Un gouvernement à l’épreuve du terrain – Par Bilal TALIDI

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Photo de famille du gouvernement autour du Roi Mohammed VI au Palais royal de Fès le 7 octobre 2021

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La diligence qui a caractérisé la formation du Cabinet Akhannouch est porteuse d’un message d’une importance capitale : l’Etat, confronté à d’importants défis, ne peut se permettre un espace aussi minime soit-il de vide politique ni s’accorder de temps mort.

Entre satisfaction et réticences

Les médias officiels et nombre d’analystes politiques satisfaits se sont attardés sur les aspects formels dans la composition gouvernementale : la représentativité des femmes, la compétence des ministres, l’ossature gouvernementale ou encore le rapport de ces choix avec le souci de l’efficience.

En face, des voix réticentes ont critiqué hégémonie du technocratique aux dépens du politique, le déguisement en politiques de cadres de l’Etat et de l’administration ainsi que la discordance de la composition du cabinet avec les résultats issus des urnes.

Le premier discours est nécessaire, même si certains prêtent au gouvernement plus qu’il n’en peut quant aux espoirs placées en lui. Il plaide aussi son homogénéité et sa capacité de répondre aux attentes.

Mais si ce discours est nécessaire, c’est dans la limite de ses fonctionnalités politique, celle de ressusciter les espoirs et de conférer une légitimité au gouvernement.

Le second discours qui critique sa dominante technocratique est tout aussi nécessaire, tant qu’il ne cède pas à la tentation de délégitimer ce gouvernement. L’opposition technocratie Vs politique ne date pas de ce jour et est partie intégrante d’une confrontation plus générale entre les différentes orientations politiques sur la configuration du Maroc de demain.

 Les challenges du gouvernement

Ce qui est à l’œuvre, depuis les élections de 2007, n’est en fait qu’une série d’expérimentations, à la quête de la meilleure formule possible pour gérer le pays, en fonction des conditions conjoncturelles et des mutations de l’environnement régional et international.

Au-delà de ces deux discours (annonciateur d’espoir et de renforcement de légitimité pour l’un, et défenseur de l’approche politique et démocratique pour l’autre), des questions pratiques requièrent des réponses précises. A leur aune seulement on pourra juger de la performance et de l’efficacité du gouvernement.

Le Maroc fait face à trois défis majeurs.

Le premier, d’ordre stratégique, concerne les questions de souveraineté : la protection des intérêts suprêmes du pays avec l’amélioration des conditions de son positionnement régional et international, l’autosuffisance énergétique, alimentaire et sanitaire, et la sécurité hydrique.

Le second porte sur l’optimisation des acquis économiques et financiers, la capitalisation sur la stabilité politique, et l’amélioration du climat des affaires en vue de créer une grande dynamique d’investissements étrangers parallèlement à la relance économique et la poursuite du trend haussier de la croissance.

Le troisième défi a trait à la paix sociale et à la nature des réponses pouvant endiguer les tensions sociales, ainsi qu’à la capacité du gouvernement de produire un discours politique et communicationnel en phase avec les attentes de la société.

Le domaine réservé et le reste

La réponse au premier défi, on le sait, n’est pas de la compétence du gouvernement. Ce dossier relève traditionnellement du domaine réservé qui en gère les moindres détails, avec d’importantes avancées certes, mais des challenges ardus aussi, notamment ceux relatifs au conflit autour du Sahara marocain, aux rapports avec l’Union européenne ou du moins certains de ses Etats, et aux problématiques plus conjoncturels liés à la sécurité énergétique et hydrique.

Les deuxième et troisième défis sont intrinsèquement liés, dans la mesure où les prérequis de la paix sociale sont tributaires du règlement des problèmes du chômage et de l’emploi dépendant principalement de la promotion de l’investissement et du soutien des entreprises.

Sur ce volet, le Cabinet Akhannouch, à en juger du moins par la sémantique de sa composition, est bien outillé pour prendre en main les questions en rapport avec le développement économique et social. Il semble en mesure de capitaliser sur les acquis précédents et de s’investir dans les opportunités offertes par la pandémie du coronavirus, surtout que le Maroc, bien engagé dans sa politique de vaccination, commence à cueillir les primeurs de sa stratégie sanitaire en matière de lutte contre l’épidémie.

Il n’en demeure pas moins que bien des zones d’action restent ouvertes à l’interrogation. Nul ne sait, en effet, comment le gouvernement compte appréhender des questions aussi importantes la bonne gouvernance, la transparence et la lutte contre la corruption. Sur ce front, les efforts déployés par les deux gouvernements dirigés par le PJD n’ont pas été probants, alors que le classement du Maroc dans le climat des affaires a toujours pâti de la persistance de ces lacunes.

Promesses électorales et paix sociale

Le talon d’Achille, du moins supposé comme tel, que cible les détracteurs du gouvernement Akhannouch concerne le troisième défi, en l’occurrence son aptitude à maintenir la paix sociale, surtout que ses promesses électorales dans ce domaine ont été généreuses.

Leur argument tient à ce que le gouvernement incarne une alliance d’hommes d’affaires dotés de compétences et d’expertises techniques avec certains politiciens sans prise réelle sur des secteurs stratégiques. De ce point de vue, pareil Exécutif où s’estompe le politique ne le qualifie aucunement à la bonne communication politique ou à la gestion du dialogue avec les composantes de la pression socialo-syndicale.

Le discours royal, à l’ouverture du Parlement a orienté le gouvernement vers un dossier stratégique, qui concerne le renforcement du système de la protection sociale. En clair, le gouvernement est, à ce niveau du moins, dans l’obligation d’assurer la paix sociale.

La réaction des hommes d’affaires à cet impératif est de dire généralement que la paix sociale ne peut être assurée que par l’emploi, et que la lutte contre la pauvreté et les souffrances des ménages ne se fait pas à coups d’aumônes, mais par la création d’opportunités d’emploi.

Certes. Sauf que la pertinence de cette réponse appelle une action vigoureuse du gouvernement et une révolution dans le marché de l’emploi qu’aucun indicateur, à court terme du moins, ne laisse prévoir. Sans oublier qu’en plus la capacité communicationnelle et politique du gouvernement pour meubler, à brève échéance, le gap temporel entre les attentes et le temps nécessaire à une révolution dans le marché du travail, n’est pas à première vue évidente.

Le Cabinet El Otmani est passé par la même expérience, et l’absence d’une communication politique audible a fini par laisser l’espace à la seule approche sécuritaire qui ne peut constituer une solution pérenne.

Le gouvernement Akhannouch est aujourd’hui à l’épreuve du terrain et les mois à venir sauront démontrer sa capacité à interagir avec les trois défis précités. Il a et aura fort à faire, notamment si l’exercice gouvernementale croise sur son chemin des mutations internationales ou régionales imprévues qui limiteraient sa marge de manœuvre, ou exigeraient de lui des réponses politiques à des questions qui ne lui offriraient pas, le cas échéant, l’embarras du choix. Rappeler cette éventualité n’est jouer aux cassandres, mais inviter à une vigilance de tout instant.