La rentrée politique rejette une lumière crue sur l'immaturité attentiste des élites partisanes – Par Bilal Talidi 

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La ruée vers le nord aura marqué la rentrée politique avec un double effet : éclipser les autres thèmes et mettre de l’eau dans le moulin des critiques du gouvernements sur précisément sur les thèmes qu’elles éclipsés (Photo par AFP)

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Pour l'observateur attentif des discours politiques au Maroc, il apparaît clairement que cette rentrée politique, comme les précédentes, est marquée par une atonie politique, et plus spécifiquement par une crise des partis, qui sont censés être les outils de production de la politique et lui donner un élan.

Ces dernières années, de nombreux thèmes ont été soulevés par l'État dans le cadre de sa vision stratégique, et ils ont constitué une partie essentielle du discours public pendant une période significative. Ainsi, on a vu émerger la question du modèle de développement, puis celle de l'État social et de la sécurité nationale dans toutes ses dimensions, y compris alimentaire et énergétique. Depuis plus de trois ans, la question de l'eau s’est imposée comme un enjeu majeur pour l'État, bien que le débat public autour de ce sujet ait été bien moins intense par rapport aux précédents. Ensuite, le débat sur la réforme du Code de la famille (la Moudawana) a animé le discours public, insufflant une grande vitalité dans la sphère intellectuelle en raison du fort désaccord entre les courants libéraux et conservateurs.

On peut remarquer que l'État , toujours central au Maroc, a repris le relais des partis en créant et en soulevant les questions stratégiques. Les élites partisanes se sont saisies de ces sujets, oscillant entre la reproduction des discours de l'État ou la transformation de ces enjeux en un outil de critique de l'action gouvernementale. Ainsi, la question du modèle de développement est devenue un symbole de l'échec des gouvernements précédents, qui n'avaient pas pris conscience des dysfonctionnements du modèle économique. De même, la question de l'État social est devenue une référence normative pour juger les politiques du gouvernement actuel. Quant au Code de la famille, pour certains courants politiques, chacun selon sa sensibilité (« moderniste » ou islamiste), il est devenu un test de cohérence avec les principes constitutionnels.

En résumé, les discours des élites partisanes oscillent entre la consommation des discours de l'État et leur instrumentalisation à des fins de positionnement idéologique et politique, ou, au mieux, entre l'exploitation des crises pour attaquer le gouvernement ou étayer ses réalisations. Au cours des cinq dernières années, il n'a pas été observé de rentrée politique marquée par un débat sur une question soulevée par un parti politique spécifique ou par un événement déclenché par son action intellectuelle ou politique.

Cette année, l'observation s'est concentrée sur plusieurs dynamiques. Les partis d'opposition ont tous exploité l'événement du "grand exode" de Fnideq vers Sebta le 15 septembre) pour le présenter comme un signe de l'échec du gouvernement et du parti qui le dirige, symbolisé par l'établissement des fondations de l'État social. Cependant, les dynamiques propres à chaque parti diffèrent. Le Rassemblement National des Indépendants (RNI) a entamé sa rentrée politique avec l'événement "Université des jeunes libres", axé sur l'État social. Ses débats ont été relégué par la vague de migration qui a donné du grain à. Moudre aux critiques de l'événement qui n’ont retenu de lui son aspect divertissant, d’autant plus que tandis que les forces de sécurité faisaient face aux migrants,  le gouvernement s’set distingué, au vu des circonstances, par un silence strident. c.

Le Parti de la Justice et du Développement (PJD) a également commencé sa rentrée politique avec son 18ème forum des jeunes, qui s'est articulé autour de deux thèmes : critiquer de son point de vue l'absence de dimension sociale du gouvernement et appeler à la fin de la normalisation avec Israël, tout en adoptant son discours traditionnel nostalgiques des ses présumé succès passés, sans parvenir à transformer ce forum en un lieu de débat sur la crise interne et l'évaluation des solutions proposées par la direction pour y remédier.

Le discours du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), partagé avec son ancien allié le PJD, a a surfé sur la crise des étudiants en médecine et des événements de Fnideq, thèmes centraux de sa rentrée politique. Mais alors que le PPS diagnostique la crise des étudiants en médecine comme étant due à l'entêtement du gouvernement et propose sa médiation pour résoudre ce problème, son discours sur les événements de Fnideq reste ambigu. Il estime que ces événements ne remettent pas seulement en cause la politique du gouvernement actuel, mais interrogent également le modèle de développement lui-même, qui n'a pas su répondre à toutes les catégories et régions, car ses fruits ne leur sont pas parvenus. Il oublie seulement toutes ses belles années, plus de vingt ans, passées au gouvernement.

Le PJD, de son côté, a adopté une approche différente concernant les événements de Fnideq. Tout en laissant entendre, dans une déclaration de son secrétariat général, qu'il pourrait y avoir un complot systématique visant à déstabiliser le Maroc, il a présenté ces événements comme un échec flagrant du gouvernement et de sa politique sociale. Quant à la crise des étudiants en médecine, il l'a perçue comme un signe de l'incapacité du gouvernement à communiquer et à dialoguer.

Le Parti Authenticité et Modernité (PAM), au lieu de se concentrer sur un sujet encadré par sa position politique, a détourné bien involontairement l'attention du public et des observateurs vers ses contradictions internes et les luttes de pouvoir entre ses dirigeants, renforçant ainsi l'image d'un parti guidé par des intérêts personnels.

Le Parti de l'Istiqlal, pour sa part, n'a pas encore réussi à mettre au point une liste de son comité exécutif à cause des conflits entre les centres de pouvoir internes, et son secrétaire général, Nizar Baraka, poursuit des consultations avec différentes factions de son parti, y compris sa centrale syndicale, pour compléter la structure organisationnelle. Ainsi, le discours de ce parti est resté absent pendant plusieurs mois et n'a marqué cette rentrée politique par aucune prise de position ou initiative distincte.

Le Parti Socialiste Unifié, qui connaît des divisions internes, a maintenu son discours critique face à la hausse des prix et a fortement critiqué le ministère du Tourisme, qu'il accuse de provoquer la flambée des prix dans les restaurants et les hôtels. Contrairement aux autres partis d'opposition, il a adopté un discours différent concernant les événements de Fnideq, en critiquant l'approche sécuritaire, alors que le PJD a salué les efforts des forces de sécurité pour empêcher le "grand exode".

En réalité, il ne s'agit pas d'analyser les positions des partis dans cette rentrée politique, mais d'observer le phénomène de "l'immaturité" des élites politiques, leur attentisme, leur dépendance à l'égard de l'initiative de l'État, et leur incapacité à produire un événement, une position ou un discours capable de capter l'attention du public et de forcer le gouvernement, voire l'État, à réagir. À l'exception de l'événement majeur produit par l'État cette année, à savoir la grâce accordée à plusieurs journalistes, qui est devenue une question d'opinion publique à laquelle ont réagi tous les partis ainsi que les médias, les élites partisanes ont maintenu leur caractère traditionnel et figé, se contentant soit de consommer les discours de l'État, soit de les utiliser pour servir leurs propres positions politiques, ou d'attendre une catastrophe naturelle ou un événement sécuritaire affectant la stabilité pour tenter de l'exploiter politiquement afin d'attaquer le gouvernement.