Culture
Berlin : une comédie rebat les cartes de la beauté et du handicap
Dans "A Different Man", l'acteur et présentateur télé britannique Adam Pearson, au visage totalement déformé par la maladie, partage l'affiche avec la norvégienne Renate Reinsve
Quelle place pour les acteurs atteints d'un handicap très visible dans le cinéma, industrie du glamour et de la beauté ? Une comédie caustique, en compétition à Berlin prend le sujet de front en offrant un rôle de premier plan à un acteur souffrant de neurofibromatose.
Dans "A Different Man", l'acteur et présentateur télé britannique Adam Pearson, au visage totalement déformé par la maladie, partage l'affiche avec l'acteur roumano-américain Sebastian Stan ("Captain America") et la norvégienne Renate Reinsve.
Prix d'interprétation à Cannes en 2021 pour "Julie (en 12 Chapitres)", celle-ci fait ici ses premiers pas dans une production américaine.
Version sardonique du "Elephant Man" de David Lynch, puisant dans "La Belle et la Bête" comme dans "Docteur Jekyll et de M. Hyde", le film raconte l'histoire d'Edward, un New Yorkais au visage déformé par la maladie, qui mène une existence triste et solitaire.
Son rêve ? Devenir acteur. Mais on ne lui propose que des rôles de seconde zone, dans des clips de sensibilisation au handicap. Seule sa voisine, une dramaturge en herbe interprétée par Renate Reinsve, semble lui trouver quelque chose.
L'existence d'Edward bascule lorsqu'il se voit proposer un traitement radical. Il lui permet d'en finir avec sa maladie et de recouvrer d'un coup un visage conforme aux canons de la beauté masculine.
Edward quitte tout, oublie sa vie d'avant et se refait avec succès dans l'immobilier. Des années plus tard, le cadeau se révèle empoisonné, lorsque surgit dans sa vie Oswald, un homme aussi handicapé qu'il a pu l'être, mais à qui tout semble réussir.
"Transformer" le public
"Je suis né avec une malformation au visage qui a été en grande partie corrigée, même si des marques restent", a expliqué à Berlin le réalisateur du film, Aaron Schimberg.
"Ces questionnements m'ont accompagné toute ma vie : comment (le handicap) me définissait, pour moi et par rapport aux autres, ce que cela changerait si je n'étais pas né ainsi...".
Le film s'amuse aussi du "privilège de la beauté", cette théorie selon laquelle les personnes perçues comme belles se voient accorder, de façon souvent inconsciente, plus de facilité dans la société, au travail comme dans la vie privée.
"A Different Man" est son troisième film, et le deuxième avec Adam Pearson, qui de son côté avait pu donner la réplique à Scarlett Johansson il y a dix ans dans "Under the skin".
Mais pour les acteurs au physique très particulier, le cinéma reste un milieu souvent fermé, ou limité à quelques rôles spécifiques.
"Pour moi, ça a toujours été important de tourner un film sur un personnage atteint d'un handicap au visage avec un acteur qui en soit effectivement atteint", a expliqué le réalisateur. "Mais en faisant ça, on m'a dit que c'était de l'exploitation".
"Et si vous faites jouer quelqu'un qui n'a pas de handicap, mais seulement du maquillage, cela va contre l'idée de la représentation" du handicap à l'écran, poursuit-il.
Pour éviter ce dilemme, "j'ai fait les deux", sourit-il. Dans le film, Oswald est joué par Sebastian Stan, avec une prothèse, tandis que le rôle d'Oswald est tenu par Adam Pearson.
"Le public est bien plus intelligent qu'on le pense", a déclaré à Berlin ce dernier, engagé dans la lutte contre les discriminations. "Un bon film va changer la façon de voir du public pour une journée peut-être. Un très bon film va le transformer pour le reste de sa vie". (AFP)