Pour notre Afrique, la culture pour en finir avec les outrecuidances – Par Abdejlil Lahjomri

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Abdejlil Lahjomri lors de son allocution-programme lors de présentation du livre collectif intitulé "Qu'est-ce que l’Afrique? Réflexions sur le continent africain et perspectives" à l’Académie du Royaume le 17 novembre 2021.

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« Ma conviction est que la plus urgente des urgences est d’accorder à l’histoire, la place qu’elle mérite dans « ce penser autrement » [l’Afrique] pour que jamais plus on n’ait l’outrecuidance de dire sur une terre africaine, que l’Afrique est en marge de l’histoire du monde. » Ces mots, une condensation d’espoirs et de volonté, sont ceux du Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume dans son allocution-programme à la cérémonie de présentation du livre collectif intitulé "Qu'est-ce que l’Afrique? Réflexions sur le continent africain et perspectives". Ce livre de 260 pages est une contribution collective de 21 écrivains d'Afrique et du Maroc, dont des auteurs de la communauté africaine à l'étranger. Préfacé par Abdeljalil Lahjomri, ce livre élaboré sous la direction d’Eugène Ébodé et de Rabiaa Marchouch , il compte entre ses pages les contributions de Ali Benmakhlouf, Gaston-Paul Effa, Jean-Claude Tchatchouang, Jennifer Richard, Mona Azzam, Bouazza Benachir, Abdallah Baïda, Gaston-Paul Effa, Jean-François Zorn et Adama Sangaré pour ne citer que quelques contributeurs. Il reflète l’ambition de l’Académie du Royaume et de son secrétaire perpétuel de redéfinir ce qu’est notre continent et déconstruire « des représentations, des stéréotypes, des mythes tenaces qui continuent à ne voir en ce continent qu’un continent de la division et des séparations, un continent hors de l’histoire. » La densité de ce texte, sa portée pour une Afrique encore et toujours à la recherche de son anticipation mérite qu’on s’y attarde. Le voici :

L’Afrique comme horizon de pensée

Sous cette coupole, je sens la sagesse de nos confrères les regrettés Présidents Leopold Sédar Senghor et Ahmadou Ahidjo, m’encourager à m’adresser à vous, m’aider surtout à trouver les mots justes pour vous dire ce qui nous réunit aujourd’hui, et pourquoi nous nous réunissons dans cette institution qui se veut maison de l’amitié et de la concorde. 

J’aurais souhaité que notre confrère Ahmadou Makhtar M’Bow soit avec nous ; Il aurait trouvé mieux que moi les mots chaleureux pour vous accueillir. L’aurions-nous invité il serait venu, malgré l’âge avancé, (il est centenaire comme vous le savez), mais sa santé est chancelante. J’ai la conviction que flotte autour de moi son affection inspiratrice, celle-là même qui m’a encouragé à organiser avec la Bénédiction de SM LE ROI MOHAMMED VI, Protecteur de notre Académie, que Dieu l’assiste, sa 45ème session sous le titre « L’Afrique comme horizon de pensée ». 

Dans sa conférence inaugurale, l’écrivain ambassadeur Henri Lopes a affirmé avec courage et détermination que « L’Afrique comme horizon de pensée suppose que l’Afrique baigne dans un climat intellectuel, émotionnel, spirituel dont les référents sont africains ». Il n’a pas hésité à rappeler l’affirmation de Romain Gary : « C’est la culture qui crée une unité de conscience d’où sort toujours une unité d’action » et à rappeler une réflexion de Jean Monnet, un des fondateurs de l’Union Européenne où perçait déjà une pointe de regrets « que si ç’avait été à refaire, avait-il dit, il aurait commencé par une union culturelle ». Serait-ce prétentieux de dire que ce qui nous réunit en ce jour particulier, c’est l’espérance de voir germer d’une unité culturelle une unité d’action. Ce livre collectif au titre interrogateur QU’EST CE QUE L’AFRIQUE ? porté par une vingtaine de voix d’hommes et de femmes vivant en Afrique, vivant en Europe, vivant aux Etats unis et ayant tous l’amour des choses de l’esprit et singulièrement l’amour de l’Afrique, n’est-il pas prémisse d’une entreprise plus ambitieuse, celle d’une déconstruction des représentations, des stéréotypes, des mythes tenaces qui continuent à ne voir en ce continent qu’un continent de la division et des séparations, un continent hors de l’histoire. 

La plateforme Sembura qu’irrigue l’inspirante source du Nil

Il y a ce livre, comme un appel à une mobilisation culturelle et artistique, plus affirmée pour un dépassement salutaire des carcans idéologiques, les fissurant, les brisant pour plus de clairvoyance et de lucidité politiques. Il y a aussi la présentation de la collection SEMBURA, initiée par deux grandes dames venues de Suisse Mesdames Maja Schaub et Brigitte Zust, collection qui édite anthologies, romans, et livres collectifs comme celui qui nous réunit, collection qui rassemble dans un esprit de confraternité des universitaires de la région des GRANDS LACS, tous et toutes, hommes et femmes soucieux de paix, de communion, de solidarité. Heureuse initiative venue de Suisse en cette année où nous célébrons le Centenaire des relations diplomatiques entre la Suisse et le Royaume du Maroc et heureuse coïncidence qui a fait que c’est grâce à Mme Rabiaa Mahrouch, directrice de cette collection, épouse de notre ami, Eugène Ebodé que nous avons été convaincus que cette actio éducative et littéraire, est un ferment qui ouvre des horizons enthousiasmants quand l’Afrique démontre sa capacité à travailler dans l’unité. 

La plateforme Sembura qu’irrigue l’inspirante source du Nil, qui rassemble les intelligences raffinées des Rwandais, des Burundais et des Congolais, mérite d’être saluée comme une plateforme de nouveaux rendez-vous d’émerveillement intellectuels, émotionnels et spirituels, et nos invités qui n’ont pas hésité à se joindre à nous, malgré la fatigue de voyages en ces temps perturbés par un corona inquiétant, méritent tout notre respect et notre fidèle reconnaissance. 

Ce qui nous unit, c’est aussi un film dont le titre est « Partir ? » qui par une admirable inversion fait du verbe « partir » un synonyme percutant du verbe « Revenir ». Il vient de sortir sur les écrans, et nous regrettons l’absence de la réalisatrice Mme Mary-Noelle Niba, qui pour des raisons impérieuses n’a pas pu faire le déplacement. Film audacieux, qui renouvelle le regard sur la question migratoire. Une perspective qui enseigne que les enfants de l’Afrique voient maintenant leur continent comme le lieu et l’espace d’un réenchantement et non comme le monde des ténèbres. 

La culture comme levier de développement

Mon ambition est de vous convier à laisser derrière les portes de cette coupole, ce qui désunit, et risque de continuer à désunir, pour bousculer les représentations faussées, et éloigner et affaiblir les pensées altérées par de sombres desseins. Ne retenir que la volonté d’une vision prometteuse de sérénité, et de réajustements rayonnants. 

Le plus primordial des réajustements est de faire de la culture, un levier de développement dans une compréhension et une acceptation des diversités et des différences. Ce qui nous rassemble, en ce jour, est un message d’une lucide simplicité, mais d’une réalisation semée d’obstacles et d’embuches. Je le résumerai ainsi : Le secteur de la culture qui doit nous intéresser, est négligé dans les programmes de développement, marginalisé, parfois oublié par les concepteurs et les décideurs, toujours perçu comme « sous-produit de l’économie » du développement humain selon l’expression heureuse de Henri Lopez. 

La plus urgente des interrogations constate ce même auteur est : « Comment former les nouvelles générations à penser l’Afrique dans une perception endogène et non pas dans une vision biaisée à travers le prisme d’une culture exogène ». En fait, comment « penser l’Afrique autrement » ? Et comment y parvenir ? 

Ecrire l’histoire avec des visages

Ma conviction est que la plus urgente des urgences est d’accorder à l’histoire, la place qu’elle mérite dans « ce penser autrement » pour que jamais plus on n’ait l’outrecuidance de dire sur une terre africaine, que l’Afrique est en marge de l’Afrique, de l’histoire du monde. Parce que les temps sont venus de militer pour une défense et illustration de ce qu’on pourrait appeler « Le corpus africain » que l’histoire universelle doit intégrer. Je prends la liberté à ce propos de rappeler la parole de notre défunt confrère, le Président Ahmadou Ahidjo et que l’on pourrait inscrire en fronton de toute institution éducative : « Il y en a qui écrivent l’histoire avec des gommages et d’autres avec des visages ». 

Montrons, dans « le penser autrement » de notre confrère Henri Lopez, à ceux qui l’ignore encore, chez nous et ailleurs, les visages qui ont fait l’Afrique, pour que la nouvelle Afrique s’inscrive dans l’histoire présente. Comme vous l’avez décrite dans des passages passionnants, et éclairants, des ouvrages que vous nous présentez. 

Si j’avais à donner un autre titre à notre ouvrage j’aurais choisi le titre « Notre Afrique », que vous m’avez autorisé à réserver à la préface. 

Parce que Notre Afrique, est le nom de l’éveil, le nom du défi, et le nom de l’espérance, le nom de l’oubli qui doit panser les blessures d’un passé douloureusement calciné, le nom de la volonté commune à entretenir les effervescences d’un présent bouillonnant, et le nom de l’engagement d’affermir et de consolider la lucidité agissante pour un avenir apaisé.