LOUIS MERMAZ, LE DERNIER ELEPHANT SOCIALISTE - PAR MUSTAPHA SAHA

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M. Saha et L. Mermaz- Paris – Juin 2024. « Je fréquente particulièrement Louis Mermaz depuis ses années de repli, sa renonciation progressive au service actif en politique. Il retrouve la joie de lire, d’écrire. Il se régénère. Il surmonte les coups du destin. »

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Jeudi, 15 août 2024. Plestin-les-Grèves, Côtes d'Armor. Louis Mermaz est mon ami. La mort ne met pas fin à l’amitié. Je ne peux l’évoquer qu’au présent narratif. Notre premier lien, la passion des livres, des archives, des essais philosophiques, des traités scientifiques, des raretés poétiques. Il est fidèle en politique. François Mitterrand le surnomme l’éléphant socialiste. Il le pressent comme successeur. 

Nous nous revoyons, pour la dernière fois, deux mois avant sa disparition. Nous prévoyons un dîner en octobre à La Closerie des Lilas. Il m'offre son dernier ouvrage, Le Fonds Louis Mermaz, Une source pour l'histoire d'une période de mutation, éditions Le Bord De L'eau. Une collecte scrupuleuse de documents. Ses mémoires, Il faut que je vous dise, éditions Odile Jacob, y puisent leur quintessence. J'apprends sa mort à l’âge respectable de quatre-vingt-douze ans, ce 15 août 2024. 

Je fréquente particulièrement Louis Mermaz depuis ses années de repli, sa renonciation progressive au service actif en politique. Il retrouve la joie de lire, d’écrire. Il se régénère. Il surmonte les coups du destin. Il repend en main sa destinée. Il promène son élégance classique dans les signatures de ses livres. Nous parlons des problématiques de l’engagement et de la distanciation. Je le vois prendre  ses distances des affaires publiques, analyser toute chose sans empressement, émettre ses avis sans illusion sur leur impact. Il se coule dans un pragmatisme érudit. Il suit toute sa vie la même ligne politique, un socialisme jaurésien. « Le socialisme ne peut se contenter d’un replâtrage du capitalisme. Il doit changer le système des valeurs. Il doit se concentrer sur la justice sociale. Il doit transformer radicalement les structures. Si il se borne à gérer la société telle qu’elle est, il dérive vers une vague social-démocratie et débouche sur une forme plus exacerbée de libéralisme ». Il voit la gouvernance du pays phagocytée par des technocrates incultes, des adeptes du tout et de son contraire, à l’affût des bénéfices immédiats. Les américains tirer les ficelles. Leurs cabinets de conseil dictent les conduites. 

Louis Mermaz est revenu de tout, sauf de ses idéaux socialistes, de ses convictions anti-impérialistes. II publie, dès son adolescence, des chroniques anticolonialistes. Il ne cesse de défendre la cause immigrée. En novembre 2000, il rédige un rapport incendiaire sur les centres de rétention. Il qualifie d’horreur républicaine les zones d’attente des étrangers. L’exclusion fabrique des clandestins rejetés de toutes parts, ballotés par leur errance sur les mers, condamnés avant leur arrivée à bon port. Un quart de siècle plus tard, les immigrés passent du purgatoire à l’enfer. Des lois scélérates légitiment les vexations, les discriminations, les persécutions. Le délit de faciès s’officialise. La police traque sans merci les africains, les maghrébins, les passants estampillés boucs émissaires.

Louis Mermaz plonge, ces dernières années, dans la relecture des grands classiques. Nous en discutons. Je lui révèle l’esprit colonialiste de Victor Hugo. Je lui apporte, la fois suivante, la preuve indiscutable, Le discours sur l’Afrique du 18 mai 1879. Le poète se fait prophète de la colonisation civilisatrice d’un continent dont, à vrai dire, il ne sait rien. Il ne voit qu’un « bloc de sable et de cendre, un monceau inerte et passif, sauvage quand il est désert, barbare quand il est peuplé ». Il ressasse : « L’Afrique est à prendre. Elle n’appartient à personne. L’Afrique n’a pas d’histoire ». Louis Mermaz me dit : « Dans la lecture des grands auteurs, il faut décidément se munir d’un dépollueur idéologique ».