chroniques
Maroc-Algérie : ''L’inconnue'' espagnole dans l’équation de la rupture des relations - Bilal Talidi
Le Roi Mohammed VI recevant le Président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez au Palais royal de Rabat le 19 novembre 2018
Sans surprise, l’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc, suite à la décision du Haut conseil de sécurité algérien (HCS) de revoir ces relations.
Naturellement, Alger n’a présenté aucune preuve sécuritaire ou militaire en lien avec la nature des « actes hostiles » que le Maroc aurait menés à son encontre. Le pouvoir algérien s’est contenté d’égrener pêle-mêle ses ritournelles (accusation du Maroc d’implication dans les incendies de Tizi Ouzou, Béjaïa et d’autres wilayas, espionnage de responsables algériens par le programme Pegasus, soutien des mouvements «MAK» et «Rachad», et coordination avec Israël pour ébranler la sécurité et la stabilité de l’Algérie).
Le court délai (une semaine) qui sépare la décision du HCS de revoir les relations avec Rabat et la décision de les rompre (communiqué du ministère algérien des AE) induit une question essentielle : Qu’est-ce qui a amené les généraux à précipiter le mouvement ?
Dans les faits, il n’y a rien de nouveau sur les données sécuritaires qui viendraient étayer d’une quelconque manière les allégations antérieures contre le Maroc et qui soient de nature à justifier le passage de la décision de revoir les relations maroco-algériennes à leur rupture. Les prétextes avancés dans le communiqué du ministère algérien des AE étaient déjà présents bien avant la réunion extraordinaire du HCS et l’Algérie avait préféré répondre aux défis que lui posait l’activisme diplomatique du Maroc par sa tentative de ressusciter sa diplomatie «historique», en faisant actionner une diplomatie massive dans la région (Libye, Tunisie, médiation entre l’Egypte et l’Ethiopie au sujet du barrage de la Renaissance, Nahda).
Alger estimait ainsi que c’est seulement la somnolence de sa diplomatie face au dynamisme du Maroc au cours des dernières années qui est à la source du possible « enterrement » de la question du Sahara, selon l’expression du président algérien Abdelmadjid Tebboune, et qu’il suffisait en conséquence de renouer avec la présence et l’agressivité de sa diplomatie d’antan pour modifier les rapports dans la région en sa faveur.
Que s’est-il donc passé pour que l’on assiste à une nouvelle poussée de fièvre et au franchissement d’une nouvelle étape dans la stratégie de la tension ?
Un événement majeur s’est, en effet, produit au cours de la même semaine, en l’occurrence le discours royal à l’occasion de la Révolution du Roi et du peuple comportant des données qui ont visiblement indisposé la partie algérienne. Il s’agit, entre autres, de l’affirmation que le Maroc est visé et que la réponse à ces menaces résidait dans la force du front intérieur et le rassemblement de l’ensemble du peuple marocain, qui a fait montre de son esprit de corps, autour de sa monarchie citoyenne.
A Alger, cette affirmation a été interprétée comme une critique enrobée des décideurs politiques algériens qui, au lieu de faire face aux défis communs à toute la région par la consolidation de leur front intérieur et le renforcement des liens unissant le peuple au pouvoir, se rabattent sur l’épouvantail de l’ennemi extérieur.
La seconde teneure du discours susceptible d’avoir précipité la prise de la décision de la rupture est l’évocation par Sa Majesté le Roi de relations diplomatiques inédites dans l’avenir avec l’Espagne.
Une chronologie parlante
Alger, qui a travaillé pour, nourrissait le vœu de voir la tension maroco-espganole dégénérer en une tension entre Rabat et Bruxelles dans l’espoir de servir ses intérêts et d’apporter de l’eau au moulin de sa machine diplomatique, avec la volonté non dissimulée d’amener la partie européenne à faire pression sur l’administration américaine en vue de revoir sa reconnaissance de la marocanité du Sahara.
Or, ce qui s’est passé est allé dans le sens inverse.
Un jour avant le discours royal, les autorités marocaines ont démenti l’arrêt de la reconduction du contrat du gazoduc Maghreb Europe, qui relie via le Royaume les gisements algériens à l’Espagne, spécifiant même que les structures étant amorties, ce gazoduc offrait de couts compétitifs. Son contrat arrivant à échéance le 31 octobre, Rabat s’est ainsi dédouané de toute responsabilité de ce qui pourrait advenir de ce service.
Deux jours après le discours royal, des médias espagnols ont fait état d’une fin imminente de la tension diplomatique entre Rabat et Madrid, allant jusqu’à évoquer une éventuelle reconnaissance par l’Espagne de la marocanité du Sahara, en échange d’arrangements sur la situation des présides occupés de Sebta et Melilia.
Dans cette foulée et deux jours avant l’annonce par Alger de sa décision de rupture, l’Union européenne s’est félicitée du dépassement de la crise entre Rabat et Madrid, soulignant que cette donne ouvrirait une nouvelle page dans les relations bilatérales et dans le partenariat stratégique entre le Maroc et l’UE.
Cette nouvelle dynamique a fait que concomitamment à la décision d’Alger de rompre ses relations avec Rabat, la France affirmait, par la voix d’un porte-parole du Quai d’Orsay, que le Maroc est "un grand pays ami de la France" et "un partenaire crucial de l'Union européenne".
Cet enchainement ainsi que l’analyse de la phase d’expectative entre la réunion du Haut conseil de la sécurité algérien et la décision de rompre les relations avec le Maroc laissent supposer que le point d’inflexion est en relation avec l’avancement des négociations maroco-espagnoles. Les services algériens qui n’étaient pas sans subodorer que la situation évoluait, n’avaient aucune idée sur l’état d’avancement et l’ampleur de ces négociations secrètes qui se déroulaient sous la supervision directe du Roi. Alger est restée ainsi en attente de leurs résultats et dès que le Roi a annoncé l’inauguration prochaine de relations inédites avec l’Espagne, Alger a précipité sa décision de rompre ses relations avec Rabat.
Pour logique qu’elle est, cette interprétation des évènements ne suffit pas pour répondre à la question du lien entre rapports maroco-espagnols et rapports maroco-algériens
Face au « risque » d’une reconnaissance espagnole
Pour mieux cerner le déroulé de ces développements il faudrait revenir aux changements induits par la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et le soutien international de l’intervention du Maroc pour sécuriser et assurer le passage d’El Guergarat et protéger le commerce international. Ces nouvelles donnes ont convaincu Alger de l’urgence de focaliser son action diplomatique et ses services de Renseignements sur la coordination avec des pays européens aux intérêts stratégiques que la perpétuation du conflit du Sahara arrangeait. Son objectif était de priver le Maroc de toute position avantageuse dans ses négociations avec l’UE et de contrecarrer toute avancée sur le terrain européen du processus de reconnaissance de sa souveraineté sur son Sahara. La crise maroco-espagnole suite à l’hospitalisation de chef des milices séparatistes, tombée « à point nommé », semblait presque miraculeuse pour consolider cette orientation.
C’était compter sans les atouts et la puissance de négociation du Maroc. Ce scénario escompté par Alger a lamentablement échoué et la diplomatie algérienne s’en est trouvée désarçonnée. L’idée même que la presse espagnole puisse évoquer, fut-ce au titre de probabilité, la reconnaissance par l’Espagne de la marocanité du Sahara évoquée plus haut, l’a mise en état d’alerte. Pareille démarche ruinerait inévitablement la thèse algérienne et ses plans dans la région. Ce « scénario catastrophe » pour Alger réduirait à un impact sans grande signification toutes les autres options, du reste limitées, qui s’offrent au pouvoir algérien.
Alger est pertinemment conscient des limites de ces options, y compris une présence militaire russe dans la région ou encore l’instrumentalisation de la carte militaire télécommandée du Polisario. Pris à la gorge par une situation interne qu’il beaucoup de mal à maitriser, le pouvoir des militaires mesure à leur juste ampleur les conséquences de sa diplomatie erratique et craint plus que tout l’anéantissement des illusions sur lesquelles il a construit sa main mise sur le pays. Par la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, il tente d’anticiper la réaction populaire contre des choix géopolitiques hasardeux et une diplomatie viciée qui a dilapidé, pour une carte cramée nommée Polisario, des milliards de dollars qui auraient été plus utiles ailleurs.