Mille excuses Mister Price, votre petite ''leçon'' est nulle et non avenue – Par Salah El Ouadie

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« En aucun cas nous n’accepterions une réédition de l’histoire ou que vous pêchiez dans nos eaux des candidats à la « protection » américaine, française ou espagnole… » (Salah El Ouadie)

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Suite à la condamnation de S. Raissouni, le porte-parole du département d’Etat, N. Price, a déclaré que ce « verdict contredit la promesse de procès équitables […] ainsi que l’agenda de réformes de Sa Majesté le Roi Mohammed VI ». Il n’en fallait pas plus pour mettre en colère saine Salah El Ouadie qui a eu à connaitre dans sa chair les années de plomb. Dans ce texte de cœur et de raison, il s’insurge, renvoie Ned Price à ses chères études et récuse sa « petite leçon des choses ». Sans éluder le questionnement lancinant de nombre de citoyens sur un retour de la poigne sécuritaire dans notre espace public. 

Il y a dans notre pays une affaire en justice. Tant qu’elle est en cours et qu’elle n’a pas épuisé l’ensemble de ses développements, elle reste ouverte à toutes les interprétations. Et tout accusé est innocent jusqu’à épuisement de toutes les procédures pouvant prouver son innocence. 

Cependant l’opinion publique est partagée sur le motif du procès, ainsi que sur le coupable présumé et la victime supposée. L’opinion publique est divisée pour des considérations liées qui à la politique, qui à l’espace des libertés, qui aux valeurs dominantes et comportements courants ou peu fréquents. Toutes les interprétations ont droit au chapitre, y compris celle considérant l’accusation fabriquée pour des raisons politiques, ou celle soutenant que la victime a le droit de se défendre malgré le caractère supposément non-conventionnel de ses penchants.

En dépit de l’étonnement des milieux ayant suivi le déroulement de ce procès devant le verdict rendu récemment, l’affaire est toujours en cours devant la justice qui s’est retrouvée dans l’impossibilité de tenir ses audiences selon la procédure requise. Ceci étant, tout commentaire avant l’annonce du verdict final ne pourrait être considéré que comme une ingérence dans le fonctionnement judiciaire.

Par-delà ces considérations, nous aspirons tous à un jugement équitable, loin de toute exploitation d’où qu’elle vienne. 

Nous voulons que la justice de notre pays sorte de cette affaire par le haut. Non seulement pour qu’elle serve de levier fondamental du développement dont le débat nous a pris plus de deux ans, mais aussi pour que nous puissions vivre dans ce Maroc auquel nous aspirons, où règne la quiétude et la confiance, précisément cette confiance perdue malheureusement dans nombre d’institutions, comme l’a révélé le témoignage audacieux du rapport final de la Commission spéciale sur le modèle de développement.

Nous voulons que la confiance soit rétablie pour insuffler un nouvel élan à la mobilisation des énergies afin de faire aboutir les transformations tant espérées et dont nous rêvons pour notre pays.

En portant fort cet espoir de rétablissement de la confiance, nous ne pouvons éluder le questionnement lancinant de nombre de citoyens sur l’éventualité d’un retour de la poigne sécuritaire dans notre espace public. Ce qui nous amène, la finalité n’étant autre que d’œuvrer pour la réforme, à nous demander si le rétablissement de la confiance requise ne nécessite-t-il pas une approche innovante ? 

C’est qu’en invoquant l’esprit qui a présidé au travail de l’Instance Equité et Réconciliation, l’on est en droit de se demander si le Maroc n’aurait pas besoin d’un mécanisme de communication pour permettre régulièrement à l’ensemble des intervenants (sécuritaires, militants des droits de l’Homme, responsables gouvernementaux et institutions concernées...) d’échanger et de partager les informations ? Un mécanisme qui permettrait ainsi de comprendre en continu le déroulé des évènements, afin de parer à toute interprétation contraire à la réalité et juguler tout glissement potentiel vers une politique sécuritaire à la fois inadmissible et improductive ? 

C’est sous cet angle que j’appréhende ce dossier extrêmement sensible et c’est dans ce contexte que la responsabilité des magistrats dans ce dossier spécifique aussi bien que dans ses semblables apparait grande et déterminante.

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En même temps qu’on évoque l’instrumentalisation politique ou non dans ce dossier, il importe de rappeler un incident d’une sensibilité tout aussi importante. 

Il y a plus d’un an, une infirmière, une journaliste et son compagnon ont été arrêtés à Rabat pour « avortement, participation et facilitation ».

Sans attendre, nous nous sommes tous insurgés et nous avons réclamé la libération de la jeune femme et de son compagnon. Ce fut chose faite et le couple a pu reprendre sa vie normale, convolant à cette occasion en justes noces. 

Nous nous sommes insurgés non pas parce que cette affaire - comme d’aucuns d’entre nous tendent à le penser - comportait plus ou moins un relent politique, mais parce que nous militons à visage découvert pour le droit à l’interruption volontaire de la grossesse dans le cadre de la loi, et pour que l’Etat libère de son regard les chambres à coucher des citoyens majeurs, sorte de leurs salons et quitte leurs salles de bain.

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Dans ce tumulte complexe et alambiqué, M. Ned Price, porte-parole du Département d’Etat américain, n’a pas trouvé mieux que de se fendre d’une déclaration qui constitue une ingérence flagrante dans les affaires internes d’un pays autre que le sien, notre pays.

Le plus outrant dans cette sortie de M Ned, c’est qu’il s’est permis de s’ingérer dans une affaire maroco-marocaine et s’est interdit par ailleurs de proférer la moindre remarque sur l’affaire d’un citoyen portant la nationalité américaine en relation avec les évènements qu’a connus la Jordanie.

Outrant, d’abord par cette réserve ici et cette indiscrétion-là. C’est là une attitude qui participe d’une conception de la justice frelatée et variable. Ensuite, et c’est le plus important, pareille ingérence est inadmissible indépendamment de la qualité de l’intervenant, de la puissance de son pays dans le concert des nations, ou de sa proximité de notre pays et des intérêts mutuels. 

Pourrait-on l’admettre, alors même que le Maroc ne s’est jamais permis de fourrer le nez dans des affaires en cours devant la justice américaine quand bien même sont-elles aussi choquantes et révoltantes que les injustices qui frappent au quotidien les Afro-américains et les issus des minorités?

Non Mister !

Nous nous garderons d’argumenter avec ce que les Etats-Unis ont infligé tout au long de leur histoire - les annales étant remplies de témoignages accablants depuis le 17ème siècle - aux faibles, aux marginaux, aux différents, et aux opposants. D’innombrables exemples pullulent et sont tellement légion qu’ils ne qualifient aucunement les Etats-Unis à s’ériger en donneurs de ce type de leçons.

Nous n’aimerions pas non plus rappeler ce que les Etats-Unis ont fait le long du siècle dernier partout dans le monde au nom de «la liberté, la démocratie et les valeurs du monde libre...»

Nous ne comptons plus leurs flottes essaimées dans les mers du globe pour imposer leur politique basée sur l’hégémonie, la force et l’exploitation...

Mais nous nous garderons de généraliser, pour ne pas tomber dans le travers de laisser entendre que tous les maux du monde émanent des Etats-Unis, tant ces maux proviennent assurément d’autres puissances aussi.

Le plus déconcertant dans vos sorties Monsieur Price est votre propension à croire intimement que vous êtes l’incarnation du modèle idéal en toutes choses et qu’il est ainsi de votre droit absolu de donner des leçons aux autres, tous les autres, quels qu’ils soient.

Même lorsque ces autres sont un pays de l’envergure de la Chine, dont l’histoire gardera qu’elle n’a jamais colonisé un autre pays pour bâtir sa puissance comme l’ont fait les Etats-Unis et bien d’autres. Et la-voilà qui avance avec assurance alors que vous peinez à accepter combien est désormais difficile, voire impossible selon nombre d’experts, pour les Etats-Unis de juguler l’irrésistible ascension de l’Empire du milieu.

Rassurez-vous, ce propos n’est pas pour défendre le communisme, car l’idée de la justice sur terre prend aujourd’hui des formes nouvelles et bien différentes de ceux prônés par le régime communiste qui n’a pas tenu ses promesses. 

Il s’agit d’un plaidoyer pour l’indépendance nationale, Mister Price. L’indépendance qui interdit à quiconque de s’ingérer de manière hautaine et méprisante dans les affaires des autres. Nous affirmons cela alors que dans nos têtes résonnent encore le mensonge des «armes de destruction massive» colportée par Donald Rumsfeld et Colin Powell, et que les murs du Conseil de sécurité de l’ONU ne cesseront de vibrer de la voix résistante du poète et diplomate français Dominique de Villepin alors que pour vous, à des fins inavouables, l’objectif d’écraser l’Irak était entendu, ne reculant pas même devant les mensonges les plus éhontés.

Détrompez-vous, le propos n’est pas ici de défendre un régime dictatorial dont ne subsistent que les décombres et les malheurs que vos armées ont semés. Et je me fais l’honneur de porter à votre connaissance que nous étions dans le mouvement marocain des droits de l’Homme les premiers à protester contre la violence des procédés du régime irakien, mais sans user d’affabulations et de mensonges et sans autres intentions que le bonheur des Irakiens.

Monsieur, nous avons dans l’histoire de notre pays une page que nous détestons, celle des protégés -« protégés anglais», «protégés allemands», « protégés français » - sur lesquels l’odieuse épopée coloniale avait pris pied pour asservir notre peuple.

Vous l’aurez compris, à aucun prix nous ne voulons que l’histoire se répète ou que cette ignominieuse page se conjugue à notre présent. Elle ne passera - à Dieu ne plaise- que sur nos propres corps. En aucun cas nous n’accepterions une réédition de ce triste et réel roman ou que vous pêchiez dans nos eaux des candidats à la « protection » américaine, française ou espagnole, comme a tenté de le faire piteusement une ministre espagnole récemment limogée.

Nos problèmes, nous les résolvons entre nous par nous-mêmes. Il est possible pour nous de diverger, de nous opposer, d’interagir, voire de nous affronter. Mais à chaque fois pour revenir à nous-mêmes pour faire valoir la sagesse, prévaloir la raison et finir par prendre la saine et appropriée décision pour notre avenir et celui de nos enfants.

Pouvez-vous le comprendre, mais nous ne voulons être gouvernés que par nous-mêmes Mister Price. 

Je ne terminerai pas sans vous dire que nous apprécions à sa juste valeur la dernière décision de votre pays au sujet de l’intégrité territoriale du Maroc du Nord au Sud. Nous la percevons comme un dépassement de l’injustice infligée par les convoitises de l’Europe et de son partage odieux du monde au cours des deux siècles derniers.

Mais, nous autres Marocains, qui - comme vous le savez sans doute - constituons une nation multiséculaire aux origines bien ancrées dans l’histoire, avons un adage auquel nous nous attachons bien plus que d’autres : «Qatrane bladi, walaa âssal bladate annass» (littéralement : Mieux vaut le goudron de mon pays que le miel des autres pays). Un bel adage, n’est-ce pas, Mister Price ?!

                                                                          Casablanca le 15 juillet 2021

 

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