La Tunisie face aux manœuvres d’évincer Ennahdha

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Le président tunisien Kaïs Saied recevant le chef de file des islamistes d’Ennahda suite aux législatives d’octobre 2019

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La Tunisie ne va pas bien ces jours-ci. Non parce que des blocs parlementaires ont exigé la démission du Chef du Gouvernement pour utilisation de sa position gouvernementale en vue de consolider ses intérêts commerciaux, mais parce que l’affaire s’est écartée de la case de la lutte contre la corruption pour entrer dans le carré du conflit d’influence politique entre les trois institutions (le Président, le Chef du Gouvernement et le Président du Parlement), quand ce n’est pas  l’entremêlement  de l’interne et de l’externe pour évincer le Mouvement Ennahdha du pouvoir qui est venu compliquer le jeu.

Il y a quelques semaines, la Tunisie est parvenue à surmonter la tourmente provoquée par les Émirats Arabes Unis, via une façade parlementaire. La visite de Ghannouchi au Koweït est passée sans encombre, malgré la grande campagne médiatique hostile à son égard en raison de son attitude favorable en 1990 à l’invasion du Koweït par l’Irak. Mais, il semble que les crises en Tunisie ne s’arrêtent que pour faire place à d’autres crises plus fortes encore. En effet, si cette bataille s’est soldée par un match nul et tous les groupes parlementaires sont maintenant appelés à présenter au Président leurs propositions au sujet du prochain Chef de Gouvernement, il reste que ce sont les alliances qui décideront de l’issue de manœuvres en cours. Dès lors se pose la question de la capacité d’Ennahdha à renforcer sa position en tissant une alliance solide et à proposer une personnalité nationale compétente pour diriger le gouvernement, de même que sera testée son aptitude à mener la bataille de la consolidation de sa position à la Présidence du Parlement. Dans ces deux cas, le jeu des alliances se présentent comme un facteur décisif. 

Jusqu’à présent, les cartes dont disposent le Mouvement Ennahdha ne sont pas négligeables, l’instance de contrôle ayant soutenu dans son rapport la position du Mouvement à l’égard du Chef de Gouvernement. De plus, il est en mesure de mobiliser une alliance gouvernementale pouvant atteindre 120 sièges et de parvenir à un compromis autour d’un candidat commun à la présidence du gouvernement. En face, rien ne semble indiquer, pour le moment, que l’opposition soit capable de constituer une alliance conséquente, réduite qu’elle est à un discours tension, porté par le parti du Courant Démocrate et le Mouvement du Peuple, revendiquant l’éradication du Mouvement Ennahdha de tous les postes gouvernementaux et administratifs.

Les évolutions qu’a connues le discours du Président, tant au niveau interne (sa position quant à la requête d’Ennahdha pour démettre Le Chef du Gouvernement de ses fonctions) qu’externe (son changement d’attitude envers le dossier libyen), illustrent l’ampleur des pressions exercées sur la Tunisie par la France et les Émirats Arabes Unis. Et il est fort probable que le changement dans le discours du président, qui est passé de l’idéalisme au pragmatisme, soit imposé par la situation financière et économique difficile de la Tunisie dont le taux de croissance a dégringolé à - 7 %. Peut-être même que le Président commence à croire que pour sortir de cette crise, il serait judicieux de se tourner vers cet axe externe exerçant des pressions sur la Tunisie, la Libye et l’Égypte qui s’apprête à jeter son armée dans une guerre absurde à l’Est de la Libye.

La Tunisie comprend qu’il y a un prix à payer pour satisfaire l’étranger, celui d’évincer les islamistes du carré du pouvoir et pour ce faire, certaines tactiques constitutionnelles et politiques seraient nécessaires.

La situation est complexe, car la Tunisie a réalisé un long parcours pour ordonnancer sa démocratie, fruit de l’accord des forces politiques tunisiennes sur une constitution démocratique. Elles ont pu également s’entendre sur les mécanismes de l’entente nationale sur la voie démocratique et la relégation aux oubliettes de la culture d’exclusion.

C’est pour cela qu’il apparait difficile d’écarter les islamistes en dehors des processus constitutionnels ou politiques. Du côté de la Constitution, l’autorité du Président est limitée et sa marge de convoquer des élections législatives anticipées est limitée aussi bien par leur nécessaire justification que par le calendrier qui les régit. Il se pourrait même que leurs résultats soient contreproductifs si Ennahdha se classe premier avec plus des 54 sièges actuels, sachant que toute tactique d’isolement du Mouvement de Ghannouchi ne peut aboutir sans de fortes alliances contre Ennahdha, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

En politique, rien n’est impossible. Du jour au lendemain, il se peut que certains blocs parlementaires subissent une autorité externe ou interne et la cartographie actuelle en soit bouleversée, de manière à réduire le groupe Ennahdha. Ce qu’il faut retenir c’est que le dénouement en Tunisie qu’à travers les alliances et c’est aussi par le biais de ces alliances que les manœuvres des lobbies, internes et externes pour évincer Ennahdha se feront, ce qui n’est pas sans rappeler la façon dont on envisage au niveau marocain d’écarter le PJD des commandes du Gouvernement.