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REFORME DU CODE PENAL : UN PROJET DE SOCIETE ? - Par Mustapha SEHIMI
Les convictions et les engagements de Abdellatif Ouahbi, tout au long de son parcours, paraissent ainsi à géométrie variable ; ils ne peuvent sans doute que peser sur la crédibilité de la réforme qu’il annonce.
Il en fait du tapage le nouveau ministre de la Justice, avec sa campagne sur les chapeaux de roue sur la réforme du code pénal ! Est-ce si prioritaire dans l’agenda du gouvernement ? Les citoyens sont-ils si pressants à ce sujet ? Pas vraiment. Alors quoi ?
En charge de ce département, Abdellatif Ouahbi se veut certainement un réformateur – faisons lui-crédit. Il n’ignore pas cependant le parcours heurté de son cursus partisan – de l’extrême gauche à la gauche pour finir… au PAM ! Notons au passage que l’on n’a pas encore vu un cheminement inverse dans la vie partisane. Il tient aussi à faire oublier ses déclarations peu amènes, ad hominem même, lors de la dernière campagne électorale contre le président du RNI, Aziz Akhannouch, promu depuis Chef du gouvernement, au début du mois dernier. Ses convictions et ses engagements paraissent ainsi à géométrie variable ; ils ne peuvent sans doute que peser sur la crédibilité de la réforme qu’il annonce.
Interrogations
Ces derniers jours, invité de l’émission « confidences de presse », animée par Abdallah Tourabi et diffusée sur 2M, il a été plus explicite sur ce qu’il comptait entreprendre. Ce qu’il faut en retenir, pour commencer c’est le retrait du projet de loi modifiant le code pénal. Ce n’est pas encore acté, la décision revenant finalement au chef de l’exécutif. L’argument invoqué à cet égard est qu’il ne faut pas se limiter à certains articles et « garder d’autres, pour des raisons idéologiques ». Il a ainsi appelé à réformer tout le Code pénal, afin qu’il soit «cohérent et complémentaire ».
Discutable tout de même : tant de codes ont été amendés partiellement, parfois quelques articles même. La règle posée de la refonte totale reste sujette à caution, sauf s’il s’agit d’une nouvelle législation traduisant un rattachement à un projet de société. Est-ce le cas en l’espèce ? Des éléments d’interrogation ne manquent pas. Peut-on en effet considérer le système des peines alternatives comme une avancée significative dans le rapport de la société avec la justice et la répression ? Oui, sans doute. Supprimer l’emprisonnement pour les jeunes addicts ? Une piste qu’il ouvre mais ira-t-elle plus loin ? La peine de mort, sera-t-elle abolie ? Il l’exclut, preuve que son abolition n’est pas dans le calendrier de ce cabinet. Il estime qu’il faut essayer de « réaliser une grande avancée en réduisant au maximum les crimes passibles de peine de mort » en avançant l’option de peines alternatives. Discutable, là aussi : comment décriminaliser pratiquement telle catégorie de crimes graves encourant dans la législation actuelle la peine de mort ? Une grande opération de requalification vers des peines délictuelles confiées non plus à des chambres criminelles mais à des tribunaux correctionnels.
Peine de mort : paradoxe
Le paradoxe se trouve, par ailleurs, dans la position de ce ministre quand il réaffirme : « Personnellement, je suis un défenseur de l’abolition de la peine de mort ». Quelle cohérence dans ces conditions ? Comment le militant des droits de l‘homme – titre qu’il revendique – peut-il porter, demain, au gouvernement et au parlement, le maintien de la peine de mort ? Sans doute, un moratoire de fait se prolonge depuis 1993- date de la dernière exécution du commissaire Tabet… Mais la nouvelle Constitution de 2011 stipule expressément que « Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit » (art.20). Ce gouvernement va-t-il traduire ces dispositions dans le code pénal désormais à l’ordre du jour ? Personne ne peut sérieusement le soutenir ; donc pas d’adhésion à un référentiel scellant au moins sur ce point une nouvelle approche sociétale.
Mais il y a plus. Qu’en sera-t-il de la qualification d’enrichissement illicite qui a été l’un des blocages de la réforme du code pénal depuis des années ? Le nouveau projet prévoit la sanction dans ce domaine, « avec, comment l’a déclaré le ministre, des garanties qui protègent les gens et les leurs libertés ». Mais que faut-il entendre par « enrichissement illicite » ? S’agit-t-il d’un délit ou d’un crime avec des peines d’emprisonnement ? Depuis 2008, une législation spécifique a été édictée ; elle institue une déclaration obligatoire de patrimoine de certains élus des conseils locaux et des chambres professionnelles ainsi que de certaines catégories de fonctionnaires ou agents publics. Le défaut de déclaration de patrimoine est sanctionné, mais… sans se préoccuper de l’origine des biens. Impasse … Il n’y a pour l’heure que la loi organique 100-13 relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire de 2016 qui prévoit l’évolution du patrimoine des magistrats, ainsi que celui de leurs conjoints et de leurs enfants.
Une refonte totale du Code pénal – en lieu et place des 83 articles seulement proposés par l’ancien ministre PJD de la justice, Mustapha Ramid – doit être globale et embrasser les 612 articles de ce corpus. Certaines dispositions sont « techniques », mais d’autres ont un autre contenu : celui de lois normatives. Elles relèvent d’une transversalité couvrant de nombreux domaines. L’ordre public en est un pan, les libertés individuelles en sont un autre. Que proposer pour des dispositions du code pénal actuel qui limitent les libertés individuelles, en particulier les articles 489, 490 et 491 prévoyant des peines de prison, respectivement pour relations homosexuelles, relations sexuelles hors mariage, et adultère ?
Ce qui est en cause ici c’est le respect et la protection du droit à vie privée, garanti par l’article 24 de la Constitution et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Maroc. Il faut également mentionner la proposition du CNDH de criminaliser spécifiquement le viol dans le cadre du mariage, le consentement devant être la pierre angulaire de relations sexuelles entre adultes ; ou encore l’article 220 pénalisant le prosélytisme visant seulement la conversion des musulmans à d’autres religions ; sans oublier l’avortement limité à la sauvegarde de la santé de la mère – une clause d’exception qui doit être élargie dans le sens de « la santé physique, mentale et sociale » de la femme, une formulation tirée de la Constitution de l’OMS.
Comment ne pas le voir ? Au-delà du code pénal, n’est-ce pas la problématique des valeurs qui se pose. Globalement, la société reste conservatrice. Un consensus est-il possible pour une profonde réforme de la législation pénale ? C’est évidemment souhaitable. Mais quel est le mode d’emploi ? Autrement dit, le ministre de la justice et le gouvernement pourront-ils arriver à un consensus ? Des arbitrages sont à faire, des décisions pas populaires s’y accolent. Le peuvent-ils rapidement au risque de polariser et de cristalliser une vie sociale et politique fortement bousculée déjà par l’impact durable de la pandémie Covid-19 ?