Le triple scrutin : Démonstration de l’irréversibilité d’un modèle et risques de son altération – Par Bilal TALIDI

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La tenue des élections générales dans un contexte régionale tendue e perturbée éclaire d’un jour nouveau la singularité du modèle marocain

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Il y a un ensemble de signifiants importants à retenir de la tenue simultanément de trois échéances électorales : communales, régionales et législatives.

Le premier signifiant consiste en l’organisation d’un scrutin d’une aussi grande ampleur dans un contexte arabe, et plus particulièrement maghrébin, marqué, pour le moins que l’on puisse dire, par les trébuchements de la transition démocratique. Même la Tunisie, récemment encore une source d’inspiration en la matière, passe actuellement par un quasi-vide politique suite à la suspension du processus démocratique et le gel des institutions. Seule l’expérience marocaine a révélé jusqu’ici sa résilience dans un contexte régional où la tendance démocratique est menacée de toute part.

Le deuxième se rapporte au fait que ces échéances reflètent la continuité et la stabilité du modèle marocain, sa capacité à s’adapter aux défis régionaux et internationaux, voire son aptitude à gérer habilement en interne le conflit des intérêts entre les différentes composantes dans le cadre du système politique en place. 

L’expérience de la Tunisie, dont nombre d’observateurs craignent la déviance, a conforté la pertinence de l’approche du Maroc qui a très tôt opté pour le parachèvement de l’édifice constitutionnel, la séparation des pouvoirs, la mise en place d’institutions d’arbitrage (Cour constitutionnelle), et la création de mécanismes de gouvernance et de transparence dédiés à la consolidation de l’édifice étatique et à l’empêchement des déséquilibres des pouvoirs.

La troisième leçon à retenir de ce qui précède a trait aux évolutions tendant à en finir avec les régimes constitutionnels de type parlementaire, au point d’opposer dans une dualité tranchée adeptes de l’autocratie et défenseurs du régime parlementaire. Ce que l’option constitutionnelle marocaine a très tôt résolu en procédant au renforcement des attributions du gouvernement et du Parlement, dans le cadre d’une monarchie en constante évolution, qui préserve ses attributions stratégiques et assume son rôle d’orientation, tout en laissant une large marge de manœuvre à l’institution législative pour remplir ses fonction de législation et de censure. 

Ce qu’il faut globalement déduire ainsi de la stabilité et de la pérennité du modèle politique marocain tient à sa capacité d’organiser des élections générales avec la participation de différentes sensibilités du spectre politique du Royaume (nationalistes, traditionnalistes, libéraux, gauchistes, islamistes, etc.). Seuls dérogent à la règle les éternels abstentionnistes d’Al Adl Wal Ihsane et Annahj Addimoucrati (Mouvement Justice et bienfaisance, et la Voie démocratique) une minorité certes active et bruyante, mais insignifiante. 

Même les différends qui ont ponctué la révision du mode de scrutin et l’adoption d’un nouveau quotient électoral, n’ont pas fondamentalement impacté le choix des acteurs quant à la participation aux élections, ce qui renseigne sur la nature du modèle marocain, toujours prompt à ne pas générer des tensions inutiles et à éviter la polarisation exacerbée des composantes du corps social, comme c’est le cas en Egypte ou en Tunisie.

Cette réalité socio-politique qui met en exergue la profonde signification de la tenue d’un triple scrutin le même jour dans un contexte régional fait de tensions et d’instabilité, renvoie une image fort positive de la situation politique au Maroc. Elle renseigne sur la nature des rapports entre les institutions d’une part, et des rapports entre l’Etat et le peuple de l’autre, mais également entre les acteurs politiques et l’administration territoriale. Ils éclairent surtout d’un jour nouveau la singularité du modèle marocain, voire son exception dans l’ensemble de la région arabe.

Les significations de cette réalité socio-politique - mieux perçues par l’observateur étranger que par l’acteur politique local - étant établies, il serait erroné de se focaliser uniquement sur la forme et l’apparence pour réduire à une fin en soi l’organisation d’élections de cette ampleur dans les délais prévus. Tout aussi important sont l’esprit de ces consultations électorales et leur déroulement insuffisants pour cerner ce qu’ils sont réellement : une avancée sur la voie du processus démocratique, ou, bien au contraire, ils représenteraient une régression.

Plus important qu’une comparaison entre les élections de 2021 et les échéances antérieures, plus important qu’une analogie entre les modes de scrutin actuel et précédent, est, pour certains analystes, le constat de l’évolution démocratique et l’organisation d’élections attestent, selon eux, de la persévérance sur la voie de la démocratisation dans un contexte régional défavorable à la démocratie.

Les tenants de cette thèse, adossée à une logique imparable, s’appuient sur un argument difficile à réfuter. Néanmoins, il ne serait pas inutile d’en discuter les fondements et la cohérence. Peu portée sur l’essence de l’opération démocratique, autrement dit les principes même qui la sous-tendent, cette thèse passe en pertes et profits la perversité de la transhumance politique. Fait peu de cas de l’utilisation massive de l’argent sale. Et ne soucie pas trop de la mort clinique des partis politiques fondés sur des doctrines et des projets, cependant que prospèrent des partis dont le seul programme est utilisation du pouvoir d’accréditation pour mobiliser leurs notables à la veille de chaque échéance électorale.

Cette thèse construit son argumentaire sur l’échec des autres (les pays du Printemps arabe) qui ont raté leur transition vers une démocratie dans son acception occidentale, marketée comme universelle. Cet ‘’idéal’’ s’étant terminé en putschs contre l’essence de la démocratie et une rechute dans l’autoritarisme, leur permet de soutenir que le Maroc est resté stable et résilient et l’opération électorale y est maintenue de manière régulière, ce qui constitue en soi une force à ne pas sous-évaluer.      

Probablement que le Maroc besoin de faire valoir sa spécificité et son exception à l’échelle régionale, et mettre en valeur cette exceptionnalité qui lui a permis dans une conjoncture épidémiologique glissante non seulement d’y faire face, mais aussi de mettre les opportunités paradoxalement offertes par la pandémie du coronavirus au profit de son essor économique. C’est, en effet, un argument porteur qui en fait un pays des plus sûrs, des plus crédibles, des plus attractifs et des dignes de confiance. 

Reste que l’équation ne se pose pas toujours de de cette manière. En politique, il n’y a pas que des opportunités à saisir, mais également des défis à relever. Et ils sont nombreux en raison précisément du contexte tendu des rapports régionaux et internationaux.

En capitalisant sur les opportunités, l’argument de la spécificité et de l’exception à l’échelle régionale est un bon levier pour gagner des points, asseoir l’assise régionale et favoriser le développement économique. Mais face aux défis, l’arme la plus puissante consiste à immuniser le front intérieur. L’ancrage des institutions, leur complémentarités et de leur cohésion ; la force des partis, de leurs idées, de leurs hommes et de leurs projets, la solidité de l’option démocratique ainsi que la défense des avancées et des acquis démocratiques sont autant d’outils d’égale importance dans la réalisation du dessein marocains.