Pourquoi l’armée algérienne conserve Abdelmadjid Tebboune à la présidence - Par Bilal Talidi

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Le décret signé par le président Abdelmadjid Tebboune le 27 juin 2024, établit la domination de l'armée sur les responsabilités administratives et civiles au sein de l'État et le met plus que jamais sous la tutelle de l’armée .

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A la fin du mois de mars dernier, la présidence algérienne a annoncé sa décision de tenir des élections présidentielles anticipées le 7 septembre 2024, justifiant ce calendrier par " des raisons purement techniques" et excluant, lors d'une rencontre avec les médias algériens, toute relation entre cette décision et une quelconque lutte au sommet du pouvoir concernant son maintien ou son départ.

À l'époque, deux questions ont été soulevées à propos de cette décision : pourquoi n’a-t-on, pas précisé la nature de ces raisons techniques, et pourquoi M. Tebboune n'avait pas annoncé son intention de se porter candidat pour un second mandat alors que tout le monde savait qu’il en brûlait d’envie.

Pour toute explication, le président algérien s’était contenté d’avancer que le citoyen algérien serait plus disposé à voter au début de septembre (sic).

En réalité, personne n'a compris cette réponse, ni les médias, ni les observateurs, pas plus que le citoyen algérien ordinaire qui a vu la programmation de la campagne électorale présidentielle en mi-août comme une volonté des autorités algériennes de reproduire le statu quo.

Le paradoxe qui a le plus amusé la rue algérienne est que le président Abdelmadjid Tebboune, tout en n'ayant pas déclaré sa candidature pour un second mandat jusqu'à la veille de l'expiration du délai de dépôt des candidatures, environ quatre mois, n'a cessé de parcourir l'Algérie, essayant de mettre en avant ses réalisations, affirmant que "l'Algérie sous son règne a atteint des taux de croissance sans précédent". Il n'a pas non plus manqué de mener sa campagne électorale prématurée dans la région de Kabylie, à Tizi Ouzou, qu'il a visitée dans le cadre de ce que les médias officiels algériens appellent des visites de terrain le 10 juillet, soit un jour après avoir retiré les formulaires de signatures pour la candidature à l'élection présidentielle. 

L’armée tombe ce qui restait du masque

Ces visites dites de terrain, entamées la première semaine de juillet, dans les wilayas de Boumerdès, Tipaza, Alger, puis Tizi Ouzou, avaient pour point commun fort intéressant des projets liés à la sécurité de l'eau (dessalement de l'eau de mer) qui en disent long sur l’état de la grande et prospère Algérie, le président sortant n’hésitant pas comme à son habitude d’annoncer des projets mirifiques assortis de chiffres inimaginables qui font douter de la santé mentale de M. Tebboune.  

Cette campagne électorale anticipée qui dissimule son nom des restes d’une feuille de vigne, induit des questions telles que pourquoi elle n'a pas commencé directement après l'annonce de la présidentiele anticipée, pourquoi elle n'a commencé qu'à la fin juin, et pourquoi la plupart de ces visites de terrain se sont concentrées sur le défi de l'eau?

On a beau cherché, mais la seule donnée disponible pour expliquer cette situation est le décret signé par le président Abdelmadjid Tebboune le 27 juin 2024, qui établit la domination de l'armée sur les responsabilités administratives et civiles au sein de l'État.

Le préambule du projet présentait son contenu dans un langage enveloppé de bonnes intentions, évoque le désir de combler les lacunes administratives et de bénéficier de l'expertise militaire pour le bien public, mais les articles du décret, dissimulés sous le concept de mission fonctionnelle, visaient clairement le renforcement du contrôle de l'armée sur les secteurs stratégiques sensibles du pays, permettant à ses commandants et officiers d'occuper les postes civils supérieurs dans le pays. A la revendication du Hirak oublié, « le retour de l’armée dans les casernes », l’armée ‘’nationale et populaire’’ répond par plus de militaires dans l’administration directe des affaires publiques et civiles.

Les médias algériens en chœur ont bien voulu interpréter ce décret comme une volonté de bénéficier des compétences militaires, d'augmenter l'efficacité administrative et de terrain, d'améliorer les procédures et d'appliquer la rigueur dans l'exécution, sans se rendre compte que cette interprétation nuisait à la campagne électorale du président. Car si tout allait bien dans la meilleure des Algéries depuis que Abadelmadjid Tebboune a accédé  à la magistrature suprême et atteint les niveaux de croissance les plus élevés, construit des infrastructures et des équipements selon les normes internationales, et obtenu des résultats sans précédent dans les domaines éducatif, sanitaire et productif, pourquoi ce recours  à contre temps des cadres militaires à des postes les civils?

L'interprétation que nous privilégions, et que confirment les faits, est que l'institution militaire a forcé le président Abdelmadjid Tebboune à annoncer des élections présidentielles anticipées pour le mettre sous pression, et que les quatre mois entre l'annonce de cette décision et l'annonce tardive de la candidature ont été une période de négociation entre les factions du pouvoir, et que le prix que M. Abdelmadjid Tebboune a payé pour garantir sa candidature à un second mandat est le décret qui permet la domination de l'institution militaire sur la vie administrative et civile en Algérie.

La seule interprétation possible de ce décret qui signe l’invasion physique des rouages de l’Etat par l’armée, est que l'institution militaire n’est aucunement satisfairte de la performance du président, tout en mettant en exergue l'aggravation des défis liés à la sécurité de l'eau, de la santé et de l'alimentation, ainsi que les défis liés à la faible compétence et à l'efficacité de la gestion. Ainsi, le décret vise à militariser toutes les institutions en Algérie, permettant aux officiers et aux commandants d'occuper les postes civils supérieurs dans les secteurs stratégiques sensibles et les intérêts vitaux (transport, aéroports, ports, eau, électricité, gestion des entreprises, production, télécommunications, stockage des céréales et des légumineuses, produits de consommation de base, santé, services administratifs, etc.), reflétant ainsi le compromis ou l'accord entre l'institution militaire et le président Abdelmadjid Tebboune pour lui permettre de rester à la tête du pays.

Il est possible d’objecter à cette interprétation que si l'évaluation de l'institution militaire de la performance du président Abdelmadjid Tebboune est si désastreuse, pourquoi dès lors lui accorder un nouveau mandat et ne pas le remplacer par un autre président plus compétent ?

En réalité, l'institution militaire algérienne ne veut pas de risque à ce stade. Le pays fait face à de sérieux défis, et le président algérien Abdelmadjid Tebboune bénéficie d'un discours populiste qui correspond au profil psychologique algérien et épouse les contours de ses humeurs. A ce niveau on ne peut faire mieux. Plus président paravent que jamais, sa reconduction permet à la hiérarchie militaire d’agir plus à sa guise tout en sécurisant au mieux possible les domaines sensibles pour éviter l'inconnu.

L'institution militaire algérienne a misé sur la continuité, mais elle a imposé son agenda, décidant qui devrait être à la tête de la présidence tout en limitant les pouvoirs et le champ d'action du président, tirant parti de son incapacité à répondre aux défis perturbant la stabilité, affirmant ainsi que le président Abdelmadjid Tebboune ne constitue une garantie de stabilité que si l'institution militaire elle-même prend en charge les responsabilités sensibles de la gestion de l'État, évitant ainsi de mettre la sécurité stratégique de l'Algérie (eau, alimentation, santé, etc.) entre des mains imprudentes.