatifs

Ce que l’on ne savait pas à l’époque c’est que dès le mois d'août, Hassan II avait pris la décision, après une période de doute et de mûre réflexion, de contourner le rapport de force en organisant une marche populaire pour libérer le Sahara. Après avoir fixé le nombre de participants et les objectifs politiques de l'opération, il chargea des officiers des Forces Armées Royales de préparer minutieusement, dans le plus total secret, le succès de ce qui allait devenir une épopée, notamment sur le plan logistique, en vue d’assurer le transport, l'hébergement, la nourriture et la gestion des risques de centaines de milliers de personnes. Les officiers prêtèrent ainsi serment devant le roi de garder le secret tout au long des préparatifs. Ensuite, les ministres et les gouverneurs de provinces prêtèrent à leur tour serment de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer un climat propice au bon déroulement de la marche, depuis l'inscription des volontaires jusqu'à leur départ vers le sud. Ainsi, dans un champ strictement hermétique à toute filtration et infiltration, cadres civils et militaires ont travaillé dans l’harmonie, avec des précautions rigoureuses pour préserver la confidentialité, condition essentielle à la réussite de l'opération.

Rapidement, des dizaines, puis des centaines de journalistes affluèrent au Maroc pour couvrir cet événement exceptionnel. Tout était pour que la Marche se déroule pacifiquement mais le risque de se transformer en tragédie si l'armée espagnole décidait de tirer sur les civils était réel. Les bulletins d'information du monde entier se concentraient sur l'évolution de la situation, et les regards étaient tournés vers Marrakech où se trouvaient le roi, ses conseillers, ses ministres et ses assistants.

À Marrakech

Hassan II m'avait convoqué pour rejoindre le palais royal à Marrakech et m'a chargé de préparer un programme répondant aux nombreuses questions des volontaires. Une salle de travail a été aménagée dans une des dépendances du palais, qui abritait également le siège des services de renseignement militaire. Chaque soir, je commentais pour la télévision nationale les grandes lignes tracées par le roi. Le palais « Dar al-baida », bâti par le sultan Hassan Premier, situé à côté du palais royal où le roi résidait, avait été choisi par le souverain pour abriter le quartier général de la Marche, constitué des ministres et officiers responsables de son organisation. Le roi avait décidé d'intégrer les femmes marocaines, à hauteur de dix pour cent, avec la participation de 35 000 femmes. Cette décision visait à honorer la femme marocaine et à montrer le caractère pacifique de la Marche.

En plus des journalistes, des délégations venues de capitales arabes et africaines se sont rendues à Marrakech pour participer et exprimer la solidarité de leurs peuples avec le peuple marocain. De toutes les régions du Maroc, les trains et les camions affluaient vers Tarfaya dans une atmosphère de mobilisation festive. Les regards des Marocains et du monde entier, étaient tournés vers cette localité, devenue la Mecque des colonnes de volontaires.

Le Départ

Hassan II décida de se rendre dans le sud et de s'installer provisoirement à Agadir, où il recevait les émissaires de plusieurs pays et menait des négociations, qu'il gérait seul, dans le plus grand secret. Le mercredi 5 novembre, alors que je me trouvais à Tarfaya au milieu des foules, la nouvelle se répandit que le roi prononcerait un discours en direct. Je rejoignis Agadir et me rendis à la mairie pour écouter le roi Hassan II annoncer le départ de la marche le jeudi 6 novembre. Il n'était plus question de spéculer sur la possibilité de lancer la Marche ou non. Toute cette nuit, les Marocains ne dormirent pas, les mosquées et les mausolées étaient remplis de milliers de fidèles priant pour la protection et la réussite de la marche. Hassan II envoya également une délégation de théologiens et de jurisconsultes à la Mecque et Médine pour prier pour la victoire et la réussite, des événements que je relate dans la seconde partie de mes mémoires intitulée «Al-fathou al-moubine » (La claire Conquête).

Le Lancement

Vers 10h30 du matin, le jeudi, la marche démarra. Je réalisai un reportage sur son déroulement, décrivant l'atmosphère spirituelle et patriotique qui régnait parmi les participants, leur traversée des frontières factices et leurs prières une fois entrés dans le territoire saharien, avant de se précipiter vers Laâyoune, première étape de la récupération du Sahara.

Les Soldats de l'Occupation

Après environ vingt kilomètres, la Marche s'arrêta car elle était proche à seulement quelques centaines de mètres de la ligne militaire établie par les soldats espagnols. Il s'agissait d'un mur de sable derrière lequel étaient regroupés soldats et chars . Pendant ce temps, Hassan II était engagé dans des négociations complexes avec les Espagnols, soit directement, soit par le biais de pays amis. Dans une ambiance tendue, l'Espagne décida de se retirer, souhaitant éviter que cela ne soit perçu comme une défaite pour son armée, d'autant plus qu'elle traversait une période délicate de son histoire.

Le dimanche 9 novembre au soir, Hassan II ordonna aux volontaires de quitter le territoire saharien et de retourner dans les camps situés à la périphérie de Tarfaya. La décision fut surprenante, et beaucoup de volontaires ne la comprirent pas, considérant cela comme une défaite de leur Marche. Dans mes mémoires, je relate l'espoir, les pleurs, le refus et la protestation que j'ai observés dès que l'ordre royal a été transmis.

Quelques jours plus tard, des négociations commencèrent à Madrid, où je me rendis pour couvrir les événements. Le 14 novembre, l'Espagne signa l'accord de retrait, ce qui transforma complétement l’impact de l’arrêt de la Marche sur l'opinion publique nationale, et ainsi le Maroc récupéra rentrait dans ses droits . L'Espagne se retira, et de nouveaux combats commencèrent, mais cela c'est une autre histoire.

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