PLANTU SE DROITISE A L’EXTRÊME - PAR MUSTAPHA SAHA

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Je me souviens de Plantu activiste de la paix, promoteur de ses rencontres en Tunisie avec Yasser Arafat, de leurs entretiens filmés, de leurs dessins partagés. Son embourgeoisement n’explique pas seul son revirement

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Le dessinateur Plantu, de son véritable nom Jean Plantureux, soixante-treize ans, principal caricaturiste du quotidien Le Monde pendant un demi-siècle, se droitise à l’extrême dans le sillage d’Enki Bilal et d’autres notoriétés. La conscience intellectuelle française perd la boussole. 

Portrait de Plantu par Mustapha Saha - Plantu se conforme à la tendance générale qui criminalise la cause palestinienne, américanise les orientations officielles, sionise, à coups de manipulations médiatiques et de persécutions policières, l’opinion publique

Plantu est à la retraite. Il se permet le luxe de changer de bord, de s’éclater à l’envers sur les réseaux sociaux, de cultiver tous azimuts l’art de l’amalgame. Les Palestiniens, sous têtes de morts, sont marqués au fer rouge de la haine. Je me dis : même lui n’échappe pas à la pression idéologique, même lui ménage l’horreur absolue pour ne pas être accusé d’antisémitisme. Il ne sert à rien de rappeler que les Arabes sont des sémites comme les juifs. La filiation sémitique est devenue un monopole sioniste. Louis Massignon fulmine dans sa chapelle à Pordic. Aucune forme de terrorisme n’est admissible. Le massacre des civils, d’où qu’il vienne, est un crime contre l’humanité. « Nous avons prescrit aux enfants d’Israël que celui qui tue un être humain, c’est comme s’il tue toute l’humanité, celui qui sauve une vie, c’est comme s’il sauvegarde toute l’humanité. A maintes reprises, nos messages sont parvenus aux enfants d’Israël avec des recommandations claires. Et pourtant, beaucoup d’entre eux continuent de commettre des massacres » (Le Coran, Sourate Al Maidah).

Le sionisme réinvente la loi du talion, mille blessures pour une blessure, mille meurtrissures pour une meurtrissure, mille morts pour une mort. Il ressuscite le Code d’Hammourabi. Il fait renaître Babylone. Quand ses missiles détruisent une ferme convoitée par ses colons, il condamne les propriétaires à mort. Sa propagande perfectionne la post-vérité, l’exacerbation des réactions émotives. Il noyaute les réseaux internétiques. Il sème le trouble et le désarroi. Il corrompt les sensibilités fragiles, les cupidités futiles, les compétences mercantiles. Il pratique  l’inversion des choses. Les bourreaux sont des victimes. Les victimes sont des bourreaux. Du passé table rase. Du présent mythologies mystificatrices. Il impose impunément le plus abjecte des négationnismes, le plus infecte des révisionnismes. Ces sont les sionistes qui construisent des murs de séparation, des camps d’extermination, des zones d’exclusions barbelés. Ce sont les sionistes  qui pratiquent, sous parapluie américain, le génocide le plus monstrueux. Je me souviens de Plantu dénonçant, sans équivoque, la spoliation des terres palestiniennes, le nettoyage ethnique. Je me souviens de Plantu activiste de la paix, promoteur de ses rencontres en Tunisie avec Yasser Arafat, de leurs entretiens filmés, de leurs dessins partagés. Son embourgeoisement n’explique pas seul son revirement. La lessiveuse des cerveaux s’attaque avec insistance aux esprits les plus critiques. Plantu reprend à son compte la pire ignominie sioniste : tous les Palestiniens, et par extension tous les Arabes, tous les musulmans, quand ils ne sont pas dans un cercueil, sont des terroristes. Plantu manifeste clairement son islamophobie dans un dessin de 1976 intitulée A quand la fashion ceinture ? Il associe le voile et la ceinture d’explosifs, l’islam et le terrorisme. 

Plantu avec Mustapha Saha - J’ai connu Plantu propalestinien. Je le retrouve zélateur sioniste.

Plantu se conforme à la tendance générale qui criminalise la cause palestinienne, américanise les orientations officielles, sionise, à coups de manipulations médiatiques et de persécutions policières, l’opinion publique. L’esprit du temps se fascise. Le Canard Enchaîné, référence historique de la satire, n’est plus qu’une feuille de chou conformiste, réactionnnaire. Il y va de même des grands titres de presse, rachetés par une poignée de milliardaires rétrogrades. D’autres pays occidentaux s’alignent sur l’islamophobie ambiante, délèguent à l’armée sioniste la mission de mener jusqu’au bout la nouvelle croisade. En Allemagne, le pays le plus sioniste après avoir été exterminateur des juifs, la répression des manifestations propalestiniennes prend des proportions hallucinantes. Une conférence de juifs anticolonialistes est prise d’assaut par la police en avril 2024. Les associations propalestiniennes sont dissoutes. Le 6 octobre 2024, des milliers de personnes se révoltent contre la guerre sioniste à Berlin. Les slogans Boycott Israël, Intifada rendent folle la police allemande. Des charges brutales s’attaquent aux mains nues. Des manifestants sont arrêtés par centaines, y compris un homme en fauteuil roulant. Dans plusieurs pays européens, les autorités gouvernementales effacent obsessionnellement les trains, les murs, les escaliers peints aux couleurs palestiniennes. Les porte-paroles sionistes, parfois en uniforme militaire, occupent quotidiennement les plateaux de télévision. Les pseudo-philosophes sionistes, bullshiteurs arrogants, traquent les intellectuels rebelles. Rien de nouveau. Les méthodes rhétoriques  et les intimidations sophistiques sont parfaitement connues depuis l’antiquité platonicienne.

Les lobbys sionistes dictent leurs décisions aux institutions. Les rassemblements de soutien au peuple palestinien sont systématiquement interdits. Le port de simples badges palestiniens entraîne des interpellations. Quelques députés de La France insoumise, exhibant des bannières palestiniennes sur les bancs de l’Assemblée nationale, se voient infliger des rappels à l’ordre avec inscription au procès verbal, et d’autres sanctions plus sévères. Qu’importe qu’ils soient du bon côté de l’histoire, c’est le mauvais côté des règlements qui s’applique. Plusieurs dizaines de députés de gauche arrivent en séance habillés de blanc, de noir, de vert et de rouge, formant un drapeau palestinien. Les députés de droite et d’extrême droite enfilent leur écharpe tricolore. Le message est explicite. La République française contre le peuple palestinien. Saint Louis, républicanisé, renaît de ses cendres. La Cour pénale internationale elle-même, quand elle condamne les crimes d’agression, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité sionistes, est sommé de remballer ses jugements. Le Secrétaire général de l’Onu lui-même, quand il rappelle la réalité des choses, est déclaré persona non grata. La palette de Plantu elle-même, en se dépouillant de son savoir-faire artistique, de son inspiration humoristique, se soumet sans conditions. J’ai connu Plantu propalestinien. Je le retrouve zélateur sioniste.

Nuit de jeudi–vendredi 7-8 décembre 2023. Le poète palestinien Refaat Alareer, professeur de littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza, s’assassine à l’âge de quarante-quatre ans, ciblé spécifiquement, chirurgicalement, avec sa famille, par une frappe aérienne sioniste. Son ultime poème, un hymne à la vie, s’intitule Si je dois mourir. « Si je dois mourir / Tu dois vivre / Et raconter mon histoire / Vends mes affaires / Achète un tissu / Et de la ficelle / Pour qu’un enfant de Gaza / Attendant son père emporté par une bombe / En regardant le ciel / Voie mon cerf-volant / Et  un ange / Rapporter l’espérance sur terre / Si je dois mourir / Que ma mort soit un poème ». 

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