La politique monétaire pour juguler l’inflation peut être nécessaire, mais pas suffisante - Par Abdeslam Seddiki

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Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al Maghrib - Les ménages, notamment ceux appartenant aux catégories pauvres et moyennes, qui font appel au crédit à la consommation, ou ceux qui ont contracté des crédits à taux variables, ou ceux qui comptent acquérir un logement, vont être également sérieusement pénalisés

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A l’issue de la tenue de son conseil le 27 septembre dernier, Bank AL Maghrib a pris la décision de relever le taux directeur de 50 points de base à 2%. Cette décision qui a pris effet à partir du 29 septembre, vise à prévenir « tout désencrage des anticipations d’inflation et assurer les conditions d’un retour rapide à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix », précise le communiqué de la Banque. 

Le taux directeur est un instrument monétaire utilisé par les banques centrales pour réguler la masse monétaire et agir, à la hausse ou à la baisse, sur le crédit et le niveau des liquidités à travers la manipulation du coût de l’argent. Il représente le prix auquel les banques commerciales achètent leurs liquidités afin de faire crédit aux ménages et aux entreprises. Les mouvements des taux directeurs des banques centrales ont donc une incidence directe sur la masse monétaire en circulation et de fait sur l'activité économique de leur pays.

En prenant une telle décision, la première depuis 2008, Bank Al Maghrib a suivi l’exemple des différentes Banques centrales notamment la FED et la BCE qui ont procédé successivement au relèvement de leur taux directeur. Rappelons que Bank Al Maghrib n’a pas jugé utile de recourir à cet instrument lors de son conseil tenu le 21 juin dernier, tablant ainsi sur le caractère transitoire des pressions inflationnistes et sur un retour à la normale dans les prochains mois.  Mais les choses ont évolué différemment. Dans le mauvais sens s’entend. Ainsi, l’on a assisté à deux tendances majeures qui sont sujet à inquiétude :  d’abord, une vive accélération du taux d’inflation qui est passé de 4% au premier trimestre, à 6,3% en moyenne au deuxième trimestre, puis à 7,7% en juillet pour atteindre 8% en août ! On est rentré dans ce qu’on appelle une inflation galopante ; la deuxième tendance et non moins dangereuse consiste dans le passage d’une inflation importée, due essentiellement à l’emballement des prix des produits énergétiques et des biens alimentaires, à une inflation domestique touchant pratiquement tous les biens et services y compris ceux qui sont produits localement. Ainsi, sur les 116 sections de biens et services qui composent le panier de référence de l’indice des prix à la consommation, 60,3% contre 42,2% en janvier ont connu une augmentation de plus de 2% en août.  C’est ce qui a amené Bank Al Maghrib à intervenir.

Il reste maintenant à savoir l’impact d’une telle mesure à la fois sur l’investissement des entreprises et sur la consommation des ménages.  Tout indique, en effet, que l’augmentation des taux d’intérêt consécutive à l’augmentation du taux directeur, impactera négativement l’investissement notamment la PME qui constitue 90% de notre tissu productif. Qui dit investissement, dit croissance même si le Wali de Bank Al Maghrib minimise cet impact en estimant qu’il sera limité dans une fourchette de 0,1% à 0,2%. Raison pour laquelle la Banque a revu à la baisse ses prévisions de la croissance pour cette année à 0,8% au lieu de 1% prévu en juin dernier. Toujours est-il qu’il y a un risque sérieux d’une récession vue comme un « mal nécessaire » pour revenir à la normale, comme l’ont relevé de   différents analystes, y compris par une institution comme la CNUCED connue par ses positions qui sont le plus souvent aux antipodes de celles du FMI.  D’ailleurs, ledit communiqué de la Banque n’écarte pas une telle hypothèse.  Mais « l’enclenchement de spirales inflationnistes auto-entretenues est jugé plus néfaste pour la croissance à long terme qu’un resserrement fort et rapide qui permettrait de juguler les pressions inflationnistes ». 

Les ménages, à leur tour, et notamment ceux appartenant aux catégories pauvres et moyennes, qui font appel au crédit à la consommation, ou ceux qui ont contracté des crédits à taux variables, ou ceux qui comptent acquérir un logement, vont être sérieusement pénalisés. Ils n’ont d’autre choix que de se priver davantage en se serrant la ceinture.  Seuls les épargnants, personnes physiques et institutionnels, y trouveront partiellement leur compte et tireront leur épingle de ce « jeu monétaire ». Partiellement car les taux rémunérateurs de l’épargne demeureront dans tous les cas en deçà du taux d’inflation. En définitive, l’inflation n’est dans l’intérêt de personne à l’exception des spéculateurs et des spécialistes du jeu de casinos.

Dans l’ensemble, la politique monétaire n’est pas à elle seule suffisante pour juguler l’inflation. Tout au plus, elle peut réduire le choc. Et c’est déjà pas mal. Il appartient, par conséquent, aux pouvoirs publics   d’agir en mettant en place un lot de mesures économiques, sociales et réglementaires.  Pour les hydrocarbures, par exemple, l’Avis du Conseil de la Concurrence, émis le 26 septembre dernier, nous a montré la voie à suivre : s’attaquer aux profits spéculatifs. Il n’est pas exclu qu’en prenant produit par produit, on découvrira des comportements non moins nocifs et malveillants que ceux des pétroliers.  Le marché, sans régulation, se transforme en machine à appauvrir les pauvres et à enrichir les riches.