Cinéma, mon amour !» de Driss Chouika - L’IMAGE DE FES DANS LE CINEMA

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Une porte sur le ciel de de Farida BENLYAZID avec Zakia TAHIRI tourné à Fès

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« En effet, si les histoires du cinéma et de la ville sont imbriquées à tel point qu'il est impensable que le cinéma ait pu se développer sans la ville, et si la ville a été incontestablement façonnée par la forme cinématographique, ni le cinéma ni les études urbaines n'ont accordé l'attention nécessaire à leur connexion. »

David B. Clarke

Sollicité par les organisateurs du Festival International du Film de Fès, j’ai conçu, en collaboration avec Mohammed Chouika, une conférence/débat sur le thème : “ L’image de Fès dans le cinéma“. Cela a donné une très intéressante rencontre cinéphile, dans le magnifique cadre de l’un des plus originaux riads de la Médina de Fès. Modérée par l’auteur et critique de cinéma Mohammed Chouika qui l’a introduite par un aperçu thématique global, les participants ont eu ensuite le privilège de suivre trois exposés riches et instructifs. Le 1er, présenté par l’auteur et critique My Driss Jaidi, intitulé “L’image de Fès dans le cinéma colonial“, illustré par des photos et extraits de films, a retracé l’historique de la présence visuelle de Fès dans les films de l’époque coloniale, du film« Les hommes nouveaux » de E. B. Donatien et Edouard Emile Violet (1922) à « La route inconnue » de Léon Poirier (1947). Le 2ème, donné par l’auteur et critique Boubker Hihi, intitulé “Représentations de l’Université Al-Qaraouiyine dans des films marocains“, a dépeint cette millénaire université telle qu’elle a été vue par trois réalisateurs marocains : Hamid Benani dans le film “La prière de l’absent“ (1995), Jamal Belmajdoub dans “Yacout“ (2000) et Hicham Regragui dans son court métrage “Emma“ (2017). Puis le 3ème, initié par le poète et critique Mbarek Housni, intitulé “L’image de Fès dans le cinéma : une nostalgie spirituelle“, a explicité la présence d’une nostalgie spirituelle de la ville de Fès dans les deux films marocains : “Une porte sur le ciel“ (1988) de Farida Benlyazid et “Coeurs brûlés“ (2007) de Ahmed El Maanouni.

LA VILLE ET LE CINEMA

Le cinéma est né dans la ville. Le cinéma a été donc, dès sa naissance, un art citadin. Ainsi, Mohammed Chouika a présenté la thématique de la conférence en précisant que, depuis la période coloniale, la ville de Fès a attiré de nombreuses personnes intéressées par les domaines de l'image, dont des photographes, des cinéastes, des hommes de publicité et de spectacles, qui y ont trouvé ce qui convient à leurs perceptions imaginaires, que ce soit comme espaces ou lieux propices à ce qu'ils veulent représenter et exprimer. La ville a attiré l'attention des cinéastes étrangers et marocains. Malgré la période coloniale caractérisée par un arrière-plan idéologique clair qui vise à justifier la colonisation, la grandeur de la ville est restée vigoureusement présente à travers ses signes architecturaux et culturels distinctifs. La ville a un héritage impérial qui en a fait l'une des métropoles les plus importantes de la Méditerranée et l'une des capitales spirituelles africaines, islamiques et arabes, ce qui a reflété ces caractéristiques dans les films qui y ont été tournés.

Par quoi ont été séduit les réalisateurs pour venir à Fès ? Quels sont les films étrangers et nationaux les plus importants qui y ont été tournés ? Comment son image s'est-elle cristallisée dans l'imaginaire cinématographique ? Quels sont les

signes de la ville dans les films ?

FES DANS LE CINEMA COLONIAL

Ensuite, l’auteur et critique de cinéma My Driss Jaidi a donné un large aperçu, bien documenté par des photos et des extraits, sur les films tournés à Fès pendant la période coloniale. Il s’est particulièrement intéressé aux films coloniaux produits entre 1922 et 1948 dont voici la liste :

Les hommes nouveauxde E. B. Donatien et Edouard Emile Violet (1922), (une illustration du roman populaire de Claude Farrère, “Les hommes nouveaux”) ; Les fils du Soleil de René Le Somptier (1924), d’une durée de 264 minutes, (Les Fils du Soleil se présentait sous la forme d’un ciné-roman en huit épisodes) ; Dans l’ombre du Harem de Léon Mathot et André Liabel (1928) ; Le clairon sonne (the buggle sounds) de Georges Hill (1928) ; Les 5 gentlemen maudits de Julien Duvivier (1932) ; L’appel du silence deLéon Poirier (1933) ; Les hommes nouveaux de Marcel L’Herbier (1936) ; La dernière chevauchée deLéon Mathot (1946) ; Sérénade à Meryem de Norbert Gernolle (1946) ; Minuit, rue de l’horloge de Jean Lordier (1947) ; La Septième Porte de André Zwobada (1947) ; La route inconnuede Léon Poirier (1947) ; Fès de André Zwobada (Documentaire - 1948 - 11 mn) ; Moulay Driss de Philipe Este (Dic. – 1948 – 10 mn) ; Villes et bleds : Fes de Henri Jacques (Doc. - 9 mn).

AL-QARAOUIYINE VUE PAR DES CINEASTES MAROCAINS

Le critique Boubker Hihi a pris la relève pour expliciter la manière dont les cinéastes F. Benlyazid, J. Belmejdoub et H. Regragui ont vu et filmé l’Université ِAl-Qaraouiyine de Fes. Cette université millénaire a été construite en 859 avant JC par Fatima Al Fihriya. On n’y enseigne pas uniquement la religion comme certains pourraient le penser. On y donne également des cours importants sur l’Esthétique et l’Algèbre, affirme l’un des personnages du film de Belmejdoub.

Les événements de « Yaqout » se déroulent dans les années 1940 alors que ceux des deux autres films sont liés à leurs périodes de production. Le film fait également référence à la résistance contre le colonisateur français et affirme que l’université a constitué le noyau de la résistance contre l’occupation française.

Par contre, dans le film “La prière de l’absent“, les personnages sont en conflit avec la mentalité dominante dans la société, basée sur l’oppression, et l’université est perçue comme l’un des lieux de cette oppression. Elle apparait comme un espace rejetant les différences au niveau de l’interprétation religieuse.

Quant au court métrage de F. Regragui, il met l’accent sur l’espace de la bibliothèque de l’université qui n’est plus un simple élément du décor, mais bien un élément principal du sujet du film. Et si la bibliothèque est un lieu de connaissance et de lumière, la caméra nous montre des livres de Sayed Qotb et Ibn Taimia dont la lecture a un effet négatif sur le comportement du personnage envers sa mère... 

UNE NOSTALGIE SPIRITUELLE

Quant au poète et critique Mbarek Housni, dans son intervention intitulée “L’image de Fès dans le cinéma : une nostalgie spirituelle“, il précise d’emblée que« Fès ne se contente pas d'être photographiée, filmée, capturée n’importe comment, mais bien avec ses particularités spécifiques, dont la plus importante est qu'il s'agit d'une ancienne grande ville, l'un des centres du monde, avec une architecture labyrinthique unique qui dicte au cinéma son rythme ».  Et de là,il développe tout l’attrait de cette ville millénaire à travers une lecture bien spirituelle des deux films de Farida Benlyazid et Ahmed Maanouni qui y ont été tournés : “Une porte sur le ciel“ et “Coeurs brûlés“.

Pour l’auteur, dans ces deux films, Fès est pleinement présente, du début à la fin. Les deux cinéastes tentent de capturer cette "chose étrange et inspirante", selon l’expression du réalisateur japonais Akira Koruzawa. Il s'agit d'un départ à partir d'une situation émotionnelle spécifique qui a une caractéristique nostalgique. Et cela passe nécessairement par un cinéma poétique. La caméra n'accompagne pas seulement les personnages, et le montage ne se contente pas d'enchaîner ce qu’elle a capté selon une logique narrative extérieure, neutre. Non, dans les deux films, il y a l'Absent/Présent, et il y a une vision régulatrice des événements, malgré des lacunes...

En tout cas cette conférence/débat fut, et de loin, le moment le plus lumineux de cette 2ème édition de ce festival encore “débutant“. Et j’espère bien que l’idée de développer le travail de cette conférence/débat pour en tirer un livre suivra son chemin.

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