Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou pour l’Ukraine ? – Par Gabriel Banon

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Emmanuel Macron à l’américaine au milieu de ses « boys » pour les vœux de fin d’année à l’armée, le 20 janvier 2020 (photo pool AFP)

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Les boomers sont des gens, aujourd’hui sexa ou septuagénaires, qui ont une mémoire personnelle de la guerre d’Algérie, et une mémoire collective de celle du Vietnam et de la deuxième guerre mondiale. Ils ont vu, leur père rentrer de près de deux ans de crapahutage dans le bled, amaigri et taciturne, le regard lointain, plongé dans quelques horreurs indicibles qu’ils ont peine à oublier. 

Les boomers, ma génération, ont vu de jeunes Américains brûler leur passeport, ou revenir dans des sacs plastiques au cimetière d’Arlington. J’ai encore en mémoire des images de petites filles nues, à moitié brûlées au napalm, courir sur des routes bordées de rizières de l’ancienne Indochine. Les boomers, eux, sont les derniers à avoir une certaine vision directe de la guerre. Je me souviens également de Khrouchtchev tapant sur son pupitre, à l’ONU, à grands coups de soulier, mais oui, à grands coups de soulier, le 12 octobre 1960.

Beaucoup de ces boomers ont eu des grands-pères qui avaient participé directement à la Deuxième guerre, et parfois, à la Première. Des chanceux qui ont été les heureux gagnants de deux guerres mondiales. 

Alors, quand Macron affirme dans une interview aux Echos qu’aujourd’hui, « le temps est militaire » et que nous, Européens, « devons, nous réveiller, notre priorité n’est pas de nous adapter à l’agenda des autres dans toutes les régions du monde », je suis en droit de me demander s’il sait de quoi il parle, lui qui n’a même pas connu la colonisation, ni même la guerre de Suez

Aujourd’hui, avec le retour des blocs, si vous n’adhérez pas à 110% à l’OTAN, vous êtes pro-russes. Si vous ne portez pas dans votre cœur l’Ukraine, alors vous êtes anti-européen.

 De Gaulle a toujours refusé de s’aligner aveuglément sur la logique de la guerre froide. Il a, l’un des premiers, reconnu la Chine de Mao — et la France, du coup, n’a jamais reconnu Taïwan comme un État. Les Taiwanais eux-mêmes reconnaissent qu’ils sont une parcelle de la Chine mais veulent bénéficier d’un régime spécial de la part de Pékin. C’est une parcelle de Chine en sécession, une vraie aubaine pour les Américains qui disposent ainsi d’un gigantesque porte-avions terrestre juste en face de l’ennemi d’aujourd’hui. Cuba hier, Taïwan aujourd’hui. Cette grande puissance n’innove en rien dans son désir hégémonique.

Qui est disposé à mourir pour Taïwan — ou à envoyer ses enfants y mourir ? C’est ainsi que se pose la question. La majorité des partisans d’une aide militaire à l’Ukraine ont tous dépassé l’âge où ils pourraient aller s’opposer directement à Wagner. Biden, à ma grande surprise, résiste aux maximalistes de l’aile dure de son parti et refuse que ses petits-enfants aillent se faire casser la gueule sur des champs de bataille lointains. L’Irak ou l’Afghanistan sont des souvenirs honteux, encore présents dans la mémoire collective. 

 L’idée de sanctions économiques contre la Chine, est encore plus grotesque que les sanctions contre la Russie. Ces dernières nous ont plus appauvris qu’elles n’ont contrarié le Kremlin. Sanctionner la Chine, c’est s’exposer, ni plus ni moins, à ne plus rien avoir à se mettre sur le dos, ni dans les carcasses de nos voitures en construction. Sans parler du reste. La mondialisation nous a mis à la merci des deux Grands, la Chine et la Russie. 

Le monde occidental a d’autres soucis que de suivre les Américains dans leur désir de réactiver la guerre froide. L’opinion publique américaine est-elle prête à récupérer des boys dans des caisses ? Si nous devions nous donner une priorité, ce serait de dénoncer l’extra-territorialité du dollar et de la justice américaine, qui se croit tout permis.

La France a bien d’autres soucis. Il faut réindustrialiser le pays : pensez que le redémarrage du parc nucléaire va engloutir tout ce que le pays a d’ingénieurs fraîchement formés, et que pour le reste, l’habile politique éducative, qui consiste à former des élites qui filent à l’étranger dès qu’elles ont bouclé leur cursus, amène une carence de techniciens et de concepteurs de haut rang. Il faut donner à manger à un peuple qui en est aujourd’hui réduit à voler dans les supermarchés la viande qu’il ne peut plus s’offrir — et Macron veut dépenser « un pognon de dingue » à construire des chars pour les offrir aux uns ou aux autres !

Bien sûr que Macron fait du pied à la droite française, dont il a besoin pour les quatre ans à venir ! Bien sûr qu’il est, fondamentalement, un mondialiste heureux, au service de grandes sociétés ! Bien sûr que le déficit de la balance des comptes française fait le bonheur des banques, puisque nous ne pouvons plus frapper monnaie : et nous savons les liens affectifs de Macron avec le système bancaire. Tout cela est vrai — mais l’idée que nous serions forcés, par « solidarité » avec des gens qui nous méprisent, de mettre un pied dans la mer de Chine m’inquiète, moi qui ai vu, quand j’étais enfant, ce qu’est un revenant de guerre.