Les trois priorités de Benmoussa dans la balance – Par Bilal TALIDI

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Chakib Benmoussa en visite de terrain… inconnu

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Depuis sa nomination à la tête du ministère de l’Education nationale, Chakib Benmoussa a pris trois décisions majeures : le dialogue social, la limitation à 30 ans l’âge des candidats au concours d’accès aux cadres des académies, et l’adoption d’un budget colossal pour la formation des cadres, substituant dans le régime des promotions la formation à l’ancienneté.

Si le dialogue avec les syndicats et les cadres des académies, traditionnel dans sa forme, n’a pas apporté de nouveautés sur le fond, il a néanmoins révélé un besoin de stabilité et de paix sociale pour le secteur de l’enseignement après une série de contestations déstabilisatrices menées par les «enseignants contractuels».

L’enseignant, nœud du problème et de la solution

Il était donc clair qu’en optant d’emblée pour le dialogue social, le ministre cherche à désamorcer les tensions et à créer le climat favorable nécessaire à la mise en œuvre de son plan de réforme. Le ministre a donc bien compris que ce volet est une voie incontournable pour aborder le fond des réformes orientées vers l’amélioration de la qualité de l’éducation-formation.

Ces trois éléments qui préfigurent sa vision de la réforme, dont la refonte du système des promotions apparait comme un vecteur axial, font ressortir un constat sans appel : le cadre pédagogique (l’enseignant) est le nœud du problème et en même temps sa solution, et que toute entreprise de réforme passe immanquablement par un enseignant performant (limitation de l’âge), qualifié (formation continue) et motivé (promotion).

M. Benmoussa a hérité d’une situation juridique qui lui épargne beaucoup de débats et de contestations sur la langue d’enseignement, puisque la loi-cadre adoptée sous le gouvernement El Otmani a clos ce dossier en optant pour le français. Ce qui ne le dispense pas pour autant de faire face à deux problèmes fondamentaux : 

Le premier consiste à sécuriser le temps scolaire en réaction aux tensions sociales (grèves des enseignants), ce qu’il tente d’obtenir à travers le dialogue avec les syndicats et les cadres des académies, et la promesse de régler bientôt ce dossier. 

Le second se rapporte au défi de l’amélioration de la qualité de l’enseignement à travers l’efficience de la formation continue.

La sécurisation du temps scolaire

Depuis l’adoption de la Charte nationale d’éducation et de formation, les gouvernements successifs ont constamment évité d’aborder frontalement le problème fondamental de l’enseignement (la qualité de la formation) et se sont plutôt préoccupés de questions périphériques. Mais dès qu’ils se sont concentrés sur la sécurisation du temps scolaire, ils se sont retrouvés face au phénomène de l’hémorragie causée par des départs des enseignants à la retraite. Ce qui les a contraint à opté pour des politiques d’urgence, en ouvrant grandes les vannes devant des effectifs énormes d’enseignants, dont la plupart ne disposaient pas de la maîtrise suffisante, n’ayant pas bénéficié de la formation pédagogique nécessaire.

Au moment où le Département de tutelle a cherché à doter cette catégorie d’enseignants de la qualification adéquate par la formation continue parallèlement à l’exercice de leurs fonctions en classe, il s’est retrouvé devant une importante vague de protestations des cadres des académies qui revendiquaient leur intégration dans la fonction publique, ce qui s’est fortement répercuté sur le temps scolaire. Comme pour ne rien arranger, l’épidémie du coronavirus est passée par là. Si elle a momentanément estampé la crise, les mesures préventives devenant la préoccupation majeure, elle a également relégué au second plan le problème de la qualité de la formation.

Une défaillance congénitale

A cette problématique, M. Benmoussa tente de répondre avec son triptyque articulé autour du dialogue social, du rajeunissement des cadres de l’enseignement, et de leur formation. Sauf que la panacée promise est confrontée à une série de défis qui risquent d’en limiter la productivité. D’abord, parce que les nouveaux cadres admis sont issus des pires systèmes d’enseignement en termes de qualité. Ils ont certes subi avec succès les concours d’accès, mais leur maîtrise des matières de spécialité et des langues laisse, et c’est peu dire, à désirer. C’est une défaillance congénitale.

De surcroit, ils vont se retrouver face à une réalité pédagogique fort complexe, où l’institution scolaire semble n’être plus en possession des outils de la régulation administrative en raison du déficit en ressources dédiées, de l’immensité des tâches bureaucratiques, et de l’absorption des efforts de l’appareil administratif dans le règlement des problèmes sociaux.

Dès lors la mission des nouvelles recrues pour améliorer la qualité de l’enseignement risque de se révéler quasi impossible pour ne pas dire que ces nouveaux enseignants ont de fortes chances de se transformer eux-mêmes en un facteur d’affaiblissement du système de l’enseignement dans son ensemble au cas où le gouvernement ne parviendrait pas à apporter une réponse convaincante tant aux syndicats qu’aux cadres des académies.

La nécessaire évaluation

La formation continue au sein du ministère de l’Education-formation n’a jamais fait l’objet d’une évaluation sérieuse, qu’il s’agisse des budgets qui lui sont alloués, ou des résultats escomptés et de leurs impacts sur la qualité des apprentissages. 

Le programme « GENIE», à titre d’exemple, dont l’objectif essentiel était d’intégrer la technologie dans l’enseignement et de la mettre à profit pour améliorer les apprentissages, illustre à lui seul les ratées du système. Dix après son lancement, son impact sur l’apprentissage n’a été soumis à aucune évaluation, alors que ses programmes, restés basiques, se limitent à fournir à l’enseignant des informations élémentaires sur la maîtrise des outils Word et Excel ou sur l’ouverture d’une adresse électronique, alors qu’ils étaient conçus pour initier les enseignants à produire des contenus numériques censés aider les apprenants à améliorer leurs apprentissages.

On peut en dire autant des matières de spécialisation qui, en deux décennies, n’ont bénéficié d’aucun programme de renouvellement et de développement, les sessions des cadres inspecteurs demeurant dans ce cadre les seules plateformes dédiées au développement des aspects didactiques des matières d’enseignement.

Parier sur la formation continue pour en faire un levier de l’amélioration des apprentissages est incontestablement d’une importance capitale. Ceci ne dispense pas d’interroger à trois niveaux l’expérience de cette même formation : ses axes, l’impact de son contenu sur l’amélioration de la performance de l’enseignant, et l’évaluation de l’impact effectif du financement sur le rendement des apprentissages.

Cette évaluation est indispensable, car elle permettra au ministre de mieux cerner l’appareil en charge de la mise en œuvre de sa vision, le ministère en l’occurrence. Elle le dotera également de repères pour vérifier si la formation continue qu’il préconise aura avec pareil outil les résultats escomptés sur la qualité des apprentissages, afin d’éviter qu’elle ne devienne seulement un gouffre pour les ressources au profit de castes de privilégiés, engluant un peu plus le système éducatif dans sa sclérose habituelle.