L’Erdogan qui veut prétentieusement jouer à ses risques et périls dans la cour des grands

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’est pas d’une essence démocratique. Ou s’il l’est c’est à l’image de toutes les figures de l’International des Frères musulmans. Pour qui la démocratie est au mieux un outil pour atteindre le pouvoir aux fins de mieux museler les voix discordantes. 

La répression de masse qui a suivi la tentative de coup d’Etat en 2016, une purge à l’échelle de la Turquie, devrait en principe mettre d’accord tout le monde sur la nature autocrate de son pouvoir, sauf bien évidemment ses inconditionnels dont on retrouve quelques spécimens ici au Maroc, notamment dans les rangs du PJD. Ses postures, ses propos, le charisme dont il se prévaut auprès de son électorat, son coté crâneur, son narcissisme débridé, tout lui en inspire l’inquiétude que suscitent généralement les hommes dévorés par des ambitions au-delà de leurs moyens et de leurs aptitudes intrinsèques. 

Il ne s’agit pas de faire de l’anti-erdoganisme primaire. Sous sa houlette, la Turquie est devenue la première puissance économique du Moyen Orient bien devant l’Arabie saoudite qui a pourtant sur Ankara l’avantage (ou le désavantage c’est selon) de la richesse pétrolière. En Europe à laquelle elle appartient en partie, elle occupe le 7ème rang et au niveau mondial on la classe 13ème, ce qui n’est pas rien et lui permet de figurer en bonne place dans le G20. Militairement, la Turquie possède la deuxième armée de l’Otan en effectifs, un avantage quantitatif qu’handicape sa dépendance pour beaucoup de l’arsenal occidental. C’est dire que pour un nostalgique de l’empire Ottoman, Erdogan est bien loin, dans la configuration actuelle du monde, de la puissance d’un Souleymane le Magnifique. Pourtant tout dans ses comportements laisse supposer qu’il se confond avec la puissance absolue. 

Qu’il prétende au trône de la vaste sphère sunnite n’est pas en soi –quoique – illégitime, pas plus que ne l’est sa volonté d’évincer du leadership de l’Organisation de la Coopération islamique le Royaume Wahhabite qui a failli à bien des égards. Mais rien ne l’autorise à engager son pays dans une diplomatie agressive hasardeuse et une politique guerrière qui reste, à ce que l’on sache, tributaire des fournitures de l’armement occidental. Rien que pour cette semaine, il a procédé au bombardement des Kurdes du PKK en Irak, abusant de la faiblesse de l’Etat irakien, se souciant peu de la dignité et de la souveraineté des Irakiens. En Syrie, c’est en envahisseur qu’il se présente, bombardant les troupes légalistes et occupant des territoires d’un Etat, aux dernières informations, encore souverain et membre de l’ONU. Il s’y retrouve en soutien à « l’opposition armée », écran dérisoire pour camoufler les origines quaidistes du melting-pot jihadiste qui y sévit. On a beau ne pas aimer le régime syrien, on ne peut ne pas relever que les seuls pays à bombarder régulièrement la Syrie pour affaiblir les troupes d’Assad sont la Turquie et… Israël qui, à l’abri de la fragilisation de Damas, a annexé sans autre forme de procès le Golan occupé.   

La frénésie de Recep Tayyip Erdogan à déployer une diplomatie de puissance risque à terme de lui couter cher. Du Moyen Orient au Maghreb, face à l’Arabie saoudite aussi bien qu’à l’Egypte, de la Syrie à la Libye, Ankara se veut maitre du tempo et joue dans une catégorie où pas grand-chose l’y prédispose. Ses différentes prises de position, ses prétentions militaires et territoriales en Syrie, son autoritarisme intérieur, ses coups de griffes à l’allié américain, son idylle tactique et mouvementée avec Moscou, sa cour assidue à Téhéran, son chantage aux réfugiés ont abouti à une forme de divorce sursitaire avec l’Occident sans qu’Ankara ait sous la main des alternatives viables à son appartenance à une OTAN, elle-même déjà fragilisée par le doute qu’instille Donald Trump quant à son utilité. Si bien qu’Erdogan s’est retrouvé dans une situation d’isolement dont il lui sera difficile de se dépêtre. Le ton hautain utilisé à son égard par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qualifiant la Grèce de son « bouclier » contre le flux des refugiés, mission qui était dévolue à Ankara, en dit long sur l’impasse de la Turquie erdoganienne.