chroniques
Le passé aussi, M. le président – Par Salah El Ouadie
Le président Français Emmanuel Macron
La guerre criminelle qu’Israël mène à Ghaza et au-delà, aussi abjecte soit-elle, ne m’a pas empêché de continuer à m’intéresser à l’histoire du Maroc.
Un livre de mémoires, d’un homme respectable et respecté, a peu à peu accaparé mon temps. Il s’agit du livre « Le Maroc... Les années critiques » de feu Mehdi Bennouna, paru sous la plume talentueuse de Talha Jibril en 1979. Il y a 45 ans.
C’est en lisant ces mémoires que j’apprends, entre deux clics, la décision du Président français concernant la question du Sahara marocain.
Je lis le communiqué et je ne fais pas la fine bouche, même si la tentation est là. En lisant le communiqué du Cabinet royal, je ne peux m’empêcher de relever que la lettre du président parle « du présent et du futur du Sahara occidental » …
Mais ce présent et cet avenir sont-ils possibles sans le passé ?
Le passé... Qui nous ramène aux mémoires de feu Mehdi Bennouna.
Mehdi Bennouna était un patriote engagé, qui a fait une partie de ses études à Naplouse en Palestine alors qu’il n’avait que dix ans en 1929. Engagé politiquement dans le Nord du Maroc à son retour au pays, il a accompli un travail remarquable de militant patriote et de journaliste à Tétouane. Il a même réussi à fournir feu Mohammed V en journaux, comme il le raconte si bien, contribuant ainsi à lui permettre de suivre de près ce qui se passait au pays depuis l’isolement de son exil à Madagascar.
On apprend beaucoup de choses en lisant ces mémoires. Certaines péripéties sont connues de tous, comme le contexte de la conférence d’Algésiras de 1906, prélude au partage de notre pays entre la France conquérante et l’Espagne, parent désormais pauvre de l’Europe, à un moment où les visées coloniales étaient déjà à l’œuvre, aboutissant en 1912 au traité du protectorat conclu en 1912. Rappelons à ce propos que Charles de Foucault était déjà passé par là et avait préparé ce qui pouvait s’apparenter à un scanner pointilleux de nos contrées. Son livre « Reconnaissance du Maroc » paru en 1888, a été certainement mis à profit par les stratèges français lors du congrès de Berlin de 1894-1895, pour s’accaparer du plus « juteux » de notre pays, laissant à l’Espagne la part incongrue ou supposée telle par ces stratèges.
Ce qui m’a le plus captivé dans les mémoires de M. Bennouna, c’est sa capacité à se remémorer les détails et les péripéties contextualisant les agissements des autorités coloniales françaises, celles-ci œuvrant inlassablement, et quelque soient les forces politiques aux commandes à Paris, à imposer la stratégie colonialiste, et à la redynamiser chaque fois que celle-ci battait de l’aile.
Deux contextes ont spécialement ravivé ma colère : au sortir de la seconde guerre dite « mondiale », quand la France – laborieusement débarrassée du joug nazi, grâce également à la bravoure et aux sacrifices des fantassins marocains entre autres – s’est comportée d’une façon cavalière, repoussant les revendications des militants nationalistes en 1944 et fustigeant les initiatives de feu Mohammed V surtout à partir du discours de Tanger du 9 avril 1947. Même De Gaulle qui avait pris les risques que lui imposait la brusque et incompréhensible déconfiture pétainiste n’avait pas eu le courage de contrecarrer la politique coloniale de son pays au sortir de la guerre, et avait fermé les yeux sur l’ingratitude de Paris à l’égard des peuples qui avaient payé de leur sang la défaite de l’Allemagne nazie.
Le deuxième contexte concerne l’attitude des différents gouvernements français dans la gestion des retombées de l’exil de Mohammed V. Déjà avant cette date - en décembre 1952 - les forces françaises avaient pris le parti de tirer sans remords dans le tas. Des centaines, voire des milliers de Marocains jonchaient régulièrement les rues des villes et des campagnes marocaines. Les résidents généraux se succédaient et se ressemblaient en rigueur répressive quasi-criminelle. Les milieux farouchement colonialistes au sein des quelques 450.000 français résidant au Maroc leur emboitaient le pas, quand ils n’étaient pas les initiateurs de la répression tout azimut… Les français épris de justice existaient également, au Maroc comme en France. Mais l’impact de leur action restait malheureusement minoritaire et limité.
Il a fallu la position inébranlable de Mohammed V, l’action de milieux nationalistes et syndicalistes au Maroc comme à l’international, les centaines de Marocains tués lors des manifestations, l’émergence de l’Armée de Libération et le déclenchement de l’action armée, et les prémices d’un nouvel ordre mondial qui annonçaient le condominium soviéto-américain pour que la France se décide à négocier et à accepter le retour d’exil de Mohammed V.
Dans ce contexte, une position foncièrement basée sur la justice historique, aurait incité les deux puissances colonisatrices à restituer dès 1956 toutes les parties du Maroc telles que colonisées en 1912.
Une telle attitude aurait traduit une volonté franche et assumée de la part des deux puissances anciennement colonisatrices pour reconnaitre cette vérité intangible. Mais il a fallu cinquante autres années après l’indépendance amputée pour que l’histoire revienne, partiellement encore, à son cours, et pour qu’enfin leurs entreprises jugées – désormais - injustes par les lexiques d’aujourd’hui, comme par la perspective historique à travers laquelle nous pouvons tous contempler sans trop de brouillard notre histoire et la leur. Comme d’ailleurs par la reconnaissance française qui vient d’être actée, plus d’un siècle après le traité du protectorat.
Oui. Ça nous a couté toutes ces années. Toutes ces générations. Tous ces sacrifices. Et c’est peut-être là la raison de l’omission présidentielle.
Qu’à cela ne tienne. Nous ne ferons pas la fine bouche.
Quant au passé, comme du présent, comme de l’avenir nous nous en occuperons.
Oui M. Le président, vous avez raison, le présent et l’avenir du Sahara s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. Son passé aussi, M. le président.