Culture
Casablanca : Tant qu'il y aura des fours traditionnels...
Enfourneur beldi (traditionnel), tarraha en dialectal, un métier en voie de siparition
Par Abdellatif EL JAAFARI (MAP)
Casablanca - Dans les venelles de l’ancienne médina et d’autres quartiers populaires de Casablanca, il existe encore des fours traditionnels qui font partie du décor général, dans une sorte de résistance aux sirènes de la modernité, sauf que leur survie dépend de l'afflux continu des fameuses planches à pain en bois.
Des images dont il ne restera bientôt que des souvenirs et quelques photos
Il suffit de sillonner les ruelles de la médina pour constater que ces "institutions" sont confrontées à une menace existentielle, quand bien même, dans la plus moderne des cités marocaines, des familles restent friandes du pain cuit au feu de bois, contribuant indirectement à la pérennité des fours traditionnels, qui luttent désespérément pour tenir tête aux boulangeries sophistiquées qui ont investi les secteurs populaires au cours de la dernière décennie.
Des scrutateurs de l'évolution sociale de la capitale économique affirment que plusieurs fours traditionnels ont été condamnés à la disparition, laissant parfois des traces indélébiles dans la mémoire collective. Les propriétaires ont été incapables de pallier les pertes conséquentes subies au fil des ans.
Les plus âgés n'ont plus que le souvenir pour retrouver les senteurs et les saveurs du pain, le gâteau et du poisson cuits à petit feu sous la baguette magique du "fraini" (enfourneur), qui connaissait par cœur la planche de chaque famille, qu'elle soit en bois ou en aluminium.
Le peu de fours traditionnels qui subsistent encore tentent de s'adapter aux exigences du nouveau mode de vie et aux profondes mutations sociétales, en préparant leur propre pain et pâtisserie pour les commercialiser au grand public. Plus tenaces, d'autres n'ont rien changé à leurs habitudes et se mettent toujours au service de clients fidèles, peu enclins à consommer du pain cuit au gaz ou à l'électricité.
Jadis, les fours traditionnels pullulaient dans la ville de Casablanca et faisaient partie intégrante du vécu quotidien de la population et de l'architecture même de la métropole.
La cheminée du four traditionnel surplombait chaque quartier, était égalée uniquement par celle du hammam et n'était dépassée que par le minaret de la mosquée, selon des témoins vivants de cette époque.
Parmi les fours ayant résisté aux transformations urbanistiques et sociales, il y a celui d'El Yamani dans l'ancienne médina, qui accueille chaque jour à partir de 11H00 des dizaines de femmes, d'hommes et de jeunes porteurs de planches à pain, pour une cuisson selon les traditions marocaines.
Abdeslam Ghaou, qui est à la manœuvre près du brasier, a noué des relations intimes avec les clients, échangeant quelques mots avec eux, avant de prendre en charge leurs planches et mettre la pâte au contact du fahrenheit.
L'opération de cuisson requiert une attention extrême et un sens élevé de la minutie au risque de mélanger les pains des clients, a-t-il confié à la MAP, notant que l'expérience accumulée durant plusieurs années de labeur lui permet de mieux gérer cette tâche complexe et maintenir de bons rapports avec les usagers.
Cependant, il n'a pas manqué de souligner que les recettes générées par le four sont très modestes et couvrent à peine les frais d'achat du bois et de règlement des factures d'eau, d'électricité et autres, déplorant le peu de bénéfices générés par cette activité.
Ce four est très connu de la population locale par sa simplicité, à commencer par son architecture et ses outils de travail, a souligné une femme qui le fréquente depuis de longues années, expliquant le pain traditionnel est plus sain que celui cuit au moyen de gaz et commercialisé dans les épiceries.
Un autre four traditionnel bien célèbre à Casablanca est celui qui se trouve au quartier Raja, dans le secteur de Bournazil, que son patron veille à le maintenir en vie pour cuir les pains des riverains, tout en préparant par ses soins d'autres quantités vendues au public, histoire de diversifier les ressources.
Implantés généralement dans les quartiers populaires de la capitale économique, les fours traditionnels occupaient une place importante dans la vie des gens, surtout au moment des occasions sociales marquées par la préparation de plusieurs variétés de gâteaux. Ils se livrent, aujourd'hui, à une lutte de survie face à la rude concurrence des boulangeries modernes. Une autre partie du patrimoine en voie d’extinction !